Sous l'azur triomphal, au soleil qui flamboie,
La trirÈme d'argent blanchit le fleuve noir,
Et son sillage y laisse un parfum d'encensoir
Avec des chants de flÛte et des frissons de soie.
A la proue Éclatante oÙ l'Épervier s'Éploie,
Hors de son dais royal se penchant pour mieux voir,
ClÉopÂtre, debout dans la splendeur du soir,
Semble un grand oiseau d'or qui guette au loin sa proie.
Voici Tarse oÙ l'attend le guerrier dÉsarmÉ;
Et la brune Lagide ouvre dans l'air charmÉ
Ses bras d'ambre oÙ la pourpre a mis des reflets rosÉs;
Et ses yeux n'ont pas vu, prÉsages de son sort,
AuprÈs d'elle, effeuillant sur l'eau sombre des roses,
Les deux Enfants divins, le DÉsir et la Mort.
II—SOIR DE BATAILLE.
Le choc avait ÉtÉ trÈs rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes,
Humaient encor, dans l'air oÙ vibraient leurs voix fortes,
La chaleur du carnage et ses Âcres parfums.
D'un oeil morne, comptant leurs compagnons dÉfunts,
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes,
Tourbillonner au loin les archers de Phraortes;
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.
C'est alors qu'apparut, tout hÉrissÉ de flÈches,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraÎches,
Sous la pourpre flottante et l'airain rutilant,
Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,
Superbe, maÎtrisant son cheval qui s'effare,
Sur le ciel enflammÉ, l'Imperator sanglant!
III.—ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.
Tous deux, ils regardaient, de la haute terrasse,
L'Égypte s'endormir sous un ciel Étouffant
Et le Fleuve, À travers le Delta noir qu'il fend,
Vers Bubaste ou SaÏs rouler son onde grasse.
Et le Romain sentait sous la lourde cuirasse,
Soldat captif berÇant le sommeil d'un enfant,
Ployer et dÉfaillir sur son coeur triomphant
Le corps voluptueux que son Étreinte embrasse.
Tournant sa tÊte pÂle entre ses cheveux bruns,
Vers celui qu'enivraient d'invincibles parfums,
Elle tendit sa bouche et ses prunelles claires.
Et, sur elle courbÉ, l'ardent Imperator
Vit dans ses larges yeux Étoiles de points d'or
Toute une mer immense oÙ fuyaient des galÈres.
LES CONQUÉRANTS
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
FatiguÉs de porter leurs misÈres hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rÊve hÉroÏque et brutal.
Ils allaient conquÉrir le fabuleux mÉtal
Que Cipango mÛrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizÉs inclinaient leurs antennes
Aux bords mystÉrieux du monde occidental.
Chaque soir, espÉrant des lendemains Épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage dorÉ;
Ou, penchÉs À l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignorÉ
Du fond de l'OcÉan des Étoiles nouvelles.