THEOPHILE GAUTIER VOYAGE

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Il me faut du nouveau n'en fÛt-il plus au monde. JEAN DE LA FONTAINE.

Jam mens praetrepidans avet vagari,
Jam laeti studio pedes vigescunt.
CATULLE.

Au travers de la vitre blanche
Le soleil rit, et sur les murs
TraÇant de grands angles, Épanche
Ses rayons splendides et purs:
Par un si beau temps, À la ville
Rester parmi la foule vile!
Je veux voir des sites nouveaux:
Postillons, sellez vos chevaux.

Au sein d'un nuage de poudre,
Par un galop prÉcipitÉ,
Aussi promptement que la foudre
Comme il est doux d'Être emportÉ!
Le sable bruit sous la roue,
Le vent autour de vous se joue;
Je veux voir des sites nouveaux:
Postillons, pressez vos chevaux.

Les arbres qui bordent la route
Paraissent fuir rapidement,
Leur forme obscure dont l'oeil doute
Ne se dessine qu'un moment;
Le ciel, tel qu'une banderole,
Par-dessus les bois roule et vole;
Je veux voir des sites nouveaux:
Postillons, pressez vos chevaux.

ChaumiÈres, fermes isolÉes,
Vieux chÂteaux que flanque une tour,
Monts arides, fraÎches vallÉes,
ForÊts se suivent tour À tour;
Parfois au milieu d'une brume,
Un ruisseau dont la chute Écume;
Je veux voir des sites nouveaux:
Postillons, pressez vos chevaux.

Puis, une hirondelle qui passe,
Rasant la grÈve au sable d'or,
Puis, semÉs dans un large espace,
Les moutons d'un berger qui dort;
De grandes perspectives bleues,
Larges et longues de vingt lieues;
Je veux voir des sites nouveaux:
Postillons, pressez vos chevaux.

Une montagne: l'on enraye,
Au bord du rapide penchant
D'un mont dont la hauteur effraye:
Les chevaux glissent en marchant,
L'essieu grince, le pavÉ fume,
Et la roue un instant s'allume;
Je veux voir des sites nouveaux:
Postillons, pressez vos chevaux.

La cÔte raide est descendue.
Recouverte de sable fin,
La route, À chaque instant perdue,
S'Étend comme un ruban sans fin.
Que cette plaine est monotone!
On dirait un matin d'automne;
Je veux voir des sites nouveaux:
Postillons, pressez vos chevaux.

Une ville d'un aspect sombre,
Avec ses tours et ses clochers
Qui montent dans les airs, sans nombre,
Comme des mÂts ou des rochers,
OÙ mille lumiÈres flamboient
Au sein des ombres qui la noient;
Je veux voir des sites nouveaux:
Postillons, pressez vos chevaux.

Mais ils sont las, et leurs narines,
Rouges de sang, soufflent du feu;
L'Écume inonde leurs poitrines,
Il faut nous arrÊter un peu.
Halte! demain, plus vite encore,
AussitÔt que poindra l'aurore,
Postillons, pressez vos chevaux,
Je veux voir des sites nouveaux.

TOMBÉE DU JOUR

Le jour tombait, une pÂle nuÉe
Du haut du ciel laissait nonchalamment,
Dans l'eau du fleuve À peine remuÉe,
Tremper les plis de son blanc vÊtement.

La nuit parut, la nuit morne et sereine,
Portant le deuil de son frÈre le jour,
Et chaque Étoile À son trÔne de reine,
En habits d'or s'en vint faire sa cour.

On entendait pleurer les tourterelles,
Et les enfants rÊver dans leurs berceaux;
C'Était dans l'air comme un frÔlement d'ailes,
Comme le bruit d'invisibles oiseaux.

Le ciel parlait À voix basse À la terre;
Comme au vieux temps ils parlaient en hÉbreu,
Et rÉpÉtaient un acte de mystÈre;
Je n'y compris qu'un seul mot: c'Était Dieu.

NOËL

Le ciel est noir, la terre est blanche;
—Cloches, carillonnez gaÎment!—
JÉsus est nÉ;—la Vierge penche
Sur lui son visage charmant.

Pas de courtines festonnÉes
Pour prÉserver l'enfant du froid;
Rien que les toiles d'araignÉes
Qui pendent des poutres du toit.

Il tremble sur la paille fraÎche,
Ce cher petit enfant JÉsus,
Et pour rÉchauffer dans sa crÈche
L'Âne et le boeuf soufflent dessus.

La neige au chaume coud ses franges,
Mais sur le toit s'ouvre le ciel
Et, tout en blanc, le choeur des anges
Chante aux bergers: "NoËl! NoËl!"

FUMÉE

LÀ-bas, sous les arbres s'abrite
Une chaumiÈre au dos bossu;
Le toit penche, le mur s'effrite,
Le seuil de la porte est moussu.

La fenÊtre, un volet la bouche;
Mais du taudis, comme au temps froid
La tiÈde baleine d'une bouche,
La respiration se voit.

Un tire-bouchon de fumÉe,
Tournant son mince filet bleu,
De l'Âme en ce bouge enfermÉe
Porte des nouvelles À Dieu.

CHOC DE CAVALIERS

Hier il m'a semblÉ (sans doute j'Étais ivre)
Voir sur l'arche d'un pont un choc de cavaliers
Tout cuirassÉs de fer, tout imbriquÉs de cuivre,
Et caparaÇonnÉs de harnois singuliers.

Des dragons accroupis grommelaient sur leurs casques,
Des MÉduses d'airain ouvraient leurs yeux hagards
Dans leurs grands boucliers aux ornements fantasques,
Et des noeuds de serpents Écaillaient leurs brassards.

Par moment, du rebord de l'arcade gÉante,
Un cavalier blessÉ perdant son point d'appui,
Un cheval effarÉ tombait dans l'eau bÉante,
Gueule de crocodile entr'ouverte sous lui.

C'Était vous, mes dÉsirs, c'Était vous, mes pensÉes,
Qui cherchiez À forcer le passage du pont,
Et vos corps tout meurtris sous leurs armes faussÉes,
Dorment ensevelis dans le gouffre profond.

LES COLOMBES

Sur le coteau, lÀ-bas oÙ sont les tombes,
Un beau palmier, comme un panache vert,
Dresse sa tÊte, oÙ le soir les colombes
Viennent nicher et se mettre À couvert.

Mais le matin elles quittent les branches:
Comme un collier qui s'ÉgrÈne, on les voit
S'Éparpiller dans l'air bleu, toutes blanches,
Et se poser plus loin sur quelque toit.

Mon Âme est l'arbre oÙ tous les soirs, comme elles,
De blancs essaims de folles visions
Tombent des cieux, en palpitant des ailes,
Pour s'envoler dÉs les premiers rayons.

LAMENTO

Ma belle amie est morte,
Je pleurerai toujours;
Sous la tombe elle emporte
Mon Âme et mes amours.
Dans le ciel, sans m'attendre,
Elle s'en retourna;
L'ange qui l'emmena
Ne voulut pas me prendre.
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s'en aller sur la mer!

La blanche crÉature
Est couchÉe au cercueil.
Comme dans la nature
Tout me paraÎt en deuil!
La colombe oubliÉe
Pleure et songe À l'absent;
Mon Âme pleure et sent
Qu'elle est dÉpareillÉe.
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s'en aller sur la mer!

Sur moi la nuit immense
S'Étend comme un linceul;
Je chante ma romance
Que le ciel entend seul.
Ah! comme elle Était belle
Et comme je l'aimais!
Je n'aimerai jamais
Une femme autant qu'elle;
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s'en aller sur la mer!

TRISTESSE

Avril est de retour.
La premiÈre des roses,
De ses lÈvres mi-closes,
Rit au premier beau jour;
La terre bienheureuse
S'ouvre et s'Épanouit;
Tout aime, tout jouit.
HÉlas! j'ai dans le coeur une tristesse affreuse.

Les buveurs en gaÎtÉ,
Dans leurs chansons vermeilles,
CÉlÈbrent sous les treilles
Le vin et la beautÉ;
La musique joyeuse,
Avec leur rire clair,
S'Éparpille dans l'air.
HÉlas! j'ai dans le coeur une tristesse affreuse.

En dÉshabillÉs blancs,
Les jeunes demoiselles
S'en vont sous les tonnelles
Au bras de leurs galants;
La lune langoureuse
ArgentÉ leurs baisers
Longuement appuyÉs.
HÉlas! j'ai dans le coeur une tristesse affreuse.

Moi, je n'aime plus rien,
Ni l'homme ni la femme,
Ni mon corps, ni mon Âme,
Pas mÊme mon vieux chien.
Allez dire qu'on creuse,
Sous le pÂle gazon,
Une fosse sans nom.
HÉlas! j'ai dans le coeur une tristesse affreuse.

LA CARAVANE

La caravane humaine au Sahara du monde,
Par ce chemin des ans qui n'a pas de retour,
S'en va traÎnant le pied, brÛlÉe aux feux du jour,
Et buvant sur ses bras la sueur qui l'inonde.

Le grand lion rugit et la tempÊte gronde;
A l'horizon fuyard, ni minaret, ni tour;
La seule ombre qu'on ait, c'est l'ombre du vautour,
Qui traverse le ciel cherchant sa proie immonde.

L'on avance toujours, et voici que l'on voit
Quelque chose de vert que l'on se montre au doigt:
C'est un bois de cyprÈs, semÉ de blanches pierres.

Dieu, pour vous reposer, dans le dÉsert du temps,
Comme des oasis, a mis les cimetiÈres:
Couchez-vous et dormez, voyageurs haletants.

PLAINTIVE TOURTERELLE

Plaintive tourterelle,
Qui roucoules toujours,
Veux-tu prÊter ton aile
Pour servir mes amours?

Comme toi, pauvre amante,
Bien loin de mon ramier,
Je pleure et me lamente
Sans pouvoir l'oublier.

Vole et que ton pied rosÉ
Sur l'arbre ou sur la tour
Jamais ne se repose,
Car je languis d'amour.

Évite, Ô ma colombe,
La halte des palmiers
Et tous les toits oÙ tombe
La neige des ramiers.

Va droit sur sa fenÊtre,
PrÈs du palais du roi,
Donne-lui cette lettre
Et deux baisers pour moi.

Puis sur mon sein en flamme,
Qui ne peut s'apaiser,
Reviens, avec son Âme,
Reviens te reposer,

PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS

Tandis qu'À leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgrÉ les averses,
PrÉpare en secret le printemps.

Pour les petites pÂquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisÈle des boutons d'or.

Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer À frimas l'amandier.

La nature au lit se repose;
Lui, descend au jardin dÉsert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.

Tout en composant des solfÈges,
Qu'aux merles il siffle À mi-voix,
Il sÈme aux prÉs les perce-neiges
Et les violettes aux bois.

Sur le cresson de la fontaine
OÙ le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachÉe il ÉgrÈne
Les grelots d'argent du muguet.

Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.

Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son rÈgne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tÊte,
Il dit: "Printemps, tu peux venir!"

L'AVEUGLE

Un aveugle au coin d'une borne,
Hagard comme au jour un hibou,
Sur son flageolet, d'un air morne,
TÂtonne en se trompant de trou,

Et joue un ancien vaudeville
Qu'il fausse imperturbablement;
Son chien le conduit par la ville,
Spectre diurne À l'oeil dormant.

Les jours sur lui passent sans luire;
Sombre, il entend le monde obscur
Et la vie invisible bruire
Comme un torrent derriÈre un mur!

Dieu sait quelles chimÈres noires
Hantent cet opaque cerveau!
Et quels illisibles grimoires
L'idÉe Écrit en ce caveau!

Ainsi dans les puits de Venise,
Un prisonnier À demi fou,
Pendant sa nuit qui s'Éternise,
Grave des mots avec un clou.

Mais peut-Être aux heures funÈbres,
Quand la mort souffle le flambeau,
L'Âme habituÉe aux tÉnÈbres
Y verra clair dans le tombeau!

LA SOURCE

Tout prÈs du lac filtre une source,
Entre deux pierres, dans un coin;
AllÈgrement l'eau prend sa course
Comme pour s'en aller bien loin.

Elle murmure: Oh! quelle joie!
Sous la terre il faisait si noir!
Maintenant ma rive verdoie,
Le ciel se mire À mon miroir.

Les myosotis aux fleurs bleues
Me disent : Ne m'oubliez pas!
Les libellules de leurs queues
M'Égratignent dans leurs Ébats:

A ma coupe l'oiseau s'abreuve;
Qui sait?—AprÈs quelques dÉtours
Peut-Être deviendrai-je un fleuve
Baignant vallons, rochers et tours.

Je broderai de mon Écume
Ponts de pierre, quais de granit,
Emportant le steamer qui fume
A l'OcÉan oÙ tout finit.

Ainsi la jeune source jase,
Formant cent projets d'avenir;
Comme l'eau qui bout dans un vase,
Son flot ne peut se contenir;

Mais le berceau touche À la tombe;
Le gÉant futur meurt petit;
NÉe À peine, la source tombe
Dans le grand lac qui l'engloutit

LE MERLE

Un oiseau siffle dans les branches
Et sautille gai, plein d'espoir,
Sur les herbes, de givre blanches,
En bottes jaunes, en frac noir.

C'est un merle, chanteur crÉdule,
Ignorant du calendrier,
Qui rÊve soleil, et module
L'hymne d'avril en fÉvrier.

Pourtant il vente, il pleut À verse;
L'Arve jaunit le RhÔne bleu,
Et le salon, tendu de perse,
Tient tous ses hÔtes prÈs du feu.

Les monts sur l'Épaule ont l'hermine,
Comme des magistrats siÉgeant;
Leur blanc tribunal examine
Un cas d'hiver se prolongeant.

Lustrant son aile qu'il essuie,
L'oiseau persiste en sa chanson,
MalgrÉ neige, brouillard et pluie,
Il croit À la jeune saison.

Il gronde l'aube paresseuse
De rester au lit si longtemps
Et, gourmandant la fleur frileuse,
Met en demeure le printemps.

Il voit le jour derriÈre l'ombre;
Tel un croyant, dans le saint lieu,
L'autel dÉsert, sous la nef sombre,
Avec sa foi voit toujours Dieu.

A la nature il se confie,
Car son instinct pressent la loi.
Qui rit de ta philosophie,
Beau merle, est moins sage que toi!

L'ART

Oui, l'oeuvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, Émail.

Point de contraintes fausses!
Mais que, pour marcher droit,
Tu chausses,
Muse, un cothurne Étroit.

Fi du rhythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend!

Statuaire, repousse
L'argile que pÉtrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit.

Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur;

Emprunte À Syracuse
Son bronze oÙ fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant;

D'une main dÉlicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.

Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frÊle
Au four de l'Émailleur.

Fais les sirÈnes bleues,
Tordant de cent faÇons
Leurs queues,
Les monstres des blasons;

Dans son nimbe trilobÉ
La Vierge et son JÉsus,
Le globe
Avec la croix dessus.

Tout passe.—L'art robuste
Seul a l'ÉternitÉ.
Le buste
Survit À la citÉ.

Et la mÉdaille austÈre
Que trouve un laboureur
Sous terre
RÉvÈle un empereur.

Les dieux eux-mÊmes meurent.
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.

Sculpte, lime, cisÈle;
Que ton rÊve flottant
Se scelle
Dans le bloc rÉsistant!

VICTOR DE LAPRADE

A UN GRAND ARBRE

L'esprit calme des dieux habite dans les plantes.
Heureux est le grand arbre aux feuillages Épais;
Dans son corps large et sain la sÈve coule en paix,
Mais le sang se consume en nos veines brÛlantes.

A la croupe du mont tu siÈges comme un roi;
Sur ce trÔne abritÉ, je t'aime et je t'envie;
Je voudrais Échanger ton Être avec ma vie,
Et me dresser tranquille et sage comme toi.

Le vent n'effleure pas le sol oÙ tu m'accueilles;
L'orage y descendrait sans pouvoir t'Ébranler;
Sur tes plus hauts rameaux, que seuls on voit trembler,
Comme une eau lente, À peine il fait gÉmir tes feuilles.

L'aube, un instant, les touche avec son doigt vermeil;
Sur tes obscurs rÉseaux semant sa lueur blanche,
La lune aux pieds d'argent descend de branche en branche,
Et midi baigne en plein ton front dans le soleil.

L'Éternelle CybÈle embrasse tes pieds fermes;
Les secrets de son sein, tu les sens, tu les vois;
Au commun rÉservoir en silence tu bois,
EnlacÉ dans ces flancs oÙ dorment tous les germes.

Salut, toi qu'en naissant l'homme aurait adorÉ!
Notre Âge, qui se rue aux luttes convulsives,
Te voyant immobile, a doutÉ que tu vives,
Et ne reconnaÎt plus en toi d'hÔte sacrÉ,

Ah! moi je sens qu'une Âme est lÀ sous ton Écorce:
Tu n'as pas nos transports et nos dÉsirs de feu,
Mais tu rÊves, profond et serein comme un dieu;
Ton immobilitÉ repose sur ta force.

Salut! Un charme agit et s'Échange entre nous.
Arbre, je suis peu fier de l'humaine nature;
Un esprit revÊtu d'Écorce et de verdure
Me semble aussi puissant que le nÔtre, et plus doux.

Verse À flots sur mon front ton ombre qui m'apaise;
Puisse mon sang dormir et mon corps s'affaisser;
Que j'existe un moment sans vouloir ni penser:
La volontÉ me trouble, et la raison me pÈse.

Je souffre du dÉsir, orage intÉrieur;
Mais tu ne connais, toi, ni l'espoir, ni le doute,
Et tu n'as su jamais ce que le plaisir coÛte;
Tu ne l'achÈtes pas au prix de la douleur.

Quand un beau jour commence et quand le mal fait trÊve,
Les promesses du ciel ne valent pas l'oubli;
Dieu mÊme ne peut rien sur le temps accompli;
Nul songe n'est si doux qu'un long sommeil sans rÊve.

Le chÊne a le repos, l'homme a la libertÉ….
Que ne puis-je en ce lieu prendre avec toi racines!
ObÉir, sans penser, À des forces divines,
C'est Être dieu soi-mÊme, et c'est ta voluptÉ.

Verse, ah! verse dans moi tes fraÎcheurs printaniÈres,
Les bruits mÉlodieux des essaims et des nids,
Et le frissonnement des songes infinis;
Pour ta sÉrÉnitÉ je t'aime entre nos frÈres.

Si j'avais, comme toi, tout un mont pour soutien,
Si mes deux pieds trempaient dans la source des choses,
Si l'Aurore humectait mes cheveux de ses roses,
Si mon coeur recÉlait toute la paix du tien;

Si j'Étais un grand chÊne avec ta sÈve pure,
Pour tous, ainsi que toi, bon, riche, hospitalier,
J'abriterais l'abeille et l'oiseau familier
Qui sur ton front touffu rÉpandent le murmure;

Mes feuilles verseraient l'oubli sacrÉ du mal,
Le sommeil, À mes pieds, monterait de la mousse
Et lÀ viendraient tous ceux que la citÉ repousse
Écouter ce silence oÙ parle l'idÉal.

Nourri par la nature, au destin rÉsignÉe,
Des esprits qu'elle aspire et qui la font rÊver,
Sans trembler devant lui, comme sans le braver,
Du bÛcheron divin j'attendrais la cognÉe.

BÉATRIX

Gloire au coeur tÉmÉraire Épris de l'impossible,
Qui marche, dans l'amour, au sentier des douleurs,
Et fuit tout vain plaisir au vulgaire accessible.

Heureux qui sur sa route, invitÉ par les fleurs,
Passe et n'Écarte point leur feuillage ou leurs voiles,
Et, vers l'azur lointain tournant ses yeux en pleurs,

Tend ses bras insensÉs pour cueillir les Étoiles.
Une beautÉ, cachÉe aux dÉsirs trop humains,
Sourit À ses regards, sur d'invisibles toiles;

Vers ses ambitions lui frayant des chemins,
Un ange le soutient sur des brises propices;
Les astres bien aimÉs s'approchent de ses mains;

Les lis du paradis lui prÊtent leurs calices.
BÉatrix ouvre un monde À qui la prend pour soeur,
A qui lutte et se dompte et souffre avec dÉlices,

Et goÛte À s'immoler sa plus chÈre douceur;
Et, joyeux, s'ÉlanÇant au delÀ du visible,
De la porte du ciel s'approche en ravisseur.
Gloire au coeur tÉmÉraire Épris de l'impossible!

LE DROIT D'AINESSE

Te voilÀ fort et grand garÇon,
Tu vas entrer dans la jeunesse;
ReÇois ma derniÈre leÇon:
Apprends quel est ton droit d'aÎnesse.

Pour le connaÎtre en sa rigueur
Tu n'as pas besoin d'un gros livre;
Ce droit est Écrit dans ton coeur….
Ton coeur! c'est la loi qu'il faut suivre,

Afin de le comprendre mieux,
Tu vas y lire avec ton pÈre,
Devant ces portraits des aÏeux
Qui nous aideront, je l'espÈre.

Ainsi que mon pÈre l'a fait,
Un brave aÎnÉ de notre race
Se montre fier et satisfait
En prenant la plus dure place.

A lui le travail, le danger,
La lutte avec le sort contraire;
A lui l'orgueil de protÉger
La grande soeur, le petit frÈre.

Son Épargne est le fonds commun
OÙ puiseront tous ceux qu'il aime;
Il accroÎt la part de chacun
De tout ce qu'il s'Ôte À lui-mÊme.

Il voit, au prix de ses efforts,
Suivant les traces paternelles,
Tous les frÈres savants et forts,
Toutes les soeurs sages et belles.

C'est lui qui, dans chaque saison,
Pourvoyeur de toutes les fÊtes,
Fait abonder dans la maison
Les fleurs, les livres des poÈtes.

Il travaille, enfin, nuit et jour:
Qu'importe! les autres jouissent.
N'est-il pas le pÈre À son tour?
S'il vieillit, les enfants grandissent!

Du poste oÙ le bon Dieu l'a mis
Il ne s'Écarte pas une heure;
Il y fait tÊte aux ennemis,
Il y mourra, s'il faut qu'il meure!

Quand le berger manque au troupeau,
Absent, hÉlas! oÙ mort peut-Être,
Tel, pour la brebis et l'agneau,
Le bon chien meurt aprÈs son maÎtre.

Ainsi, quand Dieu me reprendra,
Tu sais, dans notre humble hÉritage,
Tu sais le lot qui t'Écherra
Et qui te revient sans partage.

Nos chers petits seront heureux,
Mais il faut qu'en toi je renaisse.
Veiller, lutter, souffrir pour eux….
VoilÀ, mon fils, ton droit d'aÎnesse!

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           

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