ACTE CINQUIEME

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L’appartement d’Adrienne: À gauche, une cheminÉe; prÈs de la cheminÉe, un fauteuil et une table; porte au fond; deux portes latÉrales; fauteuils au fond et À droite

SCÈNE PREMIÈRE

Michonnet, À la porte du fond, parlant À une femme de chambre, puis Adrienne, sortant de la porte À gauche

MICHONNET

Oui, je sais que sa porte est fermÉe et qu’il est onze heures! Mais si elle n’est pas encore dÉshabillÉe... vous lui direz que c’est moi, Michonnet!...

ADRIENNE, l’apercevant et courant À lui

Ah!... je vous attendais!...

MICHONNET, À la femme de chambre qui se retire

Vous voyez bien!

ADRIENNE

Je souffrais tant!

MICHONNET

Et moi donc!... Je ne pouvais pas rentrer sans savoir comment tu te trouvais... je n’aurais pu dormir...

ADRIENNE

Depuis que vous Êtes lÀ... je suis mieux!

MICHONNET

Et moi aussi!... AprÈs t’avoir reconduite, je suis passÉ au thÉÂtre, d’oÙ je viens!

ADRIENNE

Le spectacle est-il terminÉ?

MICHONNET

Nous en avons encore pour une heure.

ADRIENNE

Tant mieux!... Je suis si souffrante que je voulais faire dire au thÉÂtre qu’il me sera impossible de jouer demain.

MICHONNET

Je vais y passer... J’arrangerai cela et je viendrai te rendre rÉponse.

ADRIENNE

Que de peines je vous donne!...

MICHONNET

Allons donc!... moi, qui demeure dans ta maison, ne me voilÀ-t-il pas bien malade!... ce n’est pas cela qui m’inquiÈte!

ADRIENNE

Qu’est-ce donc?...

MICHONNET

La scÈne de ce soir... chez cette grande dame! crois-tu donc, qu’exceptÉ son mari, tout le monde n’ait pas compris l’allusion... À commencer par elle...

ADRIENNE

Je l’espÈre bien! Je l’ai blessÉe À mort, n’est-ce pas?... Quelle joie! c’est le seul moment de bonheur que j’aie ÉprouvÉ aprÈs tant de souffrance! A chaque mot de ces derniers vers... il me semblait lui enfoncer un poignard dans le coeur! Et puis, avez-vous lu la terreur sur tous les visages? Avez-vous entendu ce silence? L’avez-vous vue elle-mÊme, en dÉpit de son audace, pÂlir sous mes regards? Ah! j’avais marquÉ d’une tache ineffaÇable:

Ce front qui ne rougit jamais!

MICHONNET

VoilÀ justement ce qui m’effraie!... C’Était trop bien... c’Était trop fort!... Ces grandes dames, si belles et si gracieuses avec leurs guirlandes de fleurs et leurs robes de gaze, c’est vindicatif... c’est mÉchant... tout leur est permis... et elles osent tout! celle-lÀ surtout... À qui justement hier je proposais de jouer le rÔle de ClÉopÂtre... elle a toutes les qualitÉs de l’emploi: elle ne reculera devant aucun moyen... pour se venger d’un affront ou se dÉbarrasser d’une rivale...

ADRIENNE

Eh! que m’importe?... Quel mal peut-elle me faire dÉsormais qui Égale les tourments renfermÉs dans cette pensÉe... dans ce mot: AimÉe!... elle est aimÉe!... Cette blessure faite par moi, il la guÉrit par ses paroles d’amour!... Ses larmes, si elle en rÉpand, il les essuie sous ses baisers!... Et maintenant mÊme... maintenant que mon coeur se brise... elle est heureuse... elle est prÈs de lui... Vous ne savez donc pas que je l’ai suppliÉ, À voix basse, de me suivre, tandis qu’elle lui ordonnait de ne pas la quitter!...

MICHONNET

Eh bien?...

ADRIENNE

Il est restÉ!... restÉ avec elle!... Ah! c’en est trop! je n’y rÉsiste plus!

(Faisant un pas pour sortir et remontant le thÉÂtre.)

MICHONNET

OÙ vas-tu?

ADRIENNE

Me jeter entre eux... les frapper... et aprÈs... qu’on fasse de moi ce qu’on voudra!

MICHONNET

Y penses-tu?

ADRIENNE, redescendant le thÉÂtre et allant se jeter dans un fauteuil À droite

Cela ne vaut-il pas mieux que de mourir ici de jalousie et de dÉsespoir... car, je le sens, j’en mourrai!

MICHONNET

Non! non! par malheur tu t’abuses encore!... c’est une fiÈvre qui ne vous quitte pas, une douleur aiguË de tous les instants... on souffre... on est bien malheureux... mais on n’en meurt pas!... Tu vois bien que j’existe encore!

ADRIENNE, le regardant avec Étonnement

Vous!

MICHONNET

Ah! cela t’Étonne, n’est-ce pas?... Tu ne peux croire que sous cette Épaisse enveloppe il y ait un coeur qui souffre comme le tien... qui aime... qui saigne comme le tien...

ADRIENNE

Quoi! ces tourments, vous les avez ÉprouvÉs?

MICHONNET

Oui... autrefois... il y a bien longtemps... Crois-moi, on s’habitue À tout... mÊme À Être malheureux!

ADRIENNE

Ah! cette force que je ne vous soupÇonnais pas... ce courage que j’admire en vous!... je l’imiterai!... je l’Égalerai, si je le puis... Je triompherai d’une passion insensÉe dont maintenant je rougis!

MICHONNET, avec joie

Dis-tu vrai?

ADRIENNE

Vous voyez bien que je parle de lui sans haine et sans colÈre... que le souvenir de ses outrages me laisse calme et tranquille... que son nom mÊme ne m’Émeut plus!...

(Adrienne traverse le thÉÂtre et va se placer prÈs du fauteuil À gauche, entre la cheminÉe et la table. La porte du fond s’ouvre.)

SCÈNE II

Adrienne, Michonnet, Une Femme de Chambre

LA FEMME DE CHAMBRE

Un coffret qu’on apporte pour madame.

ADRIENNE

Qui l’a apportÉ?

LA FEMME DE CHAMBRE

Un domestique sans livrÉe, qui a dit seulement: De la part de M. le comte de Saxe.

ADRIENNE, poussant un cri

De lui!... (Prenant le coffret des mains de la femme de chambre.) Laissez-nous... laissez-nous... (La femme de chambre sort et Adrienne pose le coffret sur la table et s’assied toute tremblante.) Ah! mon Dieu!... que peut-il me vouloir? ma main tremble... et je ne puis ouvrir...

MICHONNET, À part

Et elle croit qu’elle ne l’aime plus!...

ADRIENNE, vivement

Voyons! voyons! (Poussant un cri de douleur.) Ah!

MICHONNET, vivement

Qu’est-ce donc?...

ADRIENNE

En ouvrant ce coffret... j’ai ÉprouvÉ une sensation douloureuse... un souffle glacial qui parcourait mes sens... c’Était comme un prÉsage du coup qui m’attendait...

MICHONNET

Que contient donc cette boÎte?

ADRIENNE

Mon bouquet! (Le prenant À la main.) Je le reconnais... celui qu’hier je tenais À la main lors de son arrivÉe! demandÉ par lui... donnÉ par moi comme un gage d’amour... il pouvait le dÉdaigner, l’oublier, le jeter À l’Écart! mais me le renvoyer... exprÈs!... mais joindre l’affront au mÉpris...

MICHONNET

Cela ne vient pas de lui, c’est cette rivale qui l’aura forcÉ!

ADRIENNE, se levant avec indignation

Devait-il obÉir? et tout esclave qu’il est, ne devait-il pas se rÉvolter À l’idÉe seule d’insulter celle qu’il a aimÉe! (Retombant sur le fauteuil prÈs de la cheminÉe en tenant À la main le bouquet de fleurs qu’elle regarde quelque temps en silence.) Fleurs d’un jour, hier si Éclatantes, aujourd’hui flÉtries, vous qui aurez durÉ plus longtemps encore que ses promesses! pauvres fleurs, reÇues par lui avec tant d’ivresse et de joie, vous ne pouviez plus rester sur ce coeur oÙ il vous avait placÉes et dont une autre m’a bannie! ExilÉes et dÉdaignÉes comme moi, je cherche en vain sur vos feuilles la trace des baisers qu’il y imprimait!... que celui-ci soit le dernier que vous recevrez, celui d’un adieu Éternel! (Elle porte avec force le bouquet À ses lÈvres.) Oui... oui... il me semble que c’est celui de la mort! et maintenant... qu’il ne reste plus rien de vous, ni de mon amour...

(Elle jette le bouquet dans la cheminÉe.)

MICHONNET

Adrienne!... Adrienne!...

ADRIENNE, se levant et s’appuyant sur le marbre de la cheminÉe

Ne craignez rien! (Portant la main À son coeur.) Cela va mieux! (Regardant du cÔtÉ de la cheminÉe.) Je suis forte maintenant... je n’y pense plus!...

SCÈNE III

Adrienne, Michonnet, Maurice, se prÉcipitant par la porte du fond

MAURICE, À la cantonade et comme parlant À la femme de chambre qui veut le retenir

Elle y sera pour moi, vous dis-je! (Courant À Adrienne.) Adrienne!...

ADRIENNE, se jetant involontairement dans ses bras

Maurice!... (Voulant se dÉgager de ses bras.) Ah! qu’ai-je fait?... laissez-moi! laissez-moi!

MAURICE

Non, je viens tomber À tes pieds! je viens implorer mon pardon! si je ne t’ai pas suivie quand tu me l’ordonnais... c’est que j’Étais retenu par le devoir, par l’honneur... par un bienfait dont le poids m’accablait... je le croyais du moins! et je ne voulais pas laisser finir cette journÉe sans dire À la princesse: «Je ne puis accepter votre or, car je ne vous aime pas, car je ne vous ai jamais aimÉe, car mon coeur est À une autre!...» Mais juge de ma surprise!... aux premiers mots que je lui adresse... en m’Écriant: «Je sais tout! je sais tout!...» tremblante... Éperdue... elle, qui ne tremble jamais... tombe À mes pieds et avec des larmes feintes ou vÉritables m’avoue que l’amour et la jalousie l’ont ÉgarÉe, qu’elle seule est la cause de ma captivitÉ!... elle ose me l’avouer... À moi qui pensais lui devoir ma dÉlivrance...

ADRIENNE

O ciel!...

MAURICE, continuant avec chaleur

A moi qui, honteux et dÉsespÉrÉ de ses bienfaits, venais implorer seulement quelques jours pour m’acquitter, dussÉ-je jouer mon sang et ma vie!... et j’Étais libre... libre de la mÉpriser, de la haÏr... de l’abandonner! libre de courir vers toi et de me rÉfugier À tes pieds!... ma protectrice, mon bon ange... m’y voici! (Tombant À ses genoux.) Ne me repousse pas!

ADRIENNE

Faut-il te croire?

MAURICE

Par le ciel... et l’honneur! je t’ai dit la vÉritÉ... quelque difficile qu’elle soit À expliquer... car, renversÉ du haut de mes espÉrances, arrÊtÉ, jetÉ dans un cachot, j’ignore encore quelle main m’a dÉlivrÉ et j’ai beau chercher, je ne puis dÉcouvrir par qui me sont rendus ma libertÉ, mon ÉpÉe, et un glorieux avenir peut-Être; le sais-tu? peux-tu m’aider À le deviner?

ADRIENNE, baissant les yeux

Je ne sais!... je ne puis dire...

MICHONNET, qui pendant la tirade prÉcÉdente a remontÉ le thÉÂtre, passe vivement entre eux deux.

Que c’est elle!... elle-mÊme!...

ADRIENNE, vivement

Taisez-vous! taisez-vous!

MICHONNET, avec chaleur

C’est elle qui a engagÉ pour vous sa fortune, ses diamants, tout ce qu’elle avait... et plus encore!...

ADRIENNE

Ce n’est pas vrai!

MICHONNET, de mÊme, avec force

C’est vrai!... et s’il faut en donner des preuves, apprenez qu’elle a empruntÉ... empruntÉ À quelqu’un... (Se reprenant.) que je ne connais pas, mais vous pouvez m’en croire, moi!... qui ne veux que son repos... son bonheur... moi qui l’aime comme un pÈre, (Vivement.) oh! oui... comme un pÈre!

ADRIENNE, vivement

Vous pleurez?

MICHONNET

De contentement, d’Émotion... Adieu... tu sais qu’on m’attend au thÉÂtre, et j’y dois Être avant la fin du spectacle... adieu... adieu...

(Il se prÉcipite vers la porte du fond.)

SCÈNE IV

Adrienne, Maurice

MAURICE

Ainsi, Adrienne, c’Était toi?...

ADRIENNE, montrant de la main Michonnet, qui vient de sortir

Et lui, mon meilleur ami, lui qui m’est venu en aide... mais ne parlons plus de cela... tu as acceptÉ...

MAURICE

A une condition... c’est qu’À ton tour tu ne refuseras rien de moi! J’ignore l’avenir qui m’est rÉservÉ, j’ignore si je dois, sur le champ de bataille, gagner ou perdre la couronne ducale que les États de Courlande m’ont dÉcernÉe; mais vainqueur, je jure de partager avec toi le duchÉ que tu m’aides À conquÉrir, de te donner le nom que tu m’aides À immortaliser!

ADRIENNE

Ta femme! moi!

MAURICE

Toi! reine par le coeur et digne de commander À tous! Qui a grandi mon intelligence? Toi. Qui a ÉpurÉ mes sentiments? Toi. Qui a soufflÉ dans mon sein le gÉnie des grands hommes, dont tu es l’interprÈte?... Toi! toujours toi!... Mais, Ô ciel! tu pÂlis!

ADRIENNE

Ne crains rien... tant de bonheur succÉdant À tant de dÉsespoir aura ÉpuisÉ mes forces.

MAURICE, l’aidant À s’asseoir sur le canapÉ

Tu chancelles!

ADRIENNE

En effet, un trouble Étrange, une douleur sourde et inconnue s’est emparÉe de moi... depuis quelques moments... depuis celui oÙ j’ai portÉ À mes lÈvres ce bouquet.

MAURICE

Lequel?

ADRIENNE

Ingrate! je le prenais pour un adieu de dÉpart, et c’Était un message de retour!

MAURICE

Que veux-tu dire?

ADRIENNE

Ces fleurs... envoyÉes par toi dans ce coffret...

MAURICE, passant prÈs de la table

Moi! je ne t’ai rien envoyÉ... ce bouquet, oÙ est il?

ADRIENNE

BrÛlÉ! je croyais que tu nous avais tous deux repoussÉs et dÉdaignÉs... il Était comme moi, il ne pouvait plus vivre!

MAURICE, avec tendresse

Adrienne! mais ta main tremble... tu souffres beaucoup...

ADRIENNE

Non, non, plus maintenant. (Montrant son coeur.) La douleur n’est plus lÀ... (Portant la main À sa tÊte.) mais lÀ... C’est singulier, c’est bizarre... mille objets divers et fantastiques passant devant moi... se succÈdent confusÉment et sans ordre... (A Maurice.) OÙ Étions-nous? qu’est-ce que je te disais? je ne sais plus... Il me semble que mon imagination s’Égare... et que ma raison, que je cherche À retenir, va m’abandonner... (Vivement.) Je ne le veux pas... en la perdant, je perdrais mon bonheur... Oh! non... non... je ne le veux pas! pour lui d’abord, pour Maurice, et puis pour ce soir... On vient d’ouvrir, et la salle est dÉjÀ pleine! Je conÇois leur curiositÉ et leur impatience; on leur promet depuis si longtemps la PsychÉ du grand Corneille!... oh! oui, depuis longtemps... depuis les premiers jours oÙ je vis Maurice... On ne voulait pas remonter l’ouvrage... C’est trop vieux, disait-on... mais, moi, j’y tenais... j’avais une idÉe... Maurice ne m’a pas encore dit: Je vous aime! ni moi non plus... je n’ose pas... et il y a lÀ certains vers que je serais si heureuse de lui adresser, À lui, devant tout le monde sans que personne s’en doute...

MAURICE

Mon amie, ma bien-aimÉe, reviens À toi!

ADRIENNE

Tais-toi donc!... il faut que j’entre en scÈne. Oh! quelle nombreuse, quelle brillante assemblÉe! Comme tous ces regards tournÉs vers moi suivent chacun de mes mouvements!... Ils sont bons, de m’aimer ainsi... Ah! il est dans sa loge... c’est lui... il me sourit... (Murmurant entre ses lÈvres.) Bonjour, Maurice... A toi, PsychÉ, voici ta rÉplique.

Ne les dÉtournez pas, ces yeux qui me dÉchirent,
Ces yeux tendres, ces yeux perÇants, mais amoureux,
Qui semblent partager le trouble qu’ils m’inspirent.
HÉlas! plus ils sont dangereux,
Plus je me plais À m’attacher sur eux!
Par quel ordre du ciel, que je ne puis comprendre,
Vous dis-je plus que je ne dois?
Moi, de qui la pudeur devrait du moins attendre
Que l’amour m’expliquÂt le trouble oÙ je vous vois;
Vous soupirez, seigneur, ainsi que je soupire;
Vos sens, comme les miens, paraissent interdits.
C’est À moi de m’en taire, À vous de me le dire,
Et cependant c’est moi qui vous le dis!

MAURICE, lui prenant la main

Adrienne! Adrienne! elle ne me voit plus... ne m’entend plus... Mon Dieu, l’effroi me glace... que faire?...(Il agite la sonnette qui est sur la table; paraÎt la femme de chambre.) Votre maÎtresse est en danger... courez!... des secours!... Moi, je ne la quitte plus... (La femme de chambre sort.) Ma prÉsence et mes soins lui rendront peut-Être le calme... (Prenant la main d’Adrienne.) Écoute-moi, de grÂce!

ADRIENNE, avec Égarement

Regarde... regarde donc!... Qui entre dans sa loge? qui s’assied prÈs de lui?... Je la reconnais, quoiqu’elle cache son visage! c’est elle!... il lui parle!... (Avec dÉsespoir.) Maurice!... il ne me regarde plus!... Maurice!...

MAURICE

Il est prÈs de toi...

ADRIENNE, sans l’Écouter

Ah! voilÀ leurs yeux qui se rencontrent, leurs mains qui se pressent! voilÀ qu’elle lui dit: Restez!... Et moi, il m’oublie! il me repousse... il ne voit pas que je me meurs!

MAURICE

Adrienne!... par pitiÉ!

ADRIENNE, avec fureur

De la pitiÉ!

MAURICE

Ma voix n’a-t-elle donc plus de pouvoir sur ton coeur?

ADRIENNE

Que me voulez-vous?

MAURICE

Que tu m’Écoutes un seul instant! que tu me regardes, moi... Maurice!

ADRIENNE, le regardant avec Égarement

Maurice!... non... il est prÈs d’elle... il m’oublie!... Va-t’en! va-t’en!

(Poursuivant Maurice, qui recule d’effroi.)

Va lui jurer la foi que tu m’avais jurÉe,
Les dieux, les justes dieux... n’auront pas oubliÉ
Que les mÊmes serments avec moi t’ont liÉ...
Porte... porte aux autels... un coeur qui m’abandonne...
Va, cours, mais crains encor...

(Poussant un cri et reconnaissant Maurice.)

Ah! Maurice!...

(Elle se jette dans ses bras.)

MAURICE

Mon Dieu... venez À mon aide!... et pas de secours!... pas un ami... (Apercevant Michonnet.) Ah! je me trompais!... en voici un!

SCÈNE V

Maurice, Adrienne, Michonnet

MICHONNET, entrant vivement

Ce qu’on m’a dit est-il vrai? Adrienne en danger!

MAURICE

Adrienne se meurt!

MICHONNET, approchant le fauteuil de droite, qu’il place au milieu du thÉÂtre, et sur lequel Maurice dÉpose Adrienne À moitiÉ Évanouie

Non... non... elle respire encore!... tout espoir n’est pas perdu...

MAURICE, s’approchant de l’autre cÔtÉ du fauteuil

Elle ouvre les yeux!

ADRIENNE

Ah! quelles souffrances!... Qui donc est prÈs de moi?... (Avec joie.) Maurice! (Se retournant et voyant Michonnet.) Et vous aussi!... dÈs que je souffrais, vous deviez Être lÀ... Ce n’est plus ma tÊte, c’est ma poitrine, qui est brÛlante... j’ai lÀ comme un brasier... comme un feu dÉvorant qui me consume...

MICHONNET, s’adressant À Maurice

Mais tout me prouve... ne voyez-vous pas comme moi les traces du poison... d’un poison actif et terrible...

MAURICE

Quoi!... tu pourrais soupÇonner...

MICHONNET, avec fureur

Je soupÇonne tout le monde... et cette rivale... cette grande dame!...

MAURICE, poussant un cri d’effroi

Tais-toi!... tais-toi!...

ADRIENNE

Ah! le mal redouble... Vous qui m’aimez tant, sauvez-moi, secourez-moi... Je ne veux pas mourir!... TantÔt j’eusse implorÉ la mort comme un bienfait... j’Étais si malheureuse!... mais À prÉsent je ne veux pas mourir... Il m’aime!... il m’a nommÉe sa femme!

MICHONNET, ÉtonnÉ

Sa femme!

ADRIENNE

Mon Dieu! exaucez-moi!... mon Dieu! laissez-moi vivre... quelques jours encore... quelques jours prÈs de lui... Je suis si jeune, et la vie s’ouvrait pour moi si belle!

MAURICE

Ah! c’est affreux!

ADRIENNE

La vie!... la vie!... Vains efforts!... vaine priÈre!... mes jours sont comptÉs!... je sens les forces et l’existence qui m’Échappent!... (A Maurice.) Ne me quitte pas... bientÔt mes yeux ne te verront plus... bientÔt ma main ne pourra plus presser la tienne!...

MAURICE

Adrienne!... Adrienne!...

ADRIENNE

O triomphes du thÉÂtre! mon coeur ne battra plus de vos ardentes Émotions!... Et vous, longues Études d’un art que j’aimais tant, rien ne restera de vous aprÈs moi... (Avec douleur.) Rien ne nous survit À nous autres... rien que le souvenir... (A ceux qui l’entourent.) le vÔtre, n’est-ce pas? Adieu, Maurice... adieu, mes deux amis!...

MICHONNET, avec dÉsespoir et tombant À ses pieds

Morte... morte!...

MAURICE

O noble et gÉnÉreuse fille! si jamais quelque gloire s’attache À mes jours, c’est À toi que j’en ferai hommage, et toujours unis, mÊme aprÈs la mort, le nom de Maurice de Saxe ne se sÉparera jamais de celui d’Adrienne!

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           

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