IV MADAME AND MME DE MAINTENON [128]

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Le samedi 11 juin, la cour retourna À Versailles, oÙ en arrivant le Roi alla voir Madame, M. et Mme de Chartres, chacun dans leur appartement; elle, fort en peine de la situation oÙ elle se trouvoit avec le Roi, dans une occasion oÙ il y alloit du tout pour elle, et avoit engagÉ la duchesse de Ventadour de voir Mme de Maintenon. Elle le fit: Mme de Maintenon ne s’expliqua qu’en gÉnÉral, et dit seulement qu’elle iroit chez Madame au sortir de son dÎner, et voulut que Mme de Ventadour[129] se trouvÂt chez Madame et fÛt en tiers pendant sa visite. C’Étoit le dimanche[130], le lendemain du retour de Marly. AprÈs les premiers compliments, ce qui Étoit lÀ sortit, exceptÉ Mme de Ventadour. Alors Madame fit asseoir Mme de Maintenon, et il falloit pour cela qu’elle en sentÎt tout le besoin. Elle entra en matiÈre sur l’indiffÉrence avec laquelle le Roi l’avoit traitÉe pendant toute sa maladie, et Mme de Maintenon la laissa dire tout ce qu’elle voulut, puis lui rÉpondit que le Roi lui avoit ordonnÉ de lui dire que leur perte commune effaÇoit tout dans son coeur, pourvu que dans la suite il eÛt lieu d’Être plus content d’elle qu’il n’avoit eu depuis quelque temps, non-seulement sur ce qui regardoit ce qui s’Étoit passÉ À l’Égard de M. le duc de Chartres, mais sur d’autres choses encore plus intÉressantes, dont il n’avoit pas voulu parler, et qui Étoient la vraie cause de l’indiffÉrence qu’il avoit voulu lui tÉmoigner pendant qu’elle avoit ÉtÉ malade. A ce mot, Madame, qui se croyoit bien assurÉe, se rÉcrie, proteste qu’exceptÉ le fait de son fils elle n’a jamais rien dit ni fait qui pÛt dÉplaire, et enfile des plaintes et des justifications. Comme elle y insistoit le plus, Mme de Maintenon tire une lettre de sa poche et la lui montre, en lui demandant si elle en connoissoit l’Écriture. C’Étoit une lettre de sa main À sa tante la duchesse d’Hanovre[131], À qui elle Écrivoit tous les ordinaires, oÙ, aprÈs des nouvelles de cour, elle lui disoit en propres termes qu’on ne savoit plus que dire du commerce du Roi et de Mme de Maintenon, si c’Étoit mariage ou concubinage, et de lÀ tomboit sur les affaires du dehors et sur celles du dedans, et s’Étendoit sur la misÈre du royaume, qu’elle disoit ne s’en pouvoir relever. La poste l’avoit ouverte, comme elle les ouvroit et les ouvre encore presque toutes, et l’avoit trouvÉe trop forte pour se contenter, À l’ordinaire, d’en donner un extrait, et l’avoit envoyÉe au Roi en original. On peut penser si, À cet aspect et À cette lecture, Madame pensa mourir sur l’heure. La voilÀ À pleurer, et Mme de Maintenon À lui reprÉsenter modestement l’ÉnormitÉ de toutes les parties de cette lettre, et en pays Étranger; enfin Mme de Ventadour À verbiager, pour laisser À Madame le temps de respirer et de se remettre assez pour dire quelque chose. Sa meilleure excuse fut l’aveu de ce qu’elle ne pouvoit nier, des pardons, des repentirs, des priÈres, des promesses.

Quand tout cela fut ÉpuisÉ, Mme de Maintenon la supplia de trouver bon qu’aprÈs s’Être acquittÉe de la commission que le Roi lui avoit donnÉe, elle pÛt aussi lui dire un mot d’elle-mÊme, et lui faire ses plaintes de ce qu’aprÈs l’honneur qu’elle lui avoit fait autrefois de vouloir bien desirer son amitiÉ et de lui jurer la sienne, elle avoit entiÈrement changÉ depuis plusieurs annÉes. Madame crut avoir beau champ: elle rÉpondit qu’elle Étoit d’autant plus aise de cet Éclaircissement, que c’Étoit À elle À se plaindre du changement de Mme de Maintenon, qui tout d’un coup l’avoit laissÉe et abandonnÉe, et forcÉe de l’abandonner À la fin aussi, aprÈs avoir longtemps essayÉ de la faire vivre avec elle comme elles avoient vÉcu auparavant. A cette seconde reprise, Mme de Maintenon se donna le plaisir de la laisser enfiler comme À l’autre les plaintes, et de plus les regrets et les reproches: aprÈs quoi elle avoua À Madame qu’il Étoit vrai que c’Étoit elle qui la premiÈre s’Étoit retirÉe d’elle, et qui n’avoit osÉ s’en rapprocher, que ses raisons Étoient telles qu’elle n’avoit pu moins que d’avoir cette conduite; et par ce propos fit redoubler les plaintes de Madame, et son empressement de savoir quelles pouvoient Être ses raisons. Alors Mme de Maintenon lui dit que c’Étoit un secret qui jusqu’alors n’Étoit jamais sorti de sa bouche, quoique elle en fÛt en libertÉ depuis dix ans qu’Étoit morte celle qui le lui avoit confiÉ sur sa parole de n’en parler À personne; et de lÀ raconte À Madame mille choses plus offensantes les unes que les autres qu’elle avoit dites d’elle À Madame la Dauphine, lorsqu’elle Étoit mal avec cette derniÈre, qui dans leur raccommodement le lui avoit redit de mot À mot. A ce second coup de foudre, Madame demeura comme une statue. Il y eut quelques moments de silence. Mme de Ventadour fit son mÊme personnage, pour laisser reprendre les esprits À Madame, qui ne sut faire que comme l’autre fois, c’est-À-dire qu’elle pleura, cria, et pour fin demanda pardon, avoua; puis repentirs et supplications. Mme de Maintenon triompha froidement d’elle assez longtemps, la laissant s’engouer de parler, de pleurer et lui prendre les mains. C’Étoit une terrible humiliation pour une si rogue et fiÈre Allemande. A la fin, Mme de Maintenon se laissa toucher, comme elle l’avoit bien rÉsolu, aprÈs avoir pris toute sa vengeance. Elles s’embrassÈrent, elles se promirent oubli parfait et amitiÉ nouvelle; Mme de Ventadour se mit À en pleurer de joie, et le sceau de la rÉconciliation fut la promesse de celle du Roi, et qu’il ne lui dirait pas un mot des deux matiÈres qu’elles venoient de traiter: ce qui, plus que tout, soulagea Madame. Tout se sait enfin dans les cours, et, si je me suis peut-Être un peu Étendu sur ces anecdotes, c’est que je les ai sues d’original et qu’elles m’ont paru trÈs curieuses[132].

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           

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