Foyer de la ComÉdie-FranÇaise; À gauche, deux portes par lesquelles on pÉnÈtre sur le thÉÂtre; entre les deux portes, une glace avec des candÉlabres; au fond, une grande cheminÉe sur laquelle est un buste de MoliÈre; devant la cheminÉe, des fauteuils rangÉs en cercle; À droite, deux portes par lesquelles on va dans la salle; aux deux angles du foyer, les bustes de Racine et de Corneille placÉs sur des demi-colonnes; au fond, sur la muraille, et des deux cÔtÉs de la cheminÉe, les portraits de Baron, de la ChampmeslÉ, etc. Au lever du rideau, Mlle Jouvenot, en costume de Zatime, dans Bajazet, est devant la glace, À gauche, et met la derniÈre main À sa coiffure; plus loin, Mlle Dangeville, dans le rÔle de Lisette des Folies amoureuses, est assise et cause avec un jeune seigneur, qui est derriÈre elle appuyÉ sur son SCÈNE PREMIÈREMlle Jouvenot, Mlle Dangeville, Michonnet, Quinault, Poisson MLLE JOUVENOT Michonnet, avez-vous du rouge? MICHONNET Oui, mademoiselle, lÀ, dans ce tiroir. POISSON Michonnet! MICHONNET Monsieur Poisson... POISSON La recette est-elle belle ce soir? MICHONNET Adrienne et la Duclos jouant ensemble dans Bajazet pour la premiÈre fois! plus de cinq mille livres! POISSON Diable! MLLE DANGEVILLE Michonnet! A quelle heure commencera la seconde piÈce, les Folies amoureuses? MICHONNET A huit heures, mademoiselle... QUINAULT, jouant au tric-trac Michonnet! MICHONNET Monsieur Quinault... QUINAULT N’oubliez pas mon poignard. MICHONNET Non... non... (A part.) Michonnet!... toujours Michonnet!... Pas un instant de repos... et À qui la faute?... À moi, qui me suis mis sur le pied de tout surveiller... jusqu’aux accessoires, et qui ne dormirais pas tranquille si je n’avais remis moi-mÊme À Hippolyte son ÉpÉe et À ClÉopÂtre son aspic... Distribuer tous les soirs des parures en rubis ou des bourses pleines d’or... et quinze cents livres d’appointements... quelle ironie!... Si au moins ils m’avaient nommÉ sociÉtaire!... cela ne rapporte pas grand’chose, mais on est de la ComÉdie-FranÇaise... On signe: Michonnet, de la ComÉdie-FranÇaise! Au lieu de cela: premier confident tragique et rÉgisseur gÉnÉral... c’est-À-dire obligÉ d’Écouter les tirades et les ordres de tout le monde... MLLE JOUVENOT Adrienne aura-t-elle ce soir ses diamants? MLLE DANGEVILLE Ceux que lui a donnÉs la reine? MLLE JOUVENOT A ce qu’elle dit! MICHONNET Ces diamants-lÀ lui ont fait bien des ennemis! MLLE JOUVENOT Il n’y a pas de quoi!... Il est si facile d’avoir des diamants... MICHONNET, entre ses dents A vous autres... mais À nous, qui n’avons que nos appointements... ou À celles qui n’ont que leur mÉrite... MLLE JOUVENOT, avec fiertÉ Qu’est-ce À dire?... MICHONNET Rien, mademoiselle, rien!... (A part.) Ah! si tu n’Étais pas sociÉtaire! si je n’avais pas besoin de toi pour le devenir... comme je te rÉpondrais!... comme je t’aurais trouvÉ quelque chose de bien piquant et de bien spirituel!... QUINAULT, d’un air important Échec et mat... Vous n’Êtes pas de force, mon cher... POISSON Quoi! monsieur Quinault! tu ne me tutoies plus!... MLLE DANGEVILLE C’est un manque d’Égards... POISSON Que voulez-vous! depuis que mademoiselle Quinault, sa soeur et notre camarade, a ÉpousÉ le duc de Nevers... il se croit duc et pair par alliance... Voyons, dis-le franchement, veux-tu que je t’appelle monseigneur? QUINAULT Il suffit... Commence-t-on?... MICHONNET Ne craignez rien... je vous avertirai... je suis la pendule du foyer. MLLE JOUVENOT Pendule qui jamais ne retarde! MICHONNET C’est vrai! le moindre manquement dans le rÉpertoire bouleverse tout mon Être, et un jour de clÔture est un jour de relÂche dans mon existence. SCÈNE IIMlle Jouvenot, Mlle Dangeville, et d’autres dames devant la cheminÉe, au fond; Michonnet, sur le devant du thÉÂtre; l’AbbÉ, le Prince et plusieurs seigneurs venant de la salle et entrant par la porte À droite; Quinault et Poisson, sur le devant, À droite, et remontant, aprÈs l’entrÉe des seigneurs, pour aller causer avec eux MICHONNET Allons, encore des Étrangers qui viennent dans nos foyers, dans nos coulisses... (L’abbÉ, le prince et les (Le prince, l’abbÉ, Quinault, Michonnet, descendent sur le devant du thÉÂtre.) L’ABBÉ, s’adressant À Quinault Bonsoir, vizir!... On dit, monsieur Quinault, que vous serez admirable dans Bajazet. LE PRINCE Ainsi que mademoiselle Duclos! MICHONNET Et Adrienne donc!... sublime!... QUINAULT Oui, Ça a fini par la gagner!... (Souriant.) Ce n’est pas sans peine! car, sans me vanter, il n’y a pas dans le rÔle de Roxane une seule intonation que je ne lui aie donnÉe... MICHONNET, avec colÈre Par exemple! QUINAULT, avec hauteur Qu’est-ce que c’est? MICHONNET, s’arrÊtant Rien. (A part.) Encore un qui est sociÉtaire... sans cela!... (Regardant par la porte À droite.) C’est Adrienne qui descend de sa loge... la voici. L’ABBÉ Oui, vraiment, elle Étudie son rÔle! MICHONNET Toute seule! (A part et regardant Quinault.) et sans monsieur... c’est Étonnant! SCÈNE IIIMlle Dangeville, Mlle Jouvenot, prÈs de la glace À gauche; le Prince, Adrienne, entrant par la porte À droite et Étudiant son rÔle; l’AbbÉ, Michonnet, Quinault ADRIENNE, Étudiant Du sultan Amurat je reconnais l’empire: Sortez! Que le sÉrail soit dÉsormais fermÉ... Non, ce n’est pas cela! (Essayant une autre maniÈre.) Sortez! que le sÉrail soit dÉsormais fermÉ; Et que tout rentre ici dans l’ordre accoutumÉ! L’ABBÉ, qui s’approche d’elle Superbe! ADRIENNE Monsieur l’abbÉ de Chazeuil! LE PRINCE Éblouissant! MLLE JOUVENOT Vous voulez parler des diamants? LE PRINCE Ceux de la reine! fort beaux en effet! Quand mademoiselle Lecouvreur voudra s’en dÉfaire, je lui en ai dÉjÀ offert soixante mille livres! (Mlle Jouvenot et Mlle Dangeville remontent vers la cheminÉe qui est au fond du thÉÂtre.—A Adrienne.) Vous Étudiez donc toujours? que cherchez-vous encore? ADRIENNE La vÉritÉ. L’ABBÉ, regardant Quinault Mais vous avez eu des leÇons des premiers maÎtres. MICHONNET, À Quinault, qui veut sortir Restez donc, monsieur Quinault, on ne commence pas encore. L’ABBÉ, À Adrienne Pour le rÔle de Roxane, par example! ADRIENNE Eh! mon Dieu, non, par malheur! (Apercevant Michonnet.) Je me trompe, j’allais Être ingrate en disant que je n’avais pas eu de maÎtre. Il est un homme de coeur, un ami sincÈre et difficile, dont les conseils m’ont toujours guidÉe, dont l’affection m’a toujours soutenue... (Passant prÈs de Michonnet, À qui elle tend la main.) lui! et je ne suis sÛre du succÈs que MICHONNET, À moitiÉ pleurant Ah! Adrienne! vois-tu? ce trait-lÀ... j’Étouffe! L’ABBÉ, qui est passÉ prÈs de Michonnet, À l’extrÊme droite du thÉÂtre Mais, monsieur Michonnet, dites-moi comment, vous qui donnez de si bons conseils, vous Êtes... MICHONNET Comment je suis si mauvais, n’est-ce pas, monsieur l’abbÉ? je me le suis souvent demandÉ. Cela tient, je crois, À ce que je ne suis pas sociÉtaire. L’AVERTISSEUR Messieurs et mesdames, le premier acte va commencer! QUINAULT, au fond Et ces dames, qui ne sont pas prÊtes! ADRIENNE, traversant le thÉÂtre et passant prÈs de la glace À gauche Je le suis. MLLE DANGEVILLE, redescendant Et moi aussi, quoique je ne joue que dans la seconde piÈce! QUINAULT Mais mademoiselle Duclos? MICHONNET Il y a un quart d’heure que je suis entrÉ dans sa loge, oÙ elle Écrivait... tout habillÉe. LE PRINCE Ah! elle Écrivait! MLLE DANGEVILLE En costume! (A l’abbÉ, qui lui parle de prÈs.) Prenez donc garde, l’abbÉ, vous chiffonnez le mien! MICHONNET Il fallait que ce fÛt une ÉpÎtre bien pressÉe! MLLE DANGEVILLE, regardant le prince Ou qu’on attendÎt avec bien de l’impatience. LE PRINCE Qu’est-ce que cela signifie?... MLLE JOUVENOT, À demi-voix, au prince de Bouillon Je vais vous le dire... La femme de chambre de mademoiselle Duclos... LE PRINCE, souriant PÉnÉlope? MLLE JOUVENOT PrÉtendait tout À l’heure, en montrant une lettre, qu’elle avait lÀ un petit billet que monsieur le prince paierait bien cher. LE PRINCE Moi! le payer! MLLE JOUVENOT Ce qui donnerait À penser qu’il n’Était pas pour vous! AprÈs cela, c’est une supposition... parce que chez nous, en fait d’infidÉlitÉs... on suppose volontiers... on bavarde, on cause, on invente, et presque toujours cela se rencontre juste. POISSON, qui est assis prÈs de la table, À droite Le hasard!... LE PRINCE, vivement et À part O ciel! je cours interroger PÉnÉlope. (Bas À l’abbÉ.) Je vais, l’abbÉ, m’occuper de notre affaire... L’ABBÉ A merveille... OÙ vous retrouverai-je? LE PRINCE Ici... aprÈs le troisiÈme acte. L’ABBÉ C’est convenu. MICHONNET Allons, mademoiselle Jouvenot, allons, monsieur Quinault! (Les dames sortent par la porte À gauche qui est celle du thÉÂtre.) QUINAULT, que Michonnet presse toujours Me voici... me voici!... (Rencontrant l’abbÉ À la porte À gauche.) AprÈs vous, monsieur l’abbÉ. L’ABBÉ AprÈs Votre Excellence turque! (Tous les deux sortent par la porte À gauche.) LE PRINCE, À part et se dirigeant vers la porte À droite Je me suis toujours dÉfiÉ de cette petite PÉnÉlope... rien que ce nom-lÀ, au thÉÂtre, devait porter malheur. (Il sort par la porte À droite.) SCÈNE IVAdrienne, assise À gauche, Michonnet MICHONNET, regardant Adrienne, qui s’est remise À Étudier son rÔle À voix basse Dire qu’elle a une amitiÉ pareille pour moi, et voilÀ cinq ans que j’hÉsite toujours À lui avouer... C’est tout simple... elle est sociÉtaire... et je ne le suis pas! elle est jeune, et je ne le suis plus! Et puis aujourd’hui me semble un mauvais jour... attendons À demain... Il est vrai que demain je serai encore moins jeune... D’ailleurs elle n’aime rien... que la tragÉdie... (S’avanÇant en se donnant du courage.) Allons!... (Avec embarras et s’approchant d’Adrienne.) Tu Étudies ton rÔle? ADRIENNE Oui. MICHONNET, avec embarras A propos de rÔle... et si Ça ne te dÉrange pas... moi qui depuis si longtemps... fais les confidents, j’aurais bien À mon tour... quelque chose... ADRIENNE, avec intÉrÊt A me confier... MICHONNET Oui, vraiment!... Tu te rappelles mon grand-oncle, l’Épicier de la rue FÉrou? ADRIENNE Sans doute. MICHONNET Eh bien! ce pauvre homme vient de mourir. ADRIENNE Ah! tant pis! MICHONNET Oui, oui, tant pis! Mais pourtant il me laisse sur son hÉritage dix bonnes mille livres tournois. ADRIENNE Tant mieux! MICHONNET Pas tant tant mieux!... parce que moi, qui n’ai jamais eu tant d’argent, je ne sais qu’en faire, et Ça me tourmente. ADRIENNE, souriant Tant pis, alors... MICHONNET Pas tant... parce que Ça m’a donnÉ une idÉe qui ne me serait peut-Être pas venue sans cela... celle de me marier... ADRIENNE Vous avez raison... (Avec un soupir.) et si je le pouvais aussi... moi... MICHONNET, avec joie Ce ne serait pas loin de ta pensÉe? ADRIENNE N’avez-vous pas remarquÉ qu’ils disent tous, depuis quelque temps: Le talent d’Adrienne est bien changÉ! MICHONNET, vivement C’est vrai!... il augmente!... Jamais tu n’as jouÉ PhÈdre comme avant-hier. ADRIENNE, avec animation et contentement N’est-ce pas?... Ce jour-lÀ, je souffrais tant! j’Étais si malheureuse!... (Souriant.) On n’a pas tous les soirs ce bonheur-lÀ! MICHONNET Et d’oÙ cela venait-il? ADRIENNE On parlait d’un combat!... et pas de nouvelles!... blessÉ... tuÉ peut-Être!... Ah! tout ce qu’il y a dans le coeur de crainte, de douleur, de dÉsespoir, j’ai tout devinÉ, tout souffert!... je puis tout exprimer maintenant, surtout la joie... je l’ai revu! MICHONNET, hors de lui Qu’entends-je, Ô ciel!... tu aimes quelqu’un... ADRIENNE Comment vous le cacher, À vous, mon meilleur ami! MICHONNET, cherchant À se remettre Mais... comment cela est-il arrivÉ? ADRIENNE C’Était À la sortie du bal de l’OpÉra! de jeunes officiers, dont un joyeux souper Égarait sans doute la raison (lequel d’entre eux, sans cela, eÛt osÉ insulter une femme?) voulaient m’empÊcher de regagner ma voiture, lorsqu’un jeune homme que je ne connaissais pas s’Écria: «Messieurs, c’est mademoiselle Lecouvreur... vous la laisserez passer»; et comme mes quatre adversaires... (ils Étaient quatre) se mirent À rire de cet ordre, par un mouvement plus prompt que la parole et avec une force surnaturelle, mon Étrange protecteur renverse, de chaque cÔtÉ et d’un seul coup, deux de ses ennemis, puis m’enlevant dans ses bras et me portant jusqu’À ma voiture, il me dÉpose sur les coussins, au moment oÙ nos jeunes officiers, qui s’Étaient relevÉs, accouraient l’ÉpÉe À la main: «Monsieur, vous me rendrez raison!—TrÈs-volontiers!—Vous commencerez par moi.—Par moi!—par moi!—Lequel choisissez-vous?—Tous,» rÉpondit-il en les chargeant À la fois... et au cri que je poussai: «Ne craignez rien, restez, mademoiselle, me dit-il, vous serez aux premiÈres loges; et nous, messieurs, allons, en scÈne!» Que vous dirai-je? quoique saisie de frayeur, je ne pouvais Mais aux cris de la foule, le guet arrivait de tous cÔtÉs... Nos adversaires, honteux de leur nombre et redoutant les flambeaux, disparaissaient l’un aprÈs l’autre du champ de bataille... Et le combat finit faute de combattants! MICHONNET, vivement Et tu l’as revu? ADRIENNE DÈs le lendemain!... Pouvais-je l’empÊcher de se prÉsenter chez moi, de venir s’informer de mes nouvelles, surtout quand il m’eÛt avouÉ que lui, Étranger, simple officier, n’avait de fortune, de titres, de nom mÊme À attendre que de son courage... VoilÀ ce qui le rendait si redoutable pour moi!... Riche et puissant, peu m’importait; mais pauvre, mais malheureux, mais ne rÊvant, comme moi, que l’amour et la gloire, comment lui rÉsister? MICHONNET O ciel! ADRIENNE Parti, depuis trois mois, pour chercher fortune avec le jeune comte de Saxe, fils du roi de Pologne, son MICHONNET Il viendra! ADRIENNE Me voir jouer Roxane! MICHONNET, vivement Ah! mon Dieu! et dans quel État te voilÀ! Ce trouble... cette Émotion... tu ne pourras rien dÉtailler... rien calculer! ADRIENNE Qu’importe! MICHONNET Ce qu’il importe?... c’est qu’aujourd’hui, pour la premiÈre fois, tu joues ce rÔle avec la Duclos! ADRIENNE, sans l’Écouter Soyez tranquille!... MICHONNET Je ne le suis pas! Il faut du calme et du sang-froid, mÊme dans l’inspiration. La Duclos se possÉdera... elle profitera de ses avantages... tandis que toi... tu ne verras que lui... ADRIENNE, avec passion C’est vrai!... et si dans la salle mon oeil le dÉcouvre... MICHONNET, avec dÉsespoir Tu es perdue!... Ne t’occupe que de ton rÔle... L’amour passe, mais un beau rÔle, une belle crÉation, un triomphe Éclatant, cela reste toujours! (D’un air suppliant.) Voyons! est-ce qu’il ne t’est pas possible de ne pas penser À lui? ADRIENNE HÉlas! non! MICHONNET Pour ce soir du moins! Adrienne, mon enfant, sois magnifique! je t’en supplie, sois magnifique; si ce n’est pas pour moi, eh bien! que ce soit dans l’intÉrÊt mÊme de cette folle passion! L’amour des hommes ne vit que d’amour-propre!... et si la Duclos l’emportait sur toi... si tu n’Étais pas la plus belle!... ADRIENNE, poussant un cri Je le serai! MICHONNET, avec reconnaissance Merci! ADRIENNE, avec Émotion et lui tendant la main C’est plutÔt À moi de vous remercier, mon excellent ami!... MICHONNET, À part Dis plutÔt: imbÉcile de Michonnet! (PrÊt À s’en aller, revenant sur ses pas.) Il y a un endroit que tu nÉgliges toujours: N’aurais-je tout tentÉ que pour une rivale!... Vois-tu, Adrienne... cette pauvre femme! ce qui excite encore plus son dÉpit, c’est que c’est justement pour une rivale que... tu sais... et alors... elle Éprouve... lÀ... elle se dit... Je ne peux pas bien rendre l’expression... mais tu me comprends. ADRIENNE, dÉclamant N’aurais-je tout tentÉ que pour une rivale! MICHONNET, avec joie C’est cela! ADRIENNE Ne craignez rien!... Mais vous... ce que vous vouliez me dire... tout À l’heure... de vos idÉes de mariage? MICHONNET, vivement Non, c’est inutile, ce n’est plus le moment... Je te laisse Étudier. (A part.) Allons, j’ai beau faire, je ne peux pas sortir de mon emploi de confident... Et l’hÉritage de mon oncle, et mes projets... (Essuyant une larme.) Ne pensons plus À rien... À rien au monde!... (Il fait quelques pas pour sortir par la porte À gauche et revient prÈs d’Adrienne qui vient de traverser le thÉÂtre et repasse À droite.) Bois une gorgÉe d’eau en (Il sort.) SCÈNE VMaurice, entrant par la porte À droite et s’avanÇant au milieu du thÉÂtre; Adrienne, À droite, debout, Étudiant et lui tournant le dos ADRIENNE, À droite, Étudiant Mes brigues, mes complots... ma trahison fatale... N’aurais-je tout tentÉ que pour une rivale!... Que pour une rivale!... MAURICE, se tournant du cÔtÉ des bustes et des portraits qu’il regarde C’est beau, le foyer de la ComÉdie-FranÇaise... beau de gloire et de souvenirs... Rien qu’en traversant ces longs corridors, oÙ semblent errer tant d’ombres illustres... on sent lÀ comme un certain respect, surtout quand on y vient, comme moi, pour la premiÈre fois... Aussi, je l’espÈre, personne ne m’y connaÎt... pas mÊme Adrienne... le mystÈre est le dernier Égard que je doive À madame de Bouillon. ADRIENNE, levant les yeux et l’apercevant Maurice! MAURICE Adrienne! ADRIENNE Vous! ici! MAURICE J’Étais arrivÉ le premier, ou peu s’en faut, pour ne rien perdre de vous! ADRIENNE MisÉricorde! on vous aura pris pour un clerc de procureur! MAURICE Soit! ceux-lÀ s’y connaissent aussi bien que d’autres; car, au nom seul d’Adrienne, ils tressaillent et crient: Bravo! Mais la toile s’Était levÉe, je ne voyais que le grand vizir et son confident. ADRIENNE Patience! MAURICE Je n’en ai pas quand je suis si prÈs et si loin de vous... J’ai aperÇu une petite porte par laquelle venait de passer une faÇon de gentilhomme... Puisqu’il entrait, j’en pouvais faire autant... «On ne passe pas! Que demandez-vous?—Mademoiselle Lecouvreur... J’ai À lui parler... Elle m’attend...» ADRIENNE Imprudent!... me compromettre! MAURICE En quoi? Parce qu’on n’est pas gentilhomme de la chambre, on n’a pas le droit de vous admirer de prÈs... Il faut, À l’Écart, dans un coin de la salle, frÉmir ou ADRIENNE, mettant un doigt sur sa bouche Silence! (Lui montrant son costume.) Roxane va vous entendre! Mais avant que je vous renvoie, dites-moi bien vite, car À peine ce matin ai-je pu vous entrevoir... Avez-vous fait de bien belles actions?... me rapportez-vous quelque beau trait bien hÉroÏque? MAURICE Ah! s’il n’avait tenu qu’À moi!... ADRIENNE Vous Êtes trop difficile! Votre jeune gÉnÉral, le comte de Saxe, dont on dit tant de bien, et que je voudrais bien voir, est-il satisfait de vous, monsieur? MAURICE Oh! le comte de Saxe est plus difficile encore que moi... Mais enfin je ne l’ai pas quittÉ et j’ai ÉtÉ blessÉ! ADRIENNE PrÈs de lui? MAURICE TrÈs-prÈs. ADRIENNE C’est bien! l’idÉe seule de vous savoir blessÉ me fait frÉmir, et cependant il me semble qu’en suivant les MAURICE Enfant! ADRIENNE Oh! je m’y connais! je vis au milieu des hÉros de tous les pays, moi! Eh bien! vous avez dans l’accent, dans le coup d’oeil, je ne sais quoi qui sent son Rodrigue et son NicomÈde... aussi, vous arriverez! MAURICE Vous croyez? ADRIENNE Vous arriverez!... je saurai bien t’y forcer. MAURICE Comment? ADRIENNE Je vous vanterai tant le comte de Saxe, votre jeune compatriote, dont toutes ces dames raffolent, qu’il faudra que vous l’Égaliez, ne fÛt-ce que par jalousie! MAURICE, souriant Je n’ai pas idÉe que je sois jamais jaloux de lui! ADRIENNE PrÉsomptueux!... Mais avez-vous vu le ministre? MAURICE Pas encore, mais je vais lui Écrire. ADRIENNE Oh! non, n’Écrivez pas! MAURICE Pourquoi? ADRIENNE Parce que, vous savez... l’orthographe... MAURICE Eh bien? ADRIENNE Eh bien! la premiÈre lettre de vous que j’ai reÇue Était bien chaleureuse, bien tendre, et elle m’a touchÉe profondÉment, mais en mÊme temps elle m’a fait rire aux larmes... une orthographe d’une invention! MAURICE Qu’importe? je ne veux pas Être de l’AcadÉmie. ADRIENNE Ce n’est pas cela qui vous en empÊcherait. Mais vous savez bien que je me suis chargÉe de faire votre Éducation, mon Sarmate, de vous polir l’esprit... MAURICE Et moi, je n’ai point oubliÉ mes promesses! que de fois, lÀ-bas, j’ai appris des scÈnes de Corneille! ADRIENNE, avec admiration Vous pensiez À Corneille? MAURICE Non pas À lui, mais À vous, qui l’interprÉtez si bien! ADRIENNE Et ce petit exemplaire de La Fontaine, que je vous avais donnÉ en partant? MAURICE Il ne m’a jamais quittÉ... il Était lÀ, toujours lÀ... À telles enseignes qu’il m’a sauvÉ d’une balle dont il a gardÉ l’empreinte... voyez plutÔt! ADRIENNE Et vous l’avez lu? MAURICE Ma foi, non! ADRIENNE Pas mÊme la fable des Deux pigeons, que je vous avais recommandÉe? MAURICE C’est vrai... mais, pardonnez-moi, ce n’est qu’une fable. ADRIENNE, d’un air de reproche Une fable! vous ne voyez lÀ qu’une fable! (RÉcitant.) Deux pigeons s’aimaient... (Avec expression.) d’amour tendre... MAURICE Comme nous! ADRIENNE L’un d’eux, s’ennuyant au logis, Fut assez fou pour entreprendre Un voyage en lointain pays! MAURICE Comme moi! ADRIENNE L’autre lui dit: Qu’allez-vous faire? Voulez-vous quitter votre frÈre? L’absence est le plus grand des maux! Non pas pour vous, cruel!... MAURICE Est-ce qu’il y a cela? ADRIENNE, continuant ... HÉlas! dirai-je, il pleut! Mon frÈre a-t-il tout ce qu’il veut, Bon souper, bon gÎte, et le reste? MAURICE, vivement Le reste! ah! aprÈs? aprÈs? ADRIENNE, souriant AprÈs? (Avec finesse.) Ah! cela vous intÉresse donc, monsieur? et si je vous disais les malheurs de celui qui s’Éloigne... et plus encore, ingrat, les tourments de celui qui reste... (Vivement.) Non, non! VoilÀ nos gens rejoints; et je laisse À juger De combien de plaisirs ils payÈrent leurs peines! Amants, heureux amants, voulez-vous voyager? Que ce soit aux rives prochaines! Soyez-vous l’un À l’autre un monde toujours beau, Toujours divers, toujours nouveau, Tenez-vous lieu de tout... comptez pour rien le reste! MAURICE Ah! quand c’est vous qui lisez, quelle diffÉrence! c’est bien mieux que La Fontaine! ADRIENNE Impie! MAURICE A votre voix, mon coeur s’ouvre, mon intelligence s’ÉlÈve, tout me devient facile! ADRIENNE, souriant Tout!... mÊme l’orthographe! MAURICE A quand ma premiÈre leÇon? ADRIENNE Ce soir, aprÈs le spectacle, venez me chercher... Voici mon entrÉe. MAURICE Adieu! ADRIENNE Vous allez dans la salle?... (Vivement.) Vous m’Écouterez... (Avec tendresse.) Tu me regarderas? MAURICE Aux premiÈres, À droite. ADRIENNE Que je vous voie bien! que je vous adresse tous mes vers! je tÂcherai d’Être belle! oh! oui, je serai belle! (Elle sort par la premiÈre porte À gauche.) MAURICE, sortant par la droite A ce soir! SCÈNE VIMlle Jouvenot, le Prince sortant par la seconde porte À gauche LE PRINCE, avec agitation Merci, mademoiselle, merci, je n’oublierai jamais le service que vous m’avez rendu!... MLLE JOUVENOT C’Était donc vrai? LE PRINCE, avec humeur Que trop!... MLLE JOUVENOT, riant Voyez le hasard! enchantÉe de vous avoir ÉtÉ agrÉable! LE PRINCE Ah! vous appelez cela agrÉable!... (Avec colÈre.) Eh bien! oui!... car je ne dÉsirais qu’une occasion de rompre avec elle. MLLE JOUVENOT Il fallait donc le dire!... si j’avais su plus tÔt que cela vous fÎt plaisir!... LE PRINCE, avec impatience Eh! mademoiselle! SCÈNE VIIMlle Jouvenot va s’asseoir devant la cheminÉe du fond et se chauffe les pieds; le Prince, l’AbbÉ, entrant vivement par la seconde porte À droite et se retournant avec agitation LE PRINCE, courant À lui Ah! c’est toi, l’abbÉ!... (S’efforÇant de rire.) Viens donc recevoir mes consolations... ou plutÔt me prodiguer les tiennes. L’ABBÉ Comment cela? LE PRINCE L’aventure la plus piquante pour nous deux... L’ABBÉ, À part Est-ce qu’il s’agit de sa femme? LE PRINCE Pour toi, d’abord... tu sais notre pari de tantÔt, ces deux cents louis... au sujet du comte de Saxe. L’ABBÉ, vivement Le comte de Saxe... je viens de me rencontrer nez À nez avec lui... comme il sortait de ce foyer... il y vient donc? LE PRINCE, vivement Preuve de plus!... et j’aurais, parbleu, bien voulu le voir. L’ABBÉ Nous le trouverons au numÉro trois des premiÈres loges. LE PRINCE A merveille! il s’agissait de dÉcouvrir sa passion rÉgnante... L’ABBÉ Oui, vraiment... LE PRINCE Je n’ai pas ÉtÉ loin pour cela... (Montrant Mlle Jouvenot.) Tout m’a si bien secondÉ qu’il ne te reste plus, mon cher, qu’À t’exÉcuter. L’ABBÉ Sur le vu des preuves... LE PRINCE C’est bien ainsi que je l’entends... lis d’abord et dis-moi ton avis sur ce billet d’invitation... tiens... (Le lui donnant.) Il n’est pas long, mais clair et prÉcis!... L’ABBÉ, lisant «Pour des motifs politiques que vous connaissez mieux que personne, on dÉsire vous entretenir ce soir À dix heures, dans le plus rigoureux tÊte-À-tÊte, en ma petite maison de la Grange-BateliÈre, que j’ai fait derniÈrement meubler. Amour et discrÉtion!»—SignÉ: «Constance»! LE PRINCE, avec colÈre La signature de la perfide Duclos. L’ABBÉ, avec Étonnement Constance! LE PRINCE, avec impatience Eh oui: vraiment! le nom ne fait rien À la chose!... Je tiens ce billet de PÉnÉlope, sa femme de chambre. L’ABBÉ Qui vous l’a remis? LE PRINCE Ou plutÔt vendu À un taux d’autant plus exorbitant... L’ABBÉ Qu’ici ces valeurs-lÀ ne sont pas rares! LE PRINCE, qui pendant ce temps a remontÉ le thÉÂtre, parlant À un domestique Ce billet au numÉro trois des premiÈres, sans dire de quelle part. (Revenant prÈs de l’abbÉ.) Et maintenant, mon cher abbÉ, j’ose compter sur toi!... L’ABBÉ Et pourquoi? LE PRINCE Pour te rendre tÉmoin d’un Éclat que je me dois À moi-mÊme; je veux d’abord ce soir tout briser chez elle. L’ABBÉ C’est du plus mauvais goÛt pour un abbÉ et un savant! LE PRINCE Quand la science est trahie!... L’ABBÉ La science doit savoir se taire!... Le bruit est permis au comte de Saxe... À un soldat, mais À vous, presque parent de la reine... À vous, un homme mariÉ, ce serait un scandale... LE PRINCE On saura toujours l’anecdote... parce qu’ici, au ThÉÂtre-FranÇais... Tiens, (Montrant Mlle Jouvenot qui est À la cheminÉe.) voilÀ dÉjÀ mademoiselle Jouvenot qui n’a encore vu personne, et qui peut-Être a dÉjÀ trouvÉ le moyen de la dire. L’ABBÉ PrÉvenez-la... Racontez l’histoire À tout le monde!... Faites mieux encore!... une vengeance digne de vous... Les deux amants n’avaient-ils pas rÉsolu de passer cette soirÉe dans le plus rigoureux tÊte-À-tÊte, dans cette petite maison qui vous appartient? LE PRINCE Je le crois bien! louÉe et meublÉe À mes frais. L’ABBÉ Raison de plus!... je ferais comme chez moi... un souper galant, dÉlicieux, oÙ j’inviterais ce soir toute la ComÉdie-FranÇaise, toutes ces dames. LE PRINCE, secouant la tÊte Un souper galant... dÉlicieux... L’ABBÉ C’est moi qui paye, j’ai perdu le pari. LE PRINCE, vivement C’est juste! L’ABBÉ Au lieu du tÊte-À-tÊte, une surprise... un coup de thÉÂtre, tableau mythologique. LE PRINCE Mars et VÉnus. L’ABBÉ Surpris par... (S’interrompant.) Ballet-comÉdie, vengeance en un acte! Vous, de votre cÔtÉ, allez faire vos invitations. LE PRINCE Toi, du tien, le plus grand secret avec la Duclos... et nous aurons ce soir un succÈs d’enthousiasme. (On entend un grand bruit de bravos.) Tiens, nous y sommes dÉjÀ. MICHONNET, entrant Eh! oui, c’est Adrienne! Entendez-vous? toute la salle applaudit; mademoiselle Duclos ne sait dÉjÀ plus oÙ elle en est. LE PRINCE, applaudissant Bravo! cela commence. MICHONNET Que dit-il? LE PRINCE, avec colÈre Bravo!... bravo... bravo, Adrienne! (Ils sortent ainsi que Mlle Jouvenot, par la porte À gauche.) MICHONNET, montrant le prince Jusqu’À celui-ci qu’elle a gagnÉ et subjuguÉ... Une preuve pareille de tact et de goÛt. (A part.) Je ne l’en aurais pas cru capable. SCÈNE VIIIMICHONNET, seul, Écoutant vers la gauche Ah! nous voilÀ au monologue, et maintenant quel silence! comme elle les tient tous enchaÎnÉs À sa parole! (Comme s’il l’entendait.) Bien! bien! pas si vite, mon Adrienne! c’est cela! Ah! quel accent, comme c’est vrai! Applaudissez donc, imbÉciles!... (On applaudit.) C’est bien heureux!... divine!... (Il cherche dans la table À droite.) SCÈNE IXMAURICE, entrant par la porte de droite et se dirigeant vers la gauche, MICHONNET, À la table À droite MAURICE, au fond Par saint Arminius, mon patron, maudit soit le duchÉ de Courlande! MICHONNET, cherchant toujours Ah! dans ce tiroir... MAURICE, toujours au fond Manquer À mon rendez-vous avec Adrienne... jamais!... et d’un autre cÔtÉ, ce billet que la Duclos (Il dirige ses pas vers la gauche.) MICHONNET, toujours À la table, À droite OÙ allez-vous, monsieur? MAURICE Je voudrais parler À mademoiselle Lecouvreur. MICHONNET, À part Encore un! et quel air agitÉ! (Haut.) Impossible, monsieur, elle est en scÈne... MAURICE Quand elle en sortira... MICHONNET Elle n’en sortira plus. MAURICE, À part Nouveau contre-temps!... (A Michonnet.) Et veuillez me dire, monsieur?... MICHONNET Pardon, monsieur, d’autres devoirs... (Apercevant Quinault, qui vient de la droite et traverse le thÉÂtre.) Acomat, mon bon, je veux dire monsieur Quinault, voulez-vous remettre À Zatime sa lettre pour Roxane, sa lettre du quatriÈme acte? QUINAULT, avec fiertÉ Moi!... Je vous trouve plaisant!... Pour qui me prenez-vous? MICHONNET Pardon!... Veuillez dire seulement À mademoiselle Jouvenot de ne pas entrer en scÈne sans prendre sa lettre, qui est lÀ sur cette table... QUINAULT C’est bon!... c’est bon!... on le lui dira. (Il entre sur le thÉÂtre, À gauche, pendant que Maurice redescend vers la droite.) MICHONNET, se levant de la table, en riant Il n’est pas de bonne humeur, je comprends... Roxanne va trop bien! ah! la Duclos, qui entre en ce moment... (S’approchant de la gauche.) Oui, Évertue-toi, pauvre fille... pleure... crie!... tu aimes mieux chanter?... chante!... Tu as beau faire, tu es vaincue!... MAURICE, qui s’est assis À droite, prÈs de la table, prend le parchemin que Michonnet vient d’y placer et le dÉroule avec curiositÉ. Rien d’Écrit! Ah! palsambleu! À mon secours les ruses de guerre! (Il Écrit quelques mots au crayon et roule le parchemin, qu’il remet sur la table.) MICHONNET, regardant toujours du cÔtÉ du thÉÂtre, À gauche Adrienne reprend... elle parle À Bajazet, et sa voix est d’une douceur... Ah! si j’Étais sociÉtaire, je jouerais peut-Être les amoureux... On est toujours jeune quand on est sociÉtaire... Je l’entendrais me dire: Écoutez, Bajazet, je sens que je vous aime! MLLE JOUVENOT, sortant vivement de la coulisse, À gauche Eh bien! Michonnet, ma lettre?... ma lettre pour Roxanne, oÙ est-elle? MICHONNET LÀ... sur cette table... Est-ce que Quinault ne vous l’a pas dit? MLLE JOUVENOT Eh! non, vraiment!... Il est si bon camarade! MAURICE, prÉsentant À Mlle Jouvenot le parchemin roulÉ Voici, mademoiselle. MLLE JOUVENOT, lui faisant la rÉvÉrence Merci, monsieur. (Le regardant en sortant.) VoilÀ un officier qui est fort bien, mais trÈs-bien! MICHONNET Eh bien! votre entrÉe? MLLE JOUVENOT Ah! (Elle sort par la coulisse a gauche.) MAURICE, À part, la suivant des yeux Elle aura mes deux mots de la main mÊme de Zatime... et saura que je ne peux la venir chercher ce soir... Mais demain!... demain!... O mon grand-duchÉ de Courlande, vous ne valez pas ce que vous me coÛtez!... Allons À la Grange-BateliÈre. (Il sort par la porte À droite.) MICHONNET, regardant toujours par la gauche Zatime entre en scÈne... Bon! elle n’a pas la lettre... Si! elle l’a... elle la remet À Roxane... Dieu! quel effet!... elle a tressailli... elle se soutient À peine!... et son Émotion est telle, qu’en lisant le billet, son rouge lui est tombÉ du visage... C’est admirable!... (Les applaudissements Éclatent avec force.) Oui, oui... frappez des mains... Bravo! bravo! c’est cela!... sublime! admirable! SCÈNE XMlle Dangeville, Poisson, le Prince, l’AbbÉ, Quinault, Mlle Jouvenot, puis Adrienne entrent vivement par les deux portes de gauche; les autres acteurs et seigneurs vont et viennent au fond, ainsi que Michonnet. MLLE DANGEVILLE Je ne sais pas ce qu’ils ont ce soir; ils applaudissent tous comme des fous. MLLE JOUVENOT Ils se trompent, ma chÈre... ils se croient dÉjÀ aux Folies amoureuses. L’ABBÉ, entrant C’est superbe! MLLE DANGEVILLE C’est absurde!... POISSON Ça me fait rire!... QUINAULT Ça me fait mal! MLLE JOUVENOT Pauvre homme! LE PRINCE Le fait est que jamais je n’ai rien entendu de plus beau... et je m’y connais! ADRIENNE, entrant avec agitation par la gauche, À part AprÈs deux mois d’absence... ah! c’est bien mal!... Allons, du courage! LE PRINCE Et du plaisir!... Vous Êtes des nÔtres. L’ABBÉ Je venais l’inviter. ADRIENNE Moi! L’ABBÉ Au joyeux souper oÙ nous avons toute la ComÉdie-FranÇaise... toutes ces dames. ADRIENNE Impossible! MLLE JOUVENOT, qui est descendue À gauche Par fiertÉ? ADRIENNE, avec bontÉ Oh! non... mais je n’ai pas le coeur À la joie. L’ABBÉ Raison de plus pour vous Égayer... Un souper charmant... oÙ nous vous offrirons ce qu’il y a de mieux, (Montrant les acteurs.) dans les arts, (Montrant le prince.) À la cour, (Se montrant lui-mÊme.) dans le clergÉ... et dans l’ÉpÉe... Le jeune comte de Saxe est des nÔtres! c’est le hÉros de la fÊte! ADRIENNE, vivement Lui que je dÉsirais tant connaÎtre! LE PRINCE En vÉritÉ! ADRIENNE Une demande que j’avais À lui prÉsenter... un lieutenant dont je voulais faire un capitaine. L’ABBÉ Nous vous plaÇons À cÔtÉ de lui... et votre protÉgÉ est colonel... au dessert. ADRIENNE Ah! ce serait bien tentant... Mais la tragÉdie finira tard... je serai fatiguÉe... je n’ai pas de cavalier... L’ABBÉ et LE PRINCE, prÉsentant la main En voici! ADRIENNE Je n’en veux pas! LE PRINCE, vivement Eh bien, vous viendrez seule; vous connaissez la petite maison... de la Duclos... ADRIENNE Ma voisine!... ce beau jardin... LE PRINCE Dont le mur fait face au vÔtre! Voici la clef de la rue... quelques pas seulement... ADRIENNE C’est quelque chose... L’ABBÉ, vivement Vous acceptez? ADRIENNE Je n’ai pas dit cela! LE PRINCE Monsieur Michonnet sera aussi des nÔtres... MICHONNET Comment donc, monsieur le prince, dÈs que mon spectacle de demain sera fait... (A part, regardant Adrienne.) Passer toute la soirÉe avec elle... ADRIENNE, À part Oui! je m’occuperai encore de lui, l’ingrat!... ce sera lÀ ma vengeance! L’AVERTISSEUR, en dehors Le cinquiÈme acte qui commence! ADRIENNE Adieu, adieu, messieurs. (Elle sort par la gauche.) MICHONNET Allons, messieurs... allons, mesdames... MLLE DANGEVILLE, À l’abbÉ Un mot seulement, l’abbÉ. Pourrais-je, pour me donner la main, amener quelqu’un?... L’ABBÉ, riant Le prince de GuÉmÉnÉe? MLLE DANGEVILLE Du tout. L’ABBÉ, de mÊme Un autre? MLLE DANGEVILLE Fi donc! un tÊte-À-tÊte! Pour qui me prenez-vous?... J’en amÈnerai deux... L’ABBÉ, riant A merveille!... MLLE JOUVENOT Et notre toilette pour ce soir... et nos voitures, oÙ seront-elles? L’ABBÉ On songera À tout... et de plus on vous promet... ce qu’on ne vous a pas dit... une surprise, un secret... MLLES JOUVENOT, DANGEVILLE et toutes les autres actrices, accourant et entourant l’abbÉ Ah! qu’est-ce donc... qu’est-ce donc? L’ABBÉ Je ne puis rien dire... vous verrez... vous saurez... MICHONNET, criant Le cinquiÈme acte! voilÀ l’idÉe seule d’une fÊte qui bouleverse tout dans nos coulisses... on ne s’y reconnaÎt plus... A votre rÉplique... À vos rÔles... (A l’abbÉ et au prince.) Et vous, messieurs, je suis obligÉ de vous exiler! (Il se pose entre les seigneurs et les actrices, qu’il sÉpare, et d’un ton tragique:) (Les seigneurs et les actrices se mettent À rire.) |