AprÈs avoir exposÉ avec la vÉritÉ et la fidÉlitÉ la plus exacte tout ce qui est venu À ma connoissance par moi-mÊme, ou par ceux qui ont vu ou maniÉ les choses et les affaires pendant les vingt-deux derniÈres annÉes[107] de LouisXIV, et l’avoir montrÉ tel qu’il a ÉtÉ, sans aucune passion, quoique je me sois permis les raisonnements rÉsultant naturellement des choses, il ne me reste plus qu’À exposer l’Écorce extÉrieure de la vie de ce monarque, depuis que j’ai continuellement habitÉ À sa cour. Quelque insipide et peut-Être superflu qu’un dÉtail, encore si public, puisse paroÎtre aprÈs tout ce qu’on a vu d’intÉrieur, il s’y trouvera encore des leÇons pour les rois qui voudront se faire respecter et qui voudront se respecter eux-mÊmes. Ce qui m’y dÉtermine encore, c’est que l’ennuyeux, je dirai plus, le dÉgoÛtant pour un lecteur instruit de ce dehors public, par ceux qui auront pu encore en avoir ÉtÉ tÉmoins, Échappe bientÔt À la connoissance de la postÉritÉ, et que l’expÉrience nous apprend que nous regrettons de ne trouver personne qui se soit donnÉ une peine pour leur temps si ingrate, mais pour la postÉritÉ, curieuse, et qui ne laisse pas de caractÉriser les princes qui ont fait autant de bruit dans le monde que celui dont il s’agit ici. Quoique il soit difficile de ne pas tomber en quelques redites, je m’en dÉfendrai autant qu’il me sera possible. Je ne parlerai point de la maniÈre de vivre du Roi quand il s’est trouvÉ dans ses armÉes; ses heures y Étoient dÉterminÉes par ce qui se prÉsentoit À faire, en A ces repas tout le monde Étoit couvert; c’eÛt ÉtÉ un A huit heures, le premier valet de chambre en quartier, qui avoit couchÉ seul dans la chambre du Roi, et qui s’Étoit habillÉ, l’Éveilloit. Le premier mÉdecin, le premier chirurgien, et sa nourrice tant qu’elle a vÉcu, entroient en mÊme temps. Elle alloit le baiser, les autres le frottoient, DÈs qu’il Étoit habillÉ, il alloit prier Dieu À la ruelle de son lit, oÙ tout ce qu’il y avoit de clergÉ se mettoit À genoux, les cardinaux sans carreau; tous les laÏques demeuroient debout, et le capitaine des gardes venoit au balustre pendant la priÈre, d’oÙ le Roi passoit dans son cabinet. Il y trouvoit ou y Étoit suivi de tout ce qui avoit cette entrÉe, qui Étoit fort Étendue par les charges, qui l’avoient toutes. Il y donnoit l’ordre À chacun pour la journÉe; ainsi on savoit, À un demi-quart d’heure prÈs, tout ce que le Roi devoit faire. Tout ce monde sortoit ensuite. Il ne demeuroit que les bÂtards, MM. de Montchevreuil[111] et Toute la cour attendoit cependant dans la galerie, le capitaine des gardes seul dans la chambre, assis À la porte du cabinet, qu’on avertissoit quand le Roi vouloit aller À la messe, et qui alors entroit dans le cabinet. A Marly, la cour attendoit dans le salon; À Trianon, dans les piÈces de devant, comme À Meudon; À Fontainebleau, on demeuroit dans la chambre et l’antichambre. Cet entre-temps Étoit celui des audiences, quand le Roi en accordoit, ou qu’il vouloit parler À quelqu’un, et des audiences secrÈtes des ministres Étrangers, en prÉsence de Torcy. Elles n’Étoient appelÉes secrÈtes que pour les distinguer de celles qui se donnoient sans cÉrÉmonie À la ruelle du lit, au sortir de la priÈre, qu’on appeloit particuliÈres, oÙ celles de cÉrÉmonie se donnoient aussi aux ambassadeurs. Le Roi alloit À la messe, oÙ sa musique chantoit toujours un motet. Il n’alloit en bas qu’aux grandes fÊtes, ou pour des cÉrÉmonies. Allant et revenant de la messe, chacun lui parloit qui vouloit, aprÈs l’avoir dit au capitaine des gardes si ce n’Étoit gens distinguÉs, et il y alloit, et rentroit par la porte des cabinets dans la galerie. Pendant la messe, les ministres Étoient avertis, et s’assembloient dans la chambre du Roi, oÙ les gens distinguÉs pouvoient aller leur parler ou causer avec eux. Le Roi s’amusoit Le dimanche il y avoit conseil d’État[115], et souvent les lundis; les mardis, conseil de finance; les mercredis, conseil d’État; les samedis, conseil de finances. Il Étoit rare qu’il y en eÛt deux par jour, et qu’il s’en tÎnt les jeudis ni les vendredis. Une ou deux fois le mois, il y avoit un lundi matin conseil de dÉpÊches; mais les ordres que les secrÉtaires d’État prenoient tous les matins, entre le lever et la messe, abrÉgeoient et diminuoient fort ces sortes d’affaires. Tous les ministres Étoient assis en rang entre eux, aprÈs le chancelier et le duc de Beauvillier, et le marÉchal de Villeroy, et qui succÉda au duc de Beauvillier, exceptÉ au conseil de dÉpÊches, oÙ tous Étoient debout, tout du long, exceptÉ les fils de France quand il y en avoit, le chancelier et le duc de Beauvillier. Rarement, pour des affaires extraordinaires ÉvoquÉes, et vues dans un bureau de conseillers d’État, ces mÊmes conseillers d’État venoient À un conseil donnÉ exprÈs de finance ou de dÉpÊche, mais oÙ on ne parloit que de cette seule affaire. Alors tous Étoient assis, et les conseillers d’État y coupoient les secrÉtaires d’État et le contrÔleur gÉnÉral, suivant leur anciennetÉ de conseiller d’État entre eux, et un maÎtre des requÊtes rapportoit debout, lui et les conseillers d’État en robes. Le jeudi matin Étoit presque toujours vuide. C’Étoit le temps des audiences que le Roi vouloit donner, et le plus souvent des audiences inconnues, par les derriÈres; c’Étoit aussi le grand jour des bÂtards, des bÂtiments, des valets intÉrieurs, parce que le Roi n’avoit rien À faire. Le vendredi aprÈs la messe Étoit le temps du confesseur, qui n’Étoit bornÉ par rien, et qui pouvoit durer jusqu’au dÎner. A Fontainebleau, ces matins-lÀ qu’il n’y avoit point de conseil, le Roi passoit trÈs ordinairement de la messe chez Mme de Maintenon; et de mÊme À Trianon et À Marly, quand elle n’Étoit pas allÉe dÈs le matin À Saint-Cyr. C’Étoit le temps de leur tÊte-À-tÊte sans ministre et sans interruption, et À Le dÎner Étoit toujours au petit couvert, c’est-À-dire seul dans sa chambre, sur une table carrÉe vis-À-vis la fenÊtre du milieu. Il Étoit plus ou moins abondant; car il ordonnoit le matin petit couvert ou trÈs petit couvert; mais ce dernier Étoit toujours de beaucoup de plats et de trois services sans le fruit. La table entrÉe, les principaux courtisans entroient, puis tout ce qui Étoit connu, et le premier gentilhomme de la chambre en annÉe alloit avertir le Roi. Il le servoit si le grand chambellan n’y Étoit pas. Le marquis de Gesvres, depuis duc de Tresmes[116], prÉtendit que, le dÎner commencÉ, M. de Bouillon arrivant ne lui pouvoit Ôter le service, et fut condamnÉ. J’ai vu M. de Bouillon arriver derriÈre le Roi au milieu du dÎner, et M. de Beauvillier, qui servoit, lui vouloir donner le service, qu’il refusa poliment, et dit qu’il toussoit trop et Étoit trop enrhumÉ. Ainsi il demeura derriÈre le fauteuil, et M. de Beauvillier continua le service, mais À son refus public. Le marquis de Gesvres avoit tort: le premier gentilhomme de la chambre n’a que le commandement dans la chambre, etc., et nul service; c’est le grand chambellan qui l’a tout entier, et nul commandement; ce n’est qu’en son absence que le premier gentilhomme de la chambre sert; mais si le premier gentilhomme de la chambre est absent, et qu’il n’y en ait aucun autre, ce n’est point le grand chambellan qui commande dans la chambre, c’est le premier valet de chambre. J’ai vu, mais fort rarement, Monseigneur et Messeigneurs ses fils au petit couvert, debout, sans que jamais De grand couvert À dÎner, cela Étoit extrÊmement rare: quelques grandes fÊtes, ou À Fontainebleau quelquefois, quand la reine d’Angleterre y Étoit. Aucune dame ne venoit au petit couvert; j’y ai seulement vu trÈs rarement Au sortir de table, le Roi rentroit tout de suite dans son cabinet. C’Étoit lÀ un des moments de lui parler, pour des gens distinguÉs. Il s’arrÊtoit À la porte un moment À Écouter, puis il entroit, et trÈs rarement l’y suivoit-on, jamais sans le lui demander, et c’est ce qu’on n’osoit guÈres. Alors il se mettoit avec celui qui le suivoit dans l’embrasure de la fenÊtre la plus proche de la porte du cabinet, qui se fermoit aussitÔt, et que l’homme qui parloit au Roi rouvroit lui-mÊme pour sortir, en quittant le Roi. C’Étoit encore le temps des bÂtards et des valets intÉrieurs, quelquefois des bÂtiments, qui attendoient dans les cabinets de derriÈre, exceptÉ le premier mÉdecin, qui Étoit toujours au dÎner, et qui suivoit dans les cabinets. C’Étoit aussi le temps oÙ Monseigneur se trouvoit quand il n’avoit pas vu le Roi le matin; il entroit et sortoit par la porte de la galerie. Le Roi s’amusoit À donner À manger À ses chiens couchants, et avec eux plus ou moins, puis demandoit sa garde-robe, et changeoit devant le trÈs peu de gens distinguÉs qu’il plaisoit au premier gentilhomme de la chambre d’y laisser entrer, et tout de suite le Roi sortoit par derriÈre et par son petit degrÉ dans la cour de Marbre pour monter en carrosse; depuis le bas de ce degrÉ jusqu’À son carrosse, lui parloit qui vouloit, et de mÊme en revenant. Le Roi aimoit extrÊmement l’air, et quand il en Étoit privÉ, sa santÉ en souffroit par des maux de tÊte et par des vapeurs, que lui avoit causÉs un grand usage de parfums autrefois, tellement qu’il y avoit bien des annÉes, que, exceptÉ l’odeur de la fleur d’orange, il n’en pouvoit souffrir aucune, et qu’il falloit Être fort en garde de n’en avoir point, pour peu qu’on eÛt À l’approcher. Ce lieu avoit encore un privilÈge qui n’Étoit pour nul autre; c’est qu’en sortant du chÂteau, le Roi disoit tout haut: Le chapeau, Messieurs; et aussitÔt courtisans, officiers des gardes du corps, gens des bÂtiments se couvroient tous, en avant, en arriÈre, À cÔtÉ de lui, et il auroit trouvÉ mauvais si quelqu’un eÛt non-seulement manquÉ, mais diffÉrÉ À mettre son chapeau, et cela duroit toute la promenade, c’est-À-dire quelquefois quatre et cinq heures en ÉtÉ, ou en d’autres saisons, quand il mangeoit de bonne heure À Versailles pour s’aller promener À Marly, et n’y point coucher. Il en Étoit de mÊme du jeu, qu’il vouloit gros et continuel dans le salon de Marly pour le lansquenet, et force tables d’autres jeux par tout le salon. Il s’amusoit volontiers À Fontainebleau, les jours de mauvais temps, À voir jouer les grands joueurs À la paume, oÙ il avoit excellÉ autrefois[118], et À Marly trÈs souvent, À voir jouer au mail[119], oÙ il avoit aussi ÉtÉ fort adroit. Quelquefois, les jours qu’il n’y avoit point de conseil, qui n’Étoient pas maigres, et qu’il Étoit À Versailles, il alloit dÎner À Marly ou À Trianon avec Mme la duchesse de Bourgogne, Mme de Maintenon et des dames, et cela devint beaucoup plus ordinaire ces jours-lÀ les trois derniÈres annÉes de sa vie. Au sortir de table, en ÉtÉ, le ministre qui devoit travailler avec lui arrivoit, et quand le travail Étoit fini, il passoit jusqu’au soir À se promener avec les dames, À jouer avec elles, et assez souvent À leur A son retour de dehors, lui parloit qui vouloit, depuis son carrosse jusqu’au bas de son petit degrÉ. Il se rhabilloit comme il avoit changÉ d’habit, et restoit dans son cabinet. C’Étoit le meilleur temps des bÂtards, des valets intÉrieurs et des bÂtiments. Ces intervalles-lÀ, qui arrivoient trois fois par jour, Étoient leurs temps, celui des rapporteurs de vive voix ou par Écrit, celui oÙ le Roi Écrivoit, s’il avoit À Écrire lui-mÊme. Au retour de ses promenades, il Étoit une heure et plus dans ses cabinets, puis passoit chez Mme de Maintenon, et en chemin lui parloit encore qui vouloit. A dix heures il Étoit servi. Le maÎtre d’hÔtel en quartier, ayant son bÂton, alloit avertir le capitaine des gardes en A son souper, toujours au grand couvert, avec la maison royale, c’est-À-dire uniquement les fils et filles de France et les petits-fils et petites-filles de France, Étoient toujours grand nombre de courtisans, et de dames tant assises que debout, et la surveille des voyages de Marly toutes celles qui vouloient y aller; cela s’appeloit se prÉsenter pour Marly. Les hommes demandoient le mÊme jour le matin, en disant au Roi seulement: “Sire, Marly.” Les derniÈres annÉes le Roi s’en importuna: un garÇon bleu Écrivoit dans la galerie les noms de ceux qui demandoient, et qui y alloient se faire Écrire. Pour les dames, elles continuÈrent toujours À se prÉsenter. AprÈs souper, le Roi se tenoit quelques moments debout, le dos au balustre du pied de son lit, environnÉ de toute la cour; puis, avec des rÉvÉrences aux dames, passoit dans son cabinet, oÙ en arrivant il donnoit l’ordre. Il y passoit un peu moins d’une heure avec ses enfants lÉgitimes et bÂtards, ses petits-enfants lÉgitimes et bÂtards, et leurs maris ou leurs femmes, tous dans un cabinet, le Roi dans un fauteuil, Monsieur dans un autre, qui dans le particulier vivoit avec le Roi en frÈre, Monseigneur debout ainsi que tous les autres princes, et les princesses sur des tabourets. Madame y fut admise aprÈs la mort de Madame la Dauphine. Ceux qui entroient par les derriÈres s’y trouvoient, et qu’on a nommÉs, et les valets Les dames d’honneur des princesses, et les dames du palais de jour, attendoient dans le cabinet du Conseil, qui prÉcÉdoit celui oÙ Étoit le Roi À Versailles, et ailleurs. A Fontainebleau, oÙ il n’y avoit qu’un grand cabinet, les dames des princesses qui Étoient assises achevoient le cercle avec les princesses, au mÊme niveau et sur mÊmes tabourets; les autres dames Étoient derriÈre, en libertÉ de demeurer debout, ou de s’asseoir par terre sans carreau, comme plusieurs faisoient. La conversation n’Étoit guÈre que de chasse ou de quelque autre chose aussi indiffÉrente. Le Roi, voulant se retirer, alloit donner À manger À ses chiens, puis donnoit le bonsoir, passoit dans sa chambre À la ruelle de son lit, oÙ il faisoit sa priÈre comme le matin, puis se dÉshabilloit. Il donnoit le bonsoir d’une inclination de tÊte, et tandis qu’on sortoit, il se tenoit debout au coin de la cheminÉe, oÙ il donnoit l’ordre au colonel des gardes seul; puis commenÇoit le petit coucher, oÙ restoient les grandes et secondes entrÉes ou brevets d’affaires. Cela Étoit court. Ils ne sortoient que lorsqu’il se mettoit au lit. Ce moment en Étoit un de lui parler pour ces privilÉgiÉs; alors tous sortoient quand ils en voyoient un attaquer le Roi, qui demeuroit seul avec lui. Lorsque le Roi mourut, il y avoit dix ou douze ans que ce qui n’avoit point ces entrÉes ne demeuroit plus au coucher, depuis une longue attaque de goutte que le Roi avoit eue, en sorte qu’il n’y avoit plus de grand coucher, et que la cour Étoit finie au sortir du souper. Alors le colonel des gardes prenoit l’ordre avec tous les autres, et les aumÔniers de quartier, et le grand et le premier aumÔnier sortoient aprÈs la priÈre. Les jours de mÉdecine, qui revenoient tous les mois au Le Roi n’a de sa vie manquÉ la messe qu’une fois À l’armÉe, un jour de grande marche, ni aucun jour maigre, À moins de vraie et trÈs rare incommoditÉ. Quelques jours avant le carÊme, il tenoit un discours public À son lever, par lequel il tÉmoignoit qu’il trouverait fort mauvais qu’on donnÂt À manger gras À personne, sous quelque prÉtexte que ce fÛt, et ordonnoit au grand prÉvÔt d’y tenir la main, et de lui en rendre compte. Il ne vouloit pas non plus que ceux qui mangeoient gras mangeassent ensemble, ni autre chose que bouilli et rÔti fort court, et personne n’osoit outre-passer ses dÉfenses; car on s’en serait bientÔt ressenti. Elles s’Étendoient À Paris, oÙ le lieutenant de police y veilloit et lui en rendoit compte. Il y avoit douze ou quinze ans qu’il ne faisoit plus de carÊme; d’abord quatre jours maigres, puis trois, et les quatre derniers de la semaine sainte. Alors son trÈs petit couvert Étoit fort retranchÉ les jours qu’il faisoit Il manquoit peu de sermons l’avent et le carÊme, et aucune des dÉvotions de la semaine sainte, des grandes fÊtes, ni les deux processions du Saint Sacrement, ni celles des jours de l’ordre du Saint-Esprit, ni celle de l’Assomption. Il Étoit trÈs respectueusement À l’Église. A sa messe tout le monde Étoit obligÉ de se mettre À genoux au Sanctus, et d’y demeurer jusqu’aprÈs la communion du prÊtre; et s’il entendoit le moindre bruit ou voyoit causer pendant la messe, il le trouvoit fort mauvais. Il manquoit rarement le salut les dimanches, s’y trouvoit souvent les jeudis, et toujours pendant toute l’octave du Saint Sacrement. Il communioit toujours en collier de l’Ordre, rabat et manteau, cinq fois l’annÉe, le samedi saint À la paroisse, les autres jours À la chapelle, qui Étoient la veille de la PentecÔte, le jour de l’Assomption, et la grand messe aprÈs, la veille de la Toussaint et la veille de NoËl, et une messe basse aprÈs celle oÙ il avoit communiÉ, et ces jours-lÀ point de musique À ses messes, et À chaque fois il touchoit les malades. Il alloit À vÊpres les jours de communion, et aprÈs vÊpres il travailloit dans son cabinet, avec son confesseur, À la distribution des bÉnÉfices qui vaquoient; il n’y avoit rien de plus rare que de lui voir donner aucun bÉnÉfice en d’autres temps; il alloit le lendemain À la grand messe et À vÊpres. A matines et À trois messes de minuit en musique, et c’Étoit un spectacle admirable que la chapelle; le lendemain À la grand messe, À vÊpres, au salut. Le jeudi saint, il servoit les pauvres À dÎner, et aprÈs la collation, il ne faisoit qu’entrer dans son cabinet, Il Étoit toujours vÊtu de couleur plus ou moins brune avec une lÉgÈre broderie, jamais sur les tailles, quelquefois rien qu’un bouton d’or, quelquefois du velours noir. Toujours une veste de drap ou de satin rouge, ou bleue, ou verte, fort brodÉe. Jamais de bague, et jamais de pierreries qu’À ses boucles de souliers, de jarretiÈres, et de chapeau toujours bordÉ de point d’Espagne avec un plumet blanc. Toujours le cordon bleu dessous, exceptÉ des noces ou autres fÊtes pareilles qu’il le portoit par dessus, fort long avec pour huit ou dix millions de pierreries. Il Étoit le seul de la maison royale et des princes du sang qui portÂt l’Ordre dessous, en quoi fort peu de chevaliers de l’Ordre l’imitoient, et aujourd’hui presque aucun ne le porte dessus, les bons par honte de leurs confrÈres, et ceux-lÀ embarrassÉs de le porter. Jusqu’À la promotion de 1661 inclusivement, les chevaliers de l’Ordre en portoient tous le grand habit À toutes les trois cÉrÉmonies de l’Ordre, y alloient À l’offrande, et y communiant. Le Roi retrancha lors le grand habit, l’offrande et la communion. Henri III l’avoit prescrite À cause des huguenots et de la Ligue. La vÉritÉ est qu’une communion gÉnÉrale, publique, en pompe, prescrite À jour nommÉ trois fois l’an À des courtisans, devient une terrible et bien dangereuse pratique, qu’il a ÉtÉ trÈs bon d’Ôter; mais pour l’offrande, qui Étoit majestueuse, oÙ il n’y a plus que le Roi qui y aille, et le grand habit de l’Ordre rÉduit aux jours de rÉception, et le plus souvent encore seulement pour ceux qui sont reÇus, cela Ôte toute la beautÉ de la cÉrÉmonie. A l’Égard du repas en rÉfectoire avec le Roi, on a dit ailleurs ce qui l’a fait supprimer. LouisXIV ne fut regrettÉ que de ses valets intÉrieurs, de peu d’autres gens, et des chefs de l’affaire de la Constitution. Son successeur n’en Étoit pas en Âge. Madame n’avoit pour lui que de la crainte et de la biensÉance. Mme la duchesse de Berry ne l’aimoit pas, et comptoit aller rÉgner. M. le duc d’OrlÉans n’Étoit pas payÉ pour le pleurer, et ceux qui l’Étoient n’en firent pas leur charge. Mme de Maintenon Étoit excÉdÉe du Roi depuis la perte de la Dauphine; elle ne savoit qu’en faire ni À quoi l’amuser; sa contrainte en Étoit triplÉe, parce qu’il Étoit beaucoup On a vu jusqu’À quelle joie, À quelle barbare indÉcence le prochain point de vue de la toute puissance jeta le duc du Maine. La tranquillitÉ glacÉe de son frÈre ne s’en haussa ni baissa. Madame la Duchesse, affranchie de tous ses liens, n’avoit plus besoin de l’appui du Roi, elle n’en sentoit que la crainte et la contrainte, elle ne pouvoit souffrir Mme de Maintenon; elle ne pouvoit douter de la partialitÉ du Roi pour le duc du Maine dans leur procÈs de la succession de Monsieur le Prince; on lui reprochoit depuis toute sa vie qu’elle n’avoit point de coeur, mais seulement un gisier[124]; elle se trouva donc fort À son aise et en libertÉ, et n’en fit pas grandes faÇons. Mme la duchesse d’OrlÉans me surprit. Je m’Étois attendu À de la douleur; je n’aperÇus que quelques larmes qui, sur tous sujets, lui couloient trÈs aisÉment des yeux, et qui furent bientÔt taries. Son lit, qu’elle aimoit fort, supplÉa À tout pendant quelques jours, avec la faÇon de l’obscuritÉ qu’elle ne haÏssoit pas; mais bientÔt les rideaux des fenÊtres se rouvrirent, et il n’y parut plus qu’en rappelant de fois À autre quelque biensÉance. Pour les princes du sang, c’Étoient des enfants. La duchesse de Ventadour[125] et le marÉchal de Villeroy Tout ce qui la composoit Étoit de deux sortes: les uns, en espÉrance de figurer, de se mÊler, de s’introduire, Étoient ravis de voir finir un rÈgne sous lequel il n’y avoit rien pour eux À attendre; les autres, fatiguÉs d’un joug pesant, toujours accablant, et des ministres bien plus que du Roi, Étoient charmÉs de se trouver au large; tous, en gÉnÉral, d’Être dÉlivrÉs d’une gÊne continuelle, et amoureux des nouveautÉs. Paris, las d’une dÉpendance qui avoit tout assujetti, respira dans l’espoir de quelque libertÉ, et dans la joie de voir finir l’autoritÉ de tant de gens qui en abusoient. Les provinces, au dÉsespoir de leur ruine et de leur anÉantissement, respirÈrent et tressaillirent de joie, et les parlements et toute espÈce de judicature, anÉantie par les Édits et par les Évocations, se flatta, les premiers de figurer, les autres de se trouver affranchis. Le peuple, ruinÉ, accablÉ, dÉsespÉrÉ, rendit grÂces À Dieu, avec un Éclat scandaleux, d’une dÉlivrance dont ses plus ardents desirs ne doutoient plus. Les Étrangers, ravis d’Être enfin, aprÈs un si long cours d’annÉes, dÉfaits d’un monarque qui leur avoit si longuement imposÉ la loi, et qui leur avoit ÉchappÉ par une espÈce de miracle au moment qu’ils comptoient le plus sÛrement de l’avoir enfin subjuguÉ, se continrent avec plus de biensÉance que les FranÇois. Les merveilles des trois quarts premiers de ce rÈgne de plus de soixante-dix L’Empereur en prit le deuil comme d’un pÈre; et quoique il y eÛt quatre ou cinq mois depuis la mort du Roi jusqu’au carnaval, toute espÈce de divertissement fut dÉfendu À Vienne, et observÉ exactement. Le monstrueux fut que, sur la fin du carnaval, il y eut un bal unique, avec une espÈce de fÊte, que le comte du Luc, ambassadeur de France, n’eut pas honte de donner aux dames, qui le sÉduisirent par l’ennui d’un carnaval si triste. Cette complaisance ne le fit pas estimer À Vienne ni ailleurs; en France on se contenta de l’ignorer. Pour nos ministres et les intendants des provinces, les financiers, et ce qu’on peut appeler la canaille, ceux-lÀ sentirent toute l’Étendue de leur perte. Nous allons voir si le royaume eut tort ou raison des sentiments qu’il montra, et s’il trouva bientÔt aprÈs qu’il eÛt gagnÉ ou perdu. |