Ce livre est toute ma jeunesse; Je l'ai fait sans presque y songer. Il y paraÎt, je le confesse, Et j'aurais pu le corriger.
Mais quand l'homme change sans cesse, Au passÉ pourquoi rien changer? Va-t'en, pauvre oiseau passager; Que Dieu te mÈne À ton adresse!
Qui que tu sois, qui me liras, Lis-en le plus que tu pourras, Et ne me condamne qu'en somme.
Mes premiers vers sont d'un enfant, Les seconds d'un adolescent, Les derniers À peine d'un homme.
STANCES
Que j'aime À voir, dans la vallÉe DÉsolÉe, Se lever comme un mausolÉe Les quatre ailes d'un noir moutier! Que j'aime À voir, prÉs de l'austÈre MonastÈre, Au seuil du baron feudataire, La croix blanche et le bÉnitier!
Vous, des antiques PyrÉnÉes Les aÎnÉes, Vieilles Églises dÉcharnÉes, Maigres et tristes monuments, Vous que le temps n'a pu dissoudre, Ni la foudre, De quelques grands monts mis en poudre N'Êtes-vous pas les ossements?
J'aime vos tours À tÊte grise, OÙ se brise L'Éclair qui passe avec la brise. J'aime vos profonds escaliers Qui, tournoyant dans les entrailles Des murailles, A l'hymne Éclatant des ouailles Font rÉpondre tous les piliers!
Oh! lorsque l'ouragan qui gagne La campagne, Prend par les cheveux la montagne, Que le temps d'automne jaunit, Que j'aime, dans le bois qui crie Et se plie, Les vieux clochers de l'abbaye, Comme deux arbres de granit!
Que j'aime À voir dans les vesprÉes EmpourprÉes, Jaillir en veines diaprÉes Les rosaces d'or des couvents! Oh! que j'aime, aux voÛtes gothiques Des portiques, Les vieux saints de pierre athlÉtiques Priant tout bas pour les vivants!
LA NUIT DE MAI
LA MUSE.
PoÈte, prends ton luth et me donne un baiser; La fleur de l'Églantier sent ses bourgeons Éclore. Le printemps naÎt ce soir; les vents vont s'embraser; Et la bergeronnette, en attendant l'aurore, Aux premiers buissons verts commence À se poser. PoÈte, prends ton luth, et me donne un baiser.
LE POÈTE.
Comme il fait noir dans la vallÉe! J'ai cru qu'une forme voilÉe Flottait lÀ-bas sur la forÊt. Elle sortait de la prairie; Son pied rasait l'herbe fleurie; C'est une Étrange rÊverie; Elle s'efface et disparaÎt.
LA MUSE.
PoÈte, prends ton luth; la nuit, sur la pelouse, Balance le zÉphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacrÉ qu'elle enivre en mourant. Écoute! tout se tait; songe À ta bien-aimÉe. Ce soir, sous les tilleuls, À la sombre ramÉe Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir: l'immortelle nature Se remplit de parfums, d'amour et de murmure Comme le lit joyeux de deux jeunes Époux.
LE POÈTE.
Pourquoi mon coeur bat-il si vite? Qu'ai-je donc en moi qui s'agite Dont je me sens ÉpouvantÉ? Ne frappe-t-on pas À ma porte? Pourquoi ma lampe À demi morte M'Éblouit-elle de clartÉ? Dieu puissant! tout mon corps frissonne. Qui vient? qui m'appelle?—Personne. Je suis seul; c'est l'heure qui sonne; O solitude! Ô pauvretÉ!
LA MUSE.
PoÈte, prends ton luth; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet; la voluptÉ l'oppresse, Et les vents altÉrÉs m'ont mis la lÈvre en feu. O paresseux enfant! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas, Quand je te vis si pÂle au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras? Ah! je t'ai consolÉ d'une amÉre souffrance! HÉlas! bien jeune encor, tu te mourais d'amour. Console-moi ce soir, je me meurs d'espÉrance; J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour.
LE POÈTE.
Est-ce toi dont la voix m'appelle, O ma pauvre Muse! est-ce toi? O ma fleur! Ô mon immortelle! Seul Être pudique et fidÈle OÙ vive encor l'amour de moi! Oui, te voilÀ, c'est toi, ma blonde, C'est toi, ma maÎtresse et ma soeur! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d'or qui m'inonde Les rayons glisser dans mon coeur.
LA MUSE.
PoÈte, prends ton luth; c'est moi, ton immortelle, Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvÉe appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gÉmi dans ton coeur; Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu; chantons dans tes pensÉes; Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passÉes; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu. Éveillons au hasard les Échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,
Et que ce soit un rÊve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux oÙ l'on oublie; Partons, nous sommes seuls, l'univers est À nous. Voici la verte Ecosse et la brune Italie, Et la GrÈce, ma mÈre, oÙ le miel est si doux, Argos, et PtÉlÉon, ville des hÉcatombes, Et Messa, la divine, agrÉable aux colombes; Et le front chevelu du PÉlion changeant; Et le bleu TitarÈse, et le golfe d'argent Qui montre dans ses eaux, oÙ le cygne se mire, La blanche Oloossone À la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer? D'oÙ vont venir les pleurs que nous allons verser? Ce matin, quand le jour a frappÉ ta paupiÈre, Quel sÉraphin pensif, courbÉ sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe lÉgÈre, Et te contait tout bas les amours qu'il rÊvait? Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie? Tremperons nous de sang les bataillons d'acier? Suspendrons-nous l'amant sur l'Échelle de soie? Jetterons-nous au vent l'Écume du coursier? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison cÉleste, allume nuit et jour L'huile sainte de vie et d'Éternel amour Crierons-nous À Tarquin: "Il est temps, voici l'ombre!" Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers? MÈnerons-nous la chÈvre aux ÉbÉniers amers? Montrerons-nous le ciel À la MÉlancolie? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpÉs? La biche le regarde; elle pleure et supplie; Sa bruyÈre l'attend; ses faons sont nouveau-nÉs; Il se baisse, il l'ÉgorgÉ, il jette À la curÉe Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant. Peindrons-nous une vierge À la joue empourprÉe, S'en allant À la messe, un page la suivant, Et d'un regard distrait, À cÔtÉ de sa mÈre, Sur sa lÈvre entr'ouverte oubliant sa priÈre? Elle Écoute en tremblant, dans l'Écho du pilier, RÉsonner l'Éperon d'un hardi cavalier. Dirons-nous aux hÉros des vieux temps de la France De monter tout armÉs aux crÉneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naÏve romance Que leur gloire oubliÉe apprit aux troubadours? VÊtirons-nous de blanc une molle ÉlÉgie? L'homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu'il a fauchÉ du troupeau des humains Avant que l'envoyÉ de la nuit Éternelle VÎnt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains? Clouerons-nous au poteau d'une satire altiÈre Le nom sept fois vendu d'un pÂle pamphlÉtaire, Qui, poussÉ par la faim, du fond de son oubli, S'en vient, tout grelottant d'envie et d'impuissance, Sur le front du gÉnie insulter l'espÉrance, Et mordre le laurier que son souffle a sali? Prends ton luth! prends ton luth! je ne peux plus me taire; Mon aile me soulÈve au souffle du printemps. Le vent va m'emporter; je vais quitter la terre. Une larme de toi! Dieu m'Écoute; il est temps.
LE POÈTE.
S'il ne te faut, ma soeur chÉrie, Qu'un baiser d'une lÈvre amie Et qu'une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine; De nos amours qu'il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l'espÉrance, Ni la gloire, ni le bonheur, HÉlas! pas mÊme la souffrance. La bouche garde le silence Pour Écouter parler le coeur.
LA MUSE.
Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau? O poÈte! un baiser, c'est moi qui te le donne. L'herbe que je voulais arracher de ce lieu. C'est ton oisivetÉ; ta douleur est À Dieu. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s'Élargir, cette sainte blessure Que les noirs sÉraphins t'ont faite au fond du coeur; Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur. Mais, pour en Être atteint, ne crois pas, Ô poÈte, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus dÉsespÉrÉs sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pÉlican, lassÉ d'un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne À ses roseaux, Ses petits affamÉs courent sur le rivage En le voyant au loin s'abattre sur les eaux. DÉjÀ, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent À leur pÈre avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goÎtres hideux. Lui, gagnant À pas lents une roche ÉlevÉe, De son aile pendante abritant sa couvÉe, PÊcheur mÉlancolique, il regarde les cieux. Le sang coule À longs flots de sa poitrine ouverte; En vain il a des mers fouillÉ la profondeur: L'OcÉan Était vide et la plage dÉserte; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, Étendu sur la pierre, Partageant À ses fils ses entrailles de pÈre, Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle, Ivre de voluptÉ, de tendresse et d'horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, FatiguÉ de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;
Alors il se soulÈve, ouvre son aile au vent, Et se frappant le coeur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funÈbre adieu, Que les oiseaux de mer dÉsertent le rivage, Et que le voyageur attardÉ sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande À Dieu. PoÈte, c'est ainsi que font les grands poÈtes. Ils laissent s'Égayer ceux qui vivent un temps; Mais les festins humains qu'ils servent À leurs fÊtes Ressemblent la plupart À ceux des pÉlicans. Quand ils parlent ainsi d'espÉrances trompÉes, De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur, Ce n'est pas un concert À dilater le coeur. Leurs dÉclamations sont comme des ÉpÉes: Elles tracent dans l'air un cercle Éblouissant, Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.
LE POÈTE.
O Muse! spectre insatiable, Ne m'en demande pas si long. L'homme n'Écrit rien sur le sable A l'heure oÙ passe l'aquilon. J'ai vu le temps oÙ ma jeunesse Sur mes lÈvres Était sans cesse PrÊte À chanter comme un oiseau; Mais j'ai souffert un dur martyre, Et le moins que j'en pourrais dire, Si je l'essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau.
LA NUIT DE DÉCEMBRE
Du temps que j'Étais Écolier, Je restais un soir À veiller
Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s'asseoir Un pauvre enfant vÊtu de noir, Qui me ressemblait comme un frÈre.
Son visage Était triste et beau: À la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. Il pencha son front sur ma main, Et resta jusqu'au lendemain, Pensif, avec un doux sourire.
Comme j'allais avoir quinze ans, Je marchais un jour, À pas lents, Dans un bois, sur une bruyÈre. Au pied d'un arbre vint s'asseoir Un jeune homme vÊtu de noir, Qui me ressemblait comme un frÈre.
Je lui demandai mon chemin; Il tenait un luth d'une main, De l'autre un bouquet d'Églantine. Il me fit un salut d'ami, Et, se dÉtournant À demi, Me montra du doigt la colline.
A l'Âge oÙ l'on croit À l'amour, J'Étais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma premiÈre misÈre. Au coin de mon feu vint s'asseoir Un Étranger vÊtu de noir, Qui me ressemblait comme un frÈre.
Il Était morne et soucieux; D'une main il montrait les cieux, Et de l'autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu'un soupir, Et s'Évanouit comme un rÊve.
A l'Âge oÙ l'on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevai mon verre. En face de moi vint s'asseoir Un convive vÊtu de noir, Qui me ressemblait comme un frÈre.
Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tÊte un myrte stÉrile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main dÉbile.
Un an aprÈs, il Était nuit, J'Étais À genoux prÉs du lit OÙ venait de mourir mon pÈre. Au chevet du lit vint s'asseoir Un orphelin vÊtu de noir, Qui me ressemblait comme un frÈre.
Ses yeux Étaient noyÉs de pleurs; Comme les anges de douleurs, Il Était couronnÉ d'Épine; Son luth À terre Était gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine.
Je m'en suis si bien souvenu, Que je l'ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C'est une Étrange vision, Et cependant, ange ou dÉmon, J'ai vu partout cette ombre amie.
Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaÎtre ou pour en finir, J'ai voulu m'exiler de France; Lorsqu' impatient de marcher, J'ai voulu partir, et chercher Les vestiges d'une espÉrance;
A PisÉ, au pied de l'Apennin; A Cologne, en face du Rhin ; A Nice, au penchant des vallÉes; A Florence, au fond des palais; A Brigues, dans les vieux chalets; Au sein des Alpes dÉsolÉes;
A GÊnes sous les citronniers; A Vevay, sous les verts pommiers; Au Havre, devant l'Atlantique; A Venise, À l'affreux Lido, OÙ vient sur l'herbe d'un tombeau Mourir la pÂle Adriatique;
Partout oÙ, sous ces vastes cieux, J'ai lassÉ mon coeur et mes yeux, Saignant d'une Éternelle plaie; Partout oÙ le boiteux Ennui, TraÎnant ma fatigue aprÈs lui, M'a promenÉ sur une claie;
Partout oÙ, sans cesse altÉrÉ De la soif d'un monde ignorÉ, J'ai suivi l'ombre de mes songes; Partout oÙ, sans avoir vÉcu, J'ai revu ce que j'avais vu, La face humaine et ses mensonges;
Partout oÙ, le long des chemins, J'ai posÉ mon front dans mes mains. Et sanglotÉ comme une femme; Partout oÙ j'ai, comme un mouton. Qui laisse sa laine au buisson, Senti se dÉnuer mon Âme;
Partout oÙ j'ai voulu dormir, Partout oÙ j'ai voulu mourir, Partout oÙ j'ai touchÉ la terre, Sur ma route est venu s'asseoir Un malheureux vÊtu de noir, Qui me ressemblait comme un frÈre.
Qui donc es-tu, toi que dans cette vie Je vois toujours sur mon chemin? Je ne puis croire, À ta mÉlancolie, Que tu sois mon mauvais Destin. Ton doux sourire a trop de patience, Tes larmes ont trop de pitiÉ. En te voyant, j'aime la Providence. Ta douleur mÊme est soeur de ma souffrance; Elle ressemble À l'AmitiÉ.
Qui donc es-tu?—Tu n'es pas mon bon ange; Jamais tu ne viens m'avertir. Tu vois mes maux (c'est une chose Étrange!), Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie, Et je ne saurais t'appeler. Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie? Tu me souris sans partager ma joie, Tu me plains sans me consoler!
Ce soir encor je t'ai vu m'apparaÎtre. C'Était par une triste nuit. L'aile des vents battait À ma fenÊtre; J'Étais seul, courbÉ sur mon lit. J'y regardais une place chÉrie, TiÈde encor d'un baiser brÛlant; Et je songeais comme la femme oublie, Et je sentais un lambeau de ma vie, Qui se dÉchirait lentement.
Je rassemblais des lettres de la veille,
Des cheveux, des dÉbris d'amour. Tout ce passÉ me criait À l'oreille Ses Éternels serments d'un jour. Je contemplais ces reliques sacrÉes, Qui me faisaient trembler la main ; Larmes du coeur par le coeur dÉvorÉes, Et que les yeux qui les avaient pleurÉes Ne reconnaÎtront plus demain!
J'enveloppais dans un morceau de bure Ces ruines des jours heureux. Je me disais qu'ici-bas ce qui dure, C'est une mÈche de cheveux. Comme un plongeur dans une mer profonde, Je me perdais dans tant d'oubli. De tous cÔtÉs j'y retournais la sonde, Et je pleurais seul, loin des yeux du monde, Mon pauvre amour enseveli.
J'allais poser le sceau de cire noire Sur ce fragile et cher trÉsor. J'allais le rendre, et n'y pouvant pas croire, En pleurant j'en doutais encor. Ah! faible femme, orgueilleuse insensÉe, MalgrÉ toi, tu t'en souviendras! Pourquoi, grand Dieu! mentir À sa pensÉe? Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressÉe, Ces sanglots, si tu n'aimais pas?
Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures; Mais ta chimÈre est entre nous. Eh bien, adieu! Vous compterez les heures Qui me sÉpareront de vous. Partez, partez, et dans ce coeur de glace Emportez l'orgueil satisfait. Je sens encor le mien jeune et vivace, Et bien des maux pourront y trouver place Sur le mal que vous m'avez fait.
Partez, partez! la Nature immortelle N'a pas tout voulu nous donner. Ah! pauvre enfant, qui voulez Être belle, Et ne savez pas pardonner! Allez, allez, suivez la destinÉe; Qui vous perd n'a pas tout perdu. Jetez au vent notre amour consumÉe;— Éternel Dieu! toi que j'ai tant aimÉe, Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu?
Mais tout À coup j'ai vu dans la nuit sombre Une forme glisser sans bruit. Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre; Elle vient s'asseoir sur mon lit. Qui donc es-tu, morne et pÂle visage, Sombre portrait vÊtu de noir? Que me veux-tu, triste oiseau de passage? Est-ce un vain rÊve? est-ce ma propre image Que j'aperÇois dans ce miroir?
Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse, PÈlerin que rien n'a lassÉ? Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse Assis dans l'ombre oÙ j'ai passÉ. Qui donc es-tu, visiteur solitaire, HÔte assidu de mes douleurs? Qu'as-tu donc fait pour me suivre sur terre? Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frÈre, Qui n'apparais qu'au jour des pleurs?
LA VISION.
Ami, notre pÈre est le tien. Je ne suis ni l'ange gardien, Ni le mauvais destin des hommes. Ceux que j'aime, je ne sais pas De quel cÔtÉ s'en vont leurs pas Sur ce peu de fange oÙ nous sommes.
Je ne suis ni dieu ni dÉmon, Et tu m'as nommÉ par mon nom Quand tu m'as appelÉ ton frÈre; OÙ tu vas, j'y serai toujours, Jusques au dernier de tes jours, OÙ j'irai m'asseoir sur ta pierre. Le ciel m'a confiÉ ton coeur. Quand tu seras dans la douleur,
Viens À moi sans inquiÉtude, Je te suivrai sur le chemin; Mais je ne puis toucher ta main; Ami, je suis la Solitude.
STANCES À LA MALIBRAN
Sans doute il est trop tard pour parier encor d'elle; Depuis qu'elle n'est plus quinze jours sont passÉs, Et dans ce pays-ci quinze jours, je le sais, Font d'une mort rÉcente une vieille nouvelle. De quelque nom d'ailleurs que le regret s'appelle, L'homme, par tout pays, en a bien vite assez.
O Maria-FÉlicia! le peintre et le poÈte Laissent, en expirant, d'immortels hÉritiers; Jamais l'affreuse nuit ne les prend tout entiers. A dÉfaut d'action, leur grande Âme inquiÈte De la mort et du temps entreprend la conquÊte, Et, frappÉs dans la lutte, ils tombent en guerriers.
Celui-lÀ sur l'airain a gravÉ sa pensÉe; Dans un rhythme dorÉ l'autre l'a cadencÉe; Du moment qu'on l'Écoute, on lui devient ami. Sur sa toile, en mourant, RaphaËl l'a laissÉe; Et, pour que le nÉant ne touche point À lui, C'est assez d'un enfant sur sa mÈre endormi.
Comme dans une lampe une flamme fidÈle, Au fond du Parthenon le marbre inhabitÉ Garde de Phidias la mÉmoire Éternelle, Et la jeune VÉnus, fille de PraxitÈle, Sourit encor, debout dans sa divinitÉ, Aux siÈcles impuissants qu'a vaincus sa beautÉ.
Recevant d'Âge en Âge une nouvelle vie, Ainsi s'en vont À Dieu les gloires d'autrefois; Ainsi le vaste Écho de la voix du gÉnie Devient du genre humain l'universelle voix…. Et de toi, morte hier, de toi, pauvre Marie, Au fond d'une chapelle il nous reste une croix!
Une croix! et l'oubli, la nuit et le silence! Écoutez! c'est le vent, c'est l'OcÉan immense; C'est un pÊcheur qui chante au bord du grand chemin. Et de tant de beautÉ, de gloire et d'espÉrance, De tant d'accords si doux d'un instrument divin, Pas un faible soupir, pas un Écho lointain!
Une croix, et ton nom Écrit sur une pierre,
Non pas mÊme le tien, mais celui d'un Époux, VoilÀ ce qu'aprÈs toi tu laisses sur la terre; Et ceux qui t'iront voir À ta maison derniÈre, N'y trouvant pas ce nom qui fut aimÉ de nous, Ne sauront pour prier oÙ poser les genoux.
O Ninette! oÙ sont-ils, belle muse adorÉe, Ces accents pleins d'amour, de charme et de terreur, Qui voltigeaient le soir sur ta lÈvre inspirÉe, Comme un parfum lÉger sur l'aubÉpine en fleur? OÙ vibre maintenant cette voix ÉplorÉe, Cette harpe vivante attachÉe À ton coeur?
N'Était-ce pas hier, fille joyeuse et folle, Que ta verve railleuse animait Corilla, Et que tu nous lanÇais avec la Rosina La roulade amoureuse et l'oeillade espagnole ? Ces pleurs sur tes bras nus, quand tu chantais le Saule, N'Était-ce pas hier, pÂle Desdemona?
N'Était-ce pas hier qu'À la fleur de ton Âge Tu traversais l'Europe, une lyre À la main; Dans la mer, en riant, te jetant À la nage, Chantant la tarentelle au ciel napolitain, Coeur d'ange et de lion, libre oiseau de passage, EspiÈgle enfant ce soir, sainte artiste demain?
N'Était-ce pas hier qu'enivrÉe et bÉnie Tu traÎnais À ton char un peuple transportÉ, Et que Londre et Madrid, la France et l'Italie Apportaient À tes pieds cet or tant convoitÉ, Cet or deux fois sacrÉ qui payait ton gÉnie, Et qu'À tes pieds souvent laissa ta charitÉ?
Qu'as-tu fait pour mourir, Ô noble crÉature, Belle image de Dieu, qui donnais en chemin Au riche un peu de joie, au malheureux du pain? Ah! qui donc frappe ainsi dans la mÈre nature, Et quel faucheur aveugle, affamÉ de pÂture, Sur les meilleurs de nous ose porter la main?
Ne suffit-il donc pas À l'ange des tÉnÈbres Qu'À peine de ce temps il nous reste un grand nom? Que GÉricault, Cuvier, Schiller, Goethe et Byron Soient endormis d'hier sous les dalles funÈbres, Et que nous ayons vu tant d'autres morts cÉlÈbres Dans l'abÎme entr'ouvert suivre NapolÉon?
Nous faut-il perdre encor nos tÊtes les plus chÈres, Et venir en pleurant leur fermer les paupiÈres, DÈs qu'un rayon d'espoir a brillÉ dans leurs yeux? Le ciel de ses Élus devient-il envieux? Ou faut-il croire, hÉlas! ce que disaient nos pÈres, Que lorsqu'on meurt si jeune on est aimÉ des dieux?
Ah! combien, depuis peu, sont partis pleins de vie! Sous les cyprÈs anciens que de saules nouveaux! La cendre de Robert À peine refroidie, Bellini tombe et meurt!—Une lente agonie TraÎne Carrel sanglant À l'Éternel repos. Le seuil de notre siÈcle est pavÉ de tombeaux.
Que nous restera-t-il si l'ombre insatiable, DÈs que nous bÂtissons, vient tout ensevelir? Nous qui sentons dÉjÀ le sol si variable, Et, sur tant de dÉbris, marchons vers l'avenir, Si le vent, sous nos pas, balaye ainsi le sable, De quel deuil le Seigneur veut-il donc nous vÊtir?
HÉlas! Marietta, tu nous restais encore. Lorsque, sur le sillon, l'oiseau chante À l'aurore, Le laboureur s'arrÊte, et, le front en sueur, Aspire dans l'air pur un souffle de bonheur. Ainsi nous consolait ta voix fraÎche et sonore, Et tes chants dans les cieux emportaient la douleur.
Ce qu'il nous faut pleurer sur ta tombe hÂtive, Ce n'est pas l'art divin, ni ses savants secrets: Quelque autre Étudiera cet art que tu crÉais; C'est ton Âme, Ninette, et ta grandeur naÏve, C'est cette voix du coeur qui seule au coeur arrive, Que nul autre, aprÈs toi, ne nous rendra jamais.
Ah! tu vivrais encor sans cette Âme indomptable. Ce fut lÀ ton seul mal, et le secret fardeau Sous lequel ton beau corps plia comme un roseau. Il en soutint longtemps la lutte inexorable. C'est le Dieu tout-puissant, c'est la Muse implacable Qui dans ses bras en feu t'a portÉe au tombeau.
Que ne l'Étouffais-tu, cette flamme brÛlante Que ton sein palpitant ne pouvait contenir! Tu vivrais, tu verrais te suivre et t'applaudir De ce public blasÉ la foule indiffÉrente, Qui prodigue aujourd'hui sa faveur inconstante A des gens dont pas un, certes, n'en doit mourir.
Connaissais-tu si peu l'ingratitude humaine? Quel rÊve as-tu donc fait de te tuer pour eux! Quelques bouquets de fleurs te rendaient-ils si vaine, Pour venir nous verser de vrais pleurs sur la scÈne, Lorsque tant d'histrions et d'artistes fameux, CouronnÉs mille fois, n'en ont pas dans les yeux?
Que ne dÉtournais-tu la tÊte pour sourire, Comme on en use ici quand on feint d'Être Ému? HÉlas! on t'aimait tant, qu'on n'en aurait rien vu. Quand tu chantais le Saule, au lieu de ce dÉlire, Que ne t'occupais-tu de bien porter ta lyre? La Pasta fait ainsi: que ne l'imitais-tu?
Ne savais-tu donc pas, comÉdienne imprudente, Que ces cris insensÉs qui te sortaient du coeur De ta joue amaigrie augmentaient la pÂleur? Ne savais-tu donc pas que, sur ta tempe ardente, Ta main de jour en jour se posait plus tremblante, Et que c'est tenter Dieu que d'aimer la douleur?
Ne sentais-tu donc pas que ta belle jeunesse De tes yeux fatiguÉs s'Écoulait en ruisseaux, Et de ton noble coeur s'exhalait en sanglots? Quand de ceux qui t'aimaient tu voyais la tristesse, Ne sentais-tu donc pas qu'une fatale ivresse BerÇait ta vie errante À ses derniers rameaux?
Oui, oui, tu le savais, qu'au sortir du thÉÂtre, Un soir dans ton linceul il faudrait te coucher. Lorsqu'on te rapportait plus froide que l'albÂtre, Lorsque le mÉdecin, de ta veine bleuÂtre, Regardait goutte À goutte un sang noir s'Épancher, Tu savais quelle main venait de te toucher.
Oui, oui, tu le savais, et que, dans cette vie, Rien n'est bon que d'aimer, n'est vrai que de souffrir. Chaque soir dans tes chants tu te sentais pÂlir. Tu connaissais le monde, et la foule et l'envie, Et, dans ce corps brisÉ concentrant ton gÉnie, Tu regardais aussi la Malibran mourir.
Meurs donc! ta mort est douce et ta tÂche est remplie Ce que l'homme ici-bas appelle le gÉnie, C'est le besoin d'aimer; hors de lÀ tout est vain. Et, puisque tÔt ou tard l'amour humain s'oublie, Il est d'une grande Âme et d'un heureux destin D'expirer comme toi pour un amour divin!
CHANSON DE BARBERINE
Beau chevalier qui partez pour la guerre, Qu'allez-vous faire Si loin d'ici? Voyez-vous pas que la nuit est profonde. Et que le monde N'est que souci?
Vous qui croyez qu'une amour dÉlaissÉe De la pensÉe S'enfuit ainsi, HÉlas! hÉlas! chercheurs de renommÉe, Votre fumÉe S'envole aussi.
Beau chevalier qui partez pour la guerre, Qu'allez-vous faire Si loin de nous? J'en vais pleurer, moi qui me laissais dire Que mon sourire Etait si doux.
CHANSON DE FORTUNIO
Si vous croyez que je vais dire Qui j'ose aimer, Je ne saurais, pour un empire, Vous la nommer.
Nous allons chanter À la ronde, Si vous voulez, Que je l'adore et qu'elle est blonde Comme les blÉs.
Je fais ce que sa fantaisie Veut m'ordonner, Et je puis, s'il lui faut ma vie, La lui donner.
Du mal qu'une amour ignorÉe Nous fait souffrir, J'en porte l'Âme dÉchirÉe Jusqu'À mourir.
Mais j'aime trop pour que je die Qui j'ose aimer, Et je veux mourir pour ma mie Sans la nommer.
TRISTESSE
J'ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaÎtÉ; J'ai perdu jusqu' À la fiertÉ Qui faisait croire À mon gÉnie.
Quand j'ai connu la VÉritÉ, J'ai cru que c'Était une amie; Quand je l'ai comprise et sentie, J'en Étais dÉjÀ dÉgoÛtÉ.
Et pourtant elle est Éternelle, Et ceux qui se sont passÉs d'elle Ici-bas ont tout ignorÉ.
Dieu parle, il faut qu'on lui rÉponde; Le seul bien qui me reste au monde Est d'avoir quelquefois pleurÉ.
RAPPELLE-TOI
(Vergiss mein nicht.)
PAROLES FAITES SÛR LA MUSIQUE DE MOZART.
Rapelle-toi, quand l'Aurore craintive Ouvre au Soleil son palais enchantÉ; Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive Passe en rÊvant sous son voile argentÉ; A l'appel du plaisir lorsque ton sein palpite, Aux doux songes du soir lorsque l'ombre t'invite. Écoute au fond des bois Murmurer une voix: Rappelle-toi.
Rappelle-toi, lorsque les destinÉes M'auront de toi pour jamais sÉparÉ, Quand le chagrin, l'exil et les annÉes Auront flÉtri ce coeur dÉsespÉrÉ; Songe À mon triste amour, songe À l'adieu suprÊme! L'absence ni le temps ne sont rien quand on aime. Tant que mon coeur battra, Toujours il te dira: Rappelle-toi.
Rappelle-toi, quand sous la froide terre Mon coeur brisÉ pour toujours dormira; Rappelle-toi, quand la fleur solitaire Sur mon tombeau doucement s'ouvrira. Je ne te verrai plus; mais mon Âme immortelle Reviendra prÈs de toi comme une soeur fidÈle. Ecoute, dans la nuit, Une voix qui gÉmit: Rappelle-toi.
SOUVENIR
J'espÉrais bien pleurer, mais je croyais souffrir En osant te revoir, place À jamais sacrÉe, O la plus chÈre tombe et la plus ignorÉe OÙ dorme un souvenir!
Que redoutiez-vous donc de cette solitude, Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main? Alors qu'une si douce et si vieille habitude Me montrait ce chemin?
Les voilÀ, ces coteaux, ces bruyÈres fleuries, Et ces pas argentins sur le sable muet, Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, OÙ son bras m'enlaÇait.
Les voilÀ, ces sapins À la sombre verdure, Cette gorge profonde aux nonchalants dÉtours, Ces sauvages amis, dont l'antique murmure A bercÉ mes beaux jours.
Les voilÀ, ces buissons oÙ toute ma jeunesse, Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas. Lieux charmants, beau dÉsert oÙ passa ma maÎtresse, Ne m'attendiez-vous pas?
Ah! laissez-les couler, elles me sont bien chÈres, Ces larmes que soulÈve un coeur encor blessÉ! Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupiÈres Ce voile du passÉ!
Je ne viens point jeter un regret inutile Dans l'Écho de ces bois tÉmoins de mon bonheur. FiÈre est cette forÊt dans sa beautÉ tranquille, Et fier aussi mon coeur.
Que celui-lÀ se livre À des plaintes amÈres, Qui s'agenouille et prie au tombeau d'un ami. Tout respire en ces lieux; les fleurs des cimetiÈres Ne poussent point ici.
Voyez! la lune monte À travers ces ombrages. Ton regard tremble encor, belle reine des nuits; Mais du sombre horizon dÉjÀ tu te dÉgages, Et tu t'Épanouis.
Ainsi de cette terre, humide encor de pluie, Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour; Aussi calme, aussi pur, de mon Âme attendrie Sort mon ancien amour.
Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie? Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant; Et rien qu'en regardant cette vallÉe amie, Je redeviens enfant.
O puissance du temps! Ô lÉgÈres annÉes! Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets; Mais la pitiÉ vous prend, et sur nos fleurs fanÉes Vous ne marchez jamais.
Tout mon coeur te bÉnit, bontÉ consolatrice! Je n'aurais jamais cru que l'on pÛt tant souffrir D'une telle blessure, et que sa cicatrice FÛt si douce À sentir.
Loin de moi les vains mots, les frivoles pensÉes, Des vulgaires douleurs linceul accoutumÉ, Que viennent Étaler sur leurs amours passÉes Ceux qui n'ont point aimÉ!
Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misÈre Qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur? Quel chagrin t'a dictÉ cette parole amÈre, Cette offense au malheur?
En est-il donc moins vrai que la lumiÈre existe, Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit? Est-ce bien toi, grande Âme immortellement triste, Est-ce toi qui l'as dit?
Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'Éclaire, Ce blasphÈme vantÉ ne vient pas de ton coeur. Un souvenir heureux est peut-Être sur terre Plus vrai que le bonheur.
Eh quoi! l'infortunÉ qui trouve une Étincelle Dans la cendre brÛlante oÙ dorment ses ennuis, Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle Ses regards Éblouis;
Dans ce passÉ perdu quand son Âme se noie, Sur ce miroir brisÉ lorsqu'il rÊve en pleurant, Tu lui dis qu'il se trompe, et que sa faible joie N'est qu'un affreux tourment!
Et c'est À ta FranÇoise, À ton ange de gloire, Que tu pouvais donner ces mots À prononcer, Elle qui s'interrompt, pour conter son histoire, D'un Éternel baiser!
Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensÉe humaine, Et qui pourra jamais aimer la vÉritÉ, S'il n'est joie ou douleur si juste et si certaine Dont quelqu'un n'ait doutÉ?
Comment vivez-vous donc, Étranges crÉatures? Vous riez, vous chantez, vous marchez À grands pas; Le ciel et sa beautÉ, le monde et ses souillures Ne vous dÉrangent pas;
Mais, lorsque par hasard le destin vous ramÈne
Vers quelque monument d'un amour oubliÉ, Ce caillou vous arrÊte, et cela vous fait peine Qu'il vous heurte le piÉ.
Et vous criez alors que la vie est un songe; Vous vous tordez les bras comme en vous rÉveillant, Et vous trouvez fÂcheux qu'un si joyeux mensonge Ne dure qu'un instant.
Malheureux! cet instant oÙ votre Âme engourdie A secouÉ les fers qu'elle traÎne ici-bas, Ce fugitif instant fut toute votre vie; Ne le regrettez pas!
Regrettez la torpeur qui vous cloue À la terre, Vos agitations dans la fange et le sang, Vos nuits sans espÉrance et vos jours sans lumiÈre: C'est lÀ qu'est le nÉant!
Mais que vous revient-il de vos froides doctrines? Que demandent au ciel ces regrets inconstants Que vous allez semant sur vos propres ruines, A chaque pas du Temps?
Oui, sans doute, tout meurt; ce monde est un grand rÊve, Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin, Nous n'avons pas plus tÔt ce roseau dans la main, Que le vent nous l'enlÈve.
Oui, les premiers baisers, oui,les premiers serments Que deux Êtres mortels ÉchangÈrent sur terre, Ce fut au pied d'un arbre effeuillÉ par les vents, Sur un roc en poussiÈre.
Ils prirent À tÉmoin de leur joie ÉphÉmÈre Un ciel toujours voilÉ qui change À tout moment, Et des astres sans nom que leur propre lumiÈre DÉvore incessamment.
Tout mourait autour d'eux, l'oiseau dans le feuillage, La fleur entre leurs mains, l'insecte sous leurs piÉs, La source dessÉchÉe oÙ vacillait l'image De leurs traits oubliÉs;
Et sut tous ces dÉbris joignant leurs mains d'argile. Étourdis des Éclairs d'un instant de plaisir, Ils croyaient Échapper À cet Être immobile Qui regarde mourir!
—InsensÉs! dit le sage.—Heureux! dit le poÈte. Et quels tristes amours as-tu donc dans le coeur, Si le bruit du torrent te trouble et t'inquiÈte, Si le vent te fait peur?
J'ai vu sous le soleil tomber bien d'autres choses Que les feuilles des bois et l'Écume des eaux, Bien d'autres s'en aller que le parfum des roses Et le chant des oiseaux.
Mes yeux ont contemplÉ des objets plus funÈbres Que Juliette morte au fond de son tombeau, Plus affreux que le toast À l'ange des tÉnÈbres PortÉ par RomÉo.
J'ai vu ma seule amie, À jamais la plus chÈre, Devenue elle-mÊme un sÉpulcre blanchi, Une tombe vivante oÙ flottait la poussiÈre De notre mort chÉri,
De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde, Nous avions sur nos coeurs si doucement bercÉ! C'Était plus qu'une vie, hÉlas! c'Était un monde Qui s'Était effacÉ!
Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire, Je l'ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois. Ses lÈvres s'entr'ouvraient, et c'Était un sourire, Et c'Était une voix;
Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage, Ces regards adorÉs dans les miens confondus; Mon coeur, encor plein d'elle, errait sur son visage, Et ne la trouvait plus.
Et pourtant j'aurais pu marcher alors vers elle; Entourer de mes bras ce sein vide et glacÉ, Et j'aurais pu crier: "Qu'as-tu fait, infidÈle, Qu'as-tu fait du passÉ?"
Mais non : il me semblait qu'une femme inconnue Avait pris par hasard cette voix et ces yeux; Et je laissai passer cette froide statue En regardant les cieux.
Eh bien! ce fut sans doute une horrible misÈre Que ce riant adieu d'un Être inanimÉ. Eh bien! qu'importÉ encore? O nature! Ô ma mÈre! En ai-je moins aimÉ?
La foudre maintenant peut tomber sur ma tÊte; Jamais ce souvenir ne peut m'Être arrachÉ! Comme le matelot brisÉ par la tempÊte, Je m'y tiens attachÉ.
Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent, Ni ce qu'il adviendra du simulacre humain, Ni si ces vastes cieux Éclaireront demain Ce qu'ils ensevelissent.
Je me dis seulement: "A cette heure, en ce lieu, Un jour, je fus aimÉ, j'aimais, elle Était belle. J'enfouis ce trÉsor dans mon Âme immortelle, Et je l'emporte À Dieu!"
SUR UNE MORTE
Elle Était belle si la Nuit Qui dort dans la sombre chapelle OÙ Michel-Ange a fait son lit, Immobile peut Être belle.
Elle Était bonne, s'il suffit Qu'en passant la main s'ouvre et donne, Sans que Dieu n'ait rien vu, rien dit: Si l'or sans pitiÉ fait l'aumÔne.
Elle pensait, si le vain bruit D'une voix douce et cadencÉe, Comme le ruisseau qui gÉmit, Peut faire croire À la pensÉe.
Elle priait, si deux beaux yeux, TantÔt s'attachant À la terre, TantÔt se levant vers les cieux, Peuvent s'appeler la priÈre.
Elle aurait souri, si la fleur Qui ne s'est point Épanouie, Pouvait s'ouvrir À la fraÎcheur Du vent qui passe et qui l'oublie.
Elle aurait pleurÉ, si sa main, Sur son coeur froidement posÉe, EÛt jamais dans l'argile humain Senti la cÉleste rosÉe.
Elle aurait aimÉ, si l'orgueil, Pareil À la lampe inutile Qu'on allume prÉs d'un cercueil, N'eÛt veillÉ sur son coeur stÉrile.
Elle est morte et n'a point vÉcu. Elle faisait semblant de vivre. De ses mains est tombÉ le livre Dans lequel elle n'a rien lu.
A M. VICTOR HUGO
Il faut, dans ce bas monde, aimer beaucoup de choses, Pour savoir, aprÈs tout, ce qu'on aime le mieux: Les bonbons, l'OcÉan, le jeu, l'azur des cieux, Les femmes, les chevaux, les lauriers et les roses.
Il faut fouler aux pieds des fleurs À peine Écloses; Il faut beaucoup pleurer, dire beaucoup d'adieux. Puis le coeur s'aperÇoit qu'il est devenu vieux, Et l'effet qui s'en va nous dÉcouvre les causes.
De ces biens passagers que l'on goÛte À demi, Le meilleur qui nous reste est un ancien ami. On se brouille, on se fuit.—Qu'un hasard nous rassemble,
On s'approche, on sourit, la main touche la main, Et nous nous souvenons que nous marchions ensemble, Que l'Âme est immortelle, et qu'hier c'est demain.
ADIEU, SUZON
CHANSON.
Adieu, Suzon, ma rose blonde, Qui m'as aimÉ pendant huit jours: Les plus courts plaisirs de ce monde Souvent font les meilleurs amours. Sais-je, au moment oÙ je te quitte, OÙ m'entraÎne mon astre errant? Je m'en vais pourtant, ma petite, Bien loin, bien vite, Toujours courant.
Paf ! C'est mon cheval qu'on apprÊte. Enfant, que ne puis-je en chemin Emporter ta mauvaise tÊte, Qui m'a tout embaumÉ la main! Tu souris, petite hypocrite, Comme la nymphe, en t'en fuyant. Je m'en vais pourtant, ma petite, Bien loin, bien vite, Tout en riant.
Que de tristesse et que de charmes, Tendre enfant, dans tes doux adieux! Tout m'enivre, jusqu'À tes larmes, Lorsque ton coeur est dans tes yeux. A vivre ton regard m'invite; Il me consolerait mourant. Je m'en vais pourtant, ma petite, Bien loin, bien vite, Tout en pleurant.
Que notre amour, si tu m'oublies, Suzon, dure encore un moment; Comme un bouquet de fleurs pÂlies, Cache-le dans ton sein charmant! Adieu! le bonheur reste au gÎte; Le souvenir part avec moi : Je l'emporterai, ma petite, Bien loin, bien vite, Toujours À toi.