Il y avait autrefois, prÈs de Prague, un vieux fermier, trÈs original, qui avait une fille extrÊmement belle. Les nombreux Étudiants de l'universitÉ de Prague faisaient souvent de longues promenades À la campagne, et ils passaient souvent devant la maison, espÉrant voir la jeune fille, qui s'appelait Marie, et faire un peu de conversation avec elle. Le fermier Étant fort riche, plus d'un de ces Étudiants aurait bien aimÉ Être son gendre. Afin de trouver moyen de faire la cour À la jolie Marie, les Étudiants se dÉguisÈrent en domestiques, et vinrent offrir leurs services comme garÇons de ferme. Le vieux propriÉtaire, qui Était trÈs rusÉ, s'aperÇut bientÔt de cette manoeuvre, et il dÉclara qu'il n'accepterait aucun domestique pour moins d'une annÉe, et jura que le garÇon serait forcÉ de rester À son service jusqu'au moment oÙ le coucou chanterait au printemps. Il ajouta qu'il se rÉservait aussi le droit de couper le nez des mÉcontents, en disant qu'on pourrait lui couper le sien, s'il lui arrivait de se mettre en colÈre. MalgrÉ ces conditions bizarres, plusieurs jeunes gens entrÈrent au service du fermier, mais ils perdirent tous le nez, vu que le fermier s'amusait À les faire enrager, et dÈs qu'ils se montraient mÉcontents, il les renvoyait aprÈs leur avoir amputÉ le bout du nez. Un jeune Étudiant, nommÉ Coranda, arriva enfin À la ferme bien rÉsolu d'Épouser la fille du fermier. Celui-ci lui dit qu'il serait obligÉ de travailler jusqu'au moment oÙ le coucou chanterait, mais que s'il lui arrivait une seule fois de se fÂcher il perdrait le nez. Coranda consentit À cet arrangement, et commenÇa son service. Le fermier s'amusa À le tourmenter de toutes les faÇons possibles. A table il ne le servit ni au dÎner ni au souper. Cependant il ne manqua pas de lui demander plusieurs fois s'il Était parfaitement content. Coranda rÉpondit chaque fois avec une bonne humeur que rien ne pouvait Ébranler, et aprÈs souper voyant qu'il mourrait de faim s'il ne se servait pas lui-mÊme, il prit le plus beau jambon qui se trouvait dans le garde-manger et une grosse miche de pain et se rÉgala bien. La fermiÈre s'Étant aperÇue du vol, alla se plaindre À son mari. Il pÂlit de colÈre, et demanda À Coranda comment il avait osÉ se servir lui-mÊme. Coranda rÉpondit naÏvement que n'ayant rien mangÉ de toute la journÉe il avait grand'faim, et ajouta: "Mais si vous n'Êtes pas content, mon maÎtre, vous n'avez qu'À le dire, et je partirai dÈs que je vous aurai amputÉ le bout du nez." Le fermier, qui n'avait aucune envie de subir cette petite opÉration, dÉclara avec emphase, qu'il Était parfaitement content, mais aprÈs cela il n'oublia plus jamais de servir le garÇon de ferme À table. Quand vint le dimanche, le fermier annonÇa À Coranda qu'il comptait aller À l'Église avec sa femme et sa fille, et lui recommanda de faire la soupe pendant leur absence. "VoilÀ la viande, les carottes, les oignons, et la marmite, et vous trouverez du persil dans le jardin." Coranda promit de faire la soupe, et de ne pas oublier le persil, et le maÎtre partit tout joyeux. Le garÇon de ferme commenÇa ses prÉparatifs culinaires, mit la viande et les lÉgumes dans la marmite, puis il alla au jardin pour cueillir du persil. LÀ, il trouva un petit chien, le favori du fermier, et comme cette petite bÊte s'appelait Persil, il la tua et la jeta dans le pot-au-feu. Au retour de la ville, le fermier se mit À table, et goÛta la soupe. Elle avait bien mauvais goÛt, et il fit la grimace. Il n'osa cependant pas se plaindre, de peur de perdre le nez, et appela le petit chien pour la lui faire manger. Bien entendu le chien n'arriva pas, et quand le maÎtre alla À sa recherche, il trouva la peau toute ensanglantÉe de son pauvre favori. "MisÉrable," dit-il À Coranda, "qu'avez-vous donc fait?" "Moi," dit Coranda, "je vous ai tout bonnement obÉi. Vous m'avez dit de mettre du Persil dans la soupe et je l'ai fait; mais si vous n'Êtes pas content, vous n'avez qu'À le dire, je vous couperai le bout du nez, et je partirai tout de suite." "Mais non, mais non," dit le fermier, "je ne suis pas mÉcontent," et il s'en alla en soupirant. Le lendemain le fermier alla au marchÉ avec sa femme et sa fille, et avant de partir il dit À Coranda: "Restez ici, et faites seulement ce que vous verrez faire aux autres." Coranda, restÉ seul, regarda autour de lui et vit que les autres ouvriers avaient placÉ une Échelle contre une vieille grange afin de grimper sur le toit pour le dÉmolir. Il courut donc chercher une Échelle qu'il appuya contre la maison, et il se mit À dÉmolir le toit neuf avec tant d'ardeur, que le fermier trouva sa maison exposÉe À tous les vents À son retour. Ce spectacle le mit en colÈre, mais quand Coranda lui dit qu'il lui couperait le nez s'il n'Était pas content, il sourit avec contrainte et dÉclara qu'il se trouvait parfaitement satisfait. Le fermier, pressÉ de se dÉbarrasser d'un serviteur si incommode, consulta sa fille pour savoir comment il pourrait le renvoyer sans perdre le nez. "Allez vous promener avec lui dans le grand prÉ derriÈre la maison," dit la jeune fille. "Je me cacherai dans les branches du pommier, et je ferai 'coucou, coucou.' Vous lui direz alors que vous l'avez engagÉ seulement jusqu'au printemps, et qu'il peut s'en aller puisque le coucou a chantÉ." Le fermier, charmÉ de cette bonne idÉe, alla se promener avec Coranda, et dÈs qu'il entendit chanter le coucou il lui donna son congÉ. "TrÈs-bien, mon maÎtre," rÉpondit Coranda, "mais comme je n'ai jamais vu de coucou il faut que je voie celui-lÀ." En disant ces mots il courut au pommier et le secoua si vigoureusement que la jeune fille tomba À terre comme une pomme mÛre. Le fermier arriva en courant, car il croyait que la chute avait tuÉ sa fille, et s'Écria: "MisÉrable, partez de suite, si vous ne voulez pas que je vous tue!" "Partir," reprit Coranda, naÏvement, "pourquoi partir? N'Êtes-vous pas content?" "Non," hurla le fermier en colÈre. "Je ne suis pas content et ..." "Alors permettez-moi de vous couper le bout du nez ..." "Non, non," dit le fermier, en dÉtresse, "je veux garder mon nez, coÛte que coÛte. Laissez-le-moi, et je vous donnerai dix moutons!" "Ce n'est pas assez!" dit Coranda. "Dix vaches alors." "Non! je prÉfÈre vous couper le nez!" La jeune fille lui demanda alors À quel prix il consentirait À pardonner À son pÈre, et quand il dit qu'il le ferait seulement À condition de l'obtenir pour femme, elle lui donna la main en rougissant. Coranda invita tous les Étudiants À ses noces, qui furent magnifiques, et il se montra si bon gendre et si bon mari que le fermier ne regretta jamais de l'avoir reÇu dans la famille plutÔt que de perdre son nez. Quant À la fille du fermier, elle aima beaucoup son mari, fut une bonne femme et Éleva ses enfants bien sagement. Quand ils n'Étaient pas contents, elle leur proposait en riant, de leur couper le bout du nez, une proposition qu'ils n'acceptÈrent jamais, je vous assure. |