Dans cette vie oÙ nous ne sommes
Que pour un temps sitÔt fini,
L'instinct des oiseaux et des hommes
Sera toujours de faire un nid;
Et d'un peu de paille et d'argile
Tous veulent se construire, un jour,
Un humble toit, chaud et fragile,
Pour la famille et pour l'amour.
Par les yeux d'une fille d'Eve
Mon coeur profondÉment touchÉ
Avait fait aussi ce doux rÊve
D'un bonheur Étroit et cachÉ.
Rempli de joie et de courage,
A fonder mon nid je songeais;
Mais un furieux vent d'orage
Vient d'emporter tous mes projets;
Et sur mon chemin solitaire
Je vois, triste et le front courbÉ,
Tous mes espoirs brisÉs À terre
Comme les oeufs d'un nid tombÉ.
L'HOROSCOPE
Les deux soeurs Étaient lÀ, les bras entrelacÉs,
Debout devant la vieille aux regards fatidiques,
Qui tournait lentement de ses vieux doigts lassÉs
Sur un coin de haillon les cartes prophÉtiques.
Brune et blonde, et de plus fraÎches comme un matin,
L'une sombre pavot, l'autre blanche anÉmone,
Celle-ci fleur de mai, celle-lÀ fleur d'automne,
Ensemble elles voulaient connaÎtre le destin.
"La vie, hÉlas! sera pour toi bien douloureuse,"
Dit la vieille À la brune au sombre et fier profil.
Celle-ci demanda: "Du moins m'aimera-t-il?
—Oui.—Vous me trompiez donc. Je serai trop heureuse."
"Tu n'auras mÊme pas l'amour d'un autre coeur,"
Dit la vieille À l'enfant blanche comme la neige.
Celle-ci demanda: "Moi, du moins, l'aimerai-je?
—Oui.—Que me disiez-vous? J'aurai trop de bonheur."
L'ATTENTE
Au bout du vieux canal plein de mÂts, juste en face
De l'OcÉan et dans la derniÈre maison,
Assise À sa fenÊtre, et quelque temps qu'il fasse,
Elle se tient, les yeux fixÉs sur l'horizon.
Bien qu'elle ait la pÂleur des Éternels veuvages,
Sa robe est claire; et, bien que les soucis pesants
Aient sur ses traits flÉtris exercÉ leurs ravages,
Ses vÊtements sont ceux des filles de seize ans.
Car depuis bien des jours, patiente vigie,
DÉs l'instant oÙ la mer bleuit dans le matin
Jusqu'À ce qu'elle soit par le couchant rougie,
Elle est assise lÀ, regardant au lointain.
Chaque aurore elle voit une tardive Étoile
S'Éteindre, et chaque soir le soleil s'enfoncer
A cette place oÙ doit reparaÎtre la voile
Qu'elle vit lÀ, jadis, pÂlir et s'effacer.
Son coeur de fiancÉe, immuable et fidÈle,
Attend toujours, certain de l'espoir partagÉ,
Loyal; et rien en elle, aussi bien qu'autour d'elle,
Depuis dix ans qu'il est parti, rien n'a changÉ.
Les quelques doux vieillards qui lui rendent visite,
En la voyant avec ses bandeaux rÉguliers,
Son ruban mince oÙ pend sa mÉdaille bÉnite,
Son corsage À la vierge et ses petits souliers,
La croiraient une enfant ingÉnue et qui boude,
Si parfois ses doigts purs, ivoirins et tremblante,
Alors que sur sa main fiÉvreuse elle s'accoude
Ne livraient le secret des premiers cheveux blancs.
Partout le souvenir de l'absent se rencontre
En mille objets fanÉs et dÉjÀ presque anciens:
Cette lunette en cuivre est À lui, cette montre
Est la sienne, et ces vieux instruments sont les siens.
Il a laissÉ, de peur d'encombrer sa cabine,
Ces gros livres poudreux dans leur oubli profond,
Et c'est lui qui tua d'un coup de carabine
Le monstrueux lÉzard qui s'Étale au plafond.
Ces mille riens, dÉcor naÏf de la muraille,
NaguÈre il les a tous apportÉs de trÈs loin.
Seule, comme un tÉmoin inclÉment et qui raille,
Une carte navale est pendue en un coin;
Sur le tableau jaunÂtre, entre ses noires tringles,
Les vents et les courants se croisent À l'envi;
Et la succession des petites Épingles
N'a pas marquÉ longtemps le voyage suivi.
Elle conduit jusqu'À la ligne tropicale
Le navire vainqueur du flux et du reflux,
Puis cesse brusquement À la derniÈre escale,
Celle d'oÙ le marin, hÉlas! n'Écrivit plus.
Et ce point justement ou sa trace s'arrÊte
Est celui qu'un burin savant fit le plus noir:
C'est l'obscur rendez-vous des flots, oÙ la tempÊte
Creuse un inexorable et profond entonnoir.
Mais elle ne voit pas le tableau redoutable
Et feuillette, l'esprit ailleurs, du bout des doigts,
Les planches d'un herbier Éparses sur la table,
Fleurs pÂles qu'il cueillit aux Indes autrefois.
Jusqu'au soir sa pensÉe extatique et sereine
Songe au chemin qu'il fait en mer pour revenir,
Ou parfois, Évoquant des jours meilleurs, ÉgrÈne
Le chapelet mystique et doux du souvenir;
Et, quand sur l'OcÉan la nuit met son mystÈre,
Calme et fermant les yeux, elle rÊve du chant
Des matelots joyeux d'apercevoir la terre,
Et d'un navire d'or dans le soleil couchant.
CHANSON D'EXIL
Triste exilÉ, qu'il te souvienne
Combien l'avenir Était beau,
Quand sa main tremblait dans la tienne
Comme un oiseau,
Et combien ton Âme Était pleine
D'une bonne et douce chaleur,
Quand tu respirais son haleine
Comme une fleur!
Mais elle est loin, la chÈre idole,
Et tout s'assombrit de nouveau;
Tu sais qu'un souvenir s'envole
Comme un oiseau;
DÉjÀ l'aile du doute plane
Sur ton Âme oÙ naÎt la douleur;
Et tu sais qu'un amour se fane
Comme une fleur.
ROMANCE
Quand vous me montrez une rose
Qui s'Épanouit sous l'azur,
Pourquoi suis-je alors plus morose?
Quand vous me montrez une rose,
C'est que je pense À son front pur.
Quand vous me montrez une Étoile,
Pourquoi les pleurs, comme un brouillard,
Sur mes yeux jettent-ils leur voile?
Quand vous me montrez une Étoile,
C'est que je pense À son regard.
Quand vous me montrez l'hirondelle
Qui part jusqu'au prochain avril,
Pourquoi mon Âme se meurt-elle?
Quand vous me montrez l'hirondelle,
C'est que je pense À mon exil.
LIED
Rougissante et tÊte baissÉe,
Je la vois me sourire encor.
—Pour le doigt de ma fiancÉe
Qu'on me fasse un bel anneau d'or!
Elle part, mais bonne et fidÈle;
Je vais l'attendre en m'affligeant.
—Pour garder ce qui me vient d'elle,
Qu'on me fasse un coffret d'argent!
J'ai sur le coeur un poids Énorme;
L'exil est trop dur et trop long.
—Pour que je me repose et dorme,
Qu'on me fasse un cercueil de plomb!
ÉTOILES FILANTES
Dans les nuits d'automne, errant par la ville,
Je regarde au ciel avec mon dÉsir,
Car si, dans le temps qu'une Étoile file,
On forme un souhait, il doit s'accomplir.
Enfant, mes souhaits sont toujours les mÊmes:
Quand un astre tombe, alors, plein d'Émoi,
Je fais de grands voeux afin que tu m'aimes
Et qu'en ton exil tu penses À moi.
A cette chimÈre, hÉlas! je veux croire,
N'ayant que cela pour me consoler.
Mais voici l'hiver, la nuit devient noire,
Et je ne vois plus d'Étoiles filer.
A UN ÉLÉGIAQUE
Jeune homme, qui me viens lire tes plaintes vaines,
Garde-toi bien d'un mal dont je me suis guÉri.
Jadis j'ai, comme toi, du plus pur de mes veines
TirÉ des pleurs de sang, et le monde en a ri.
Du courage! La plainte est ridicule et lÂche.
Comme l'enfant de Sparte ayant sous ses habits
Un renard furieux qui le mord sans relÂche,
Ne laisse plus rien voir de tes tourments subis.
On fut cruel pour toi. Sois indulgent et juste.
Rends le bien pour le mal, c'est le vrai talion,
Mais, t'Étant bien bardÉ le coeur d'orgueil robuste,
Va! calme comme un sage et seul comme un lion.
Quand mÊme, dans ton sein, les chagrins, noirs reptiles,
Se tordraient, cache bien au public dÉsoeuvrÉ
Que tu gardes en toi des trÉsors inutiles
Comme des lingots d'or sur un vaisseau sombrÉ.
Sois impassible ainsi qu'un soldat sous les armes;
Et lorsque la douleur dressera tes cheveux
Et qu'aux yeux, malgrÉ toi, te monteront des larmes,
N'en conviens pas, enfant, et dis que c'est nerveux!