PIERRE DUPONT LA VERONIQUE

Previous

Quand les chÊnes, À chaque branche,
Poussent leurs feuilles par milliers,
La vÉronique bleue et blanche
SÈme les tapis À leurs pieds;
Sans haleine, À peine irisÉe,
Ce n'est qu'un reflet de couleur,
Pleur d'azur, goutte de rosÉe,
Que l'aurore a changÉe en fleur.

Douces À voir, Ô vÉroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

Les violettes sont moins claires,
Les bluets moins lÉgers que vous,
Les pervenches moins ÉphÉmÈres
Et les myosotis moins doux.
Le dahlia, non plus la rose,
N'imiteront point votre azur;
Votre couleur bleue est Éclose
Simplement comme un amour pur.

Douces À voir, Ô vÉroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

Le papillon bleu vous courtise,
L'insecte vous perce le coeur,
D'un coup de bec l'oiseau vous brise,
Que guette À son tour l'oiseleur.
RÊveurs, amants, race distraite,
Vous effeuilleront au hasard,
Sans voir votre grÂce muette.
Ni votre dernier bleu regard.

Douces À voir, Ô vÉroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

O fleur insaisissable et pure,
Saphir dont nul ne sait le prix,
MÊlez-vous À la chevelure
De celle dont je suis Épris;
Pointillez dans la mousseline
De son blanc peignoir entr'ouvert,
Et dans la porcelaine fine
OÙ sa lÈvre boit le thÉ vert.

Douces À voir, Ô vÉroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

Fleurs touchantes du sacrifice,
Mortes, vous savez nous guÉrir;
Je vois dans votre humble calice
Le ciel entier s'Épanouir.
O vÉroniques! sous les chÊnes
Fleurissez pour les simples coeurs
Qui, dans les traverses humaines,
Vont cherchant les petites fleurs.

Douces À voir, Ô vÉroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

LES BOEUFS

J'ai deux grands boeufs dans mon Étable,
Deux grands boeufs blancs, marquÉs de roux;
La charrue est en bois d'Érable,
L'aiguillon en branche de houx;
C'est par leur soin qu'on voit la plaine
Verte l'hiver, jaune l'ÉtÉ;
Ils gagnent dans une semaine
Plus d'argent qu'ils n'en ont coÛtÉ.

S'il me fallait les vendre,
J'aimerais mieux me pendre;
J'aime Jeanne ma femme, eh bien! j'aimerais mieux
La voir mourir, que voir mourir mes boeufs.

Les voyez-vous, les belles bÊtes,
Creuser profond et tracer droit,
Bravant la pluie et les tempÊtes,
Qu'il fasse chaud, qu'il fasse froid?
Lorsque je fais halte pour boire,
Un brouillard sort de leurs naseaux,
Et je vois sur leur corne noire
Se poser les petits oiseaux.
S'il me fallait les vendre, etc.

Ils sont forts comme un pressoir d'huile,
Ils sont doux comme des moutons.
Tous les ans on vient de la ville
Les marchander dans nos cantons,
Pour les mener aux Tuileries,
Au mardi gras devant le roi,
Et puis les vendre aux boucheries,
Je ne veux pas, ils sont À moi.
S'il me fallait les vendre, etc.

Quand notre fille sera grande,
Si le fils de notre rÉgent
En mariage la demande,
Je lui promets tout mon argent;
Mais si pour dot il veut qu'on donne
Les grands boeufs blancs, marquÉs de roux,
Ma fille, laissons la couronne,
Et ramenons les boeufs chez nous.
S'il me fallait les vendre, etc.

LE CHANT DES OUVRIERS

Nous, dont la lampe, le matin,
Au clairon du coq se rallume;
Nous tous, qu'un salaire incertain
RamÈne avant l'aube À l'enclume;
Nous, qui des bras, des pieds, des mains.
De tout le corps, luttons sans cesse,
Sans abriter nos lendemains
Contre le froid de la vieillesse,

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire À la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons
A l'indÉpendance du monde!

Nos bras, sans relÂche tendus,
Aux flots jaloux, au sol avare,
Ravissent leurs trÉsors perdus,
Ce qui nourrit et ce qui pare:
Perles, diamants et mÉtaux,
Fruit du coteau, grain de la plaine.
Pauvres moutons, quels bons manteaux
Il se tisse avec notre laine!
Aimons-nous, etc.

Quel fruit tirons-nous des labeurs
Qui courbent nos maigres Échines?
OÙ vont les flots de nos sueurs?
Nous ne sommes que des machines.
Nos Babels montent jusqu'au ciel,
La terre nous doit ses merveilles!
DÉs qu'elles ont fini le miel
Le maÎtre chasse les abeilles.
Aimons-nous, etc.

Mal vÊtus, logÉs dans des trous,
Sous les combles, dans les dÉcombres,
Nous vivons avec les hiboux
Et les larrons, amis des ombres:
Cependant notre sang vermeil
Coule impÉtueux dans nos veines;
Nous nous plairions au grand soleil,
Et sous les rameaux verts des chÊnes!
Aimons-nous, etc.

A chaque fois que par torrents
Notre sang coule sur le monde,
C'est toujours pour quelques tyrans
Que cette rosÉe est fÉconde;
MÉnageons-le dorÉnavant,
L'amour est plus fort que la guerre;
En attendant qu'un meilleur vent
Souffle du ciel ou de la terre,
Aimons-nous, etc.

LE REPOS DU SOIR

Quand le soleil se couche horizontal,
De longs rayons noyant la plaine immense,
Comme un blÉ mÛr, le ciel occidental
De pourpre vive et d'or pur se nuance;
L'ombre est plus grande et la clartÉ s'Éteint

Sur le versant des pentes opposÉes;
Enfin, le ciel, par degrÉs, se dÉteint,
Le jour s'efface en des brumes rosÉes.
Reposons-nous!
Le repos est si doux:
Que la peine sommeille
Jusqu'À l'aube vermeille!

Dans le sillon, la charrue, au repos,
Attend l'aurore et la terre mouillÉe;
Bergers, comptez et parquez les troupeaux,
L'oiseau s'endort dans l'Épaisse feuillÉe.
Gaules en main, bergÈres, aux doux yeux,

A l'eau des guÉs mÈnent leurs bÊtes boire;
Les laboureurs vont dÉlier les boeufs,
Et les chevaux soufflent dans la mangeoire.
Reposons-nous! etc.

Tous les fuseaux s'arrÊtent dans les doigts,
La lampe brille, une blanche fumÉe
Dans l'air du soir monte de tous les toits;
C'est du repas l'annonce accoutumÉe.
Les ouvriers, si las, quand vient la nuit,
Peuvent partir; enfin, la cloche sonne,
Ils vont gagner leur modeste rÉduit,
OÙ, sur le feu, la marmite bouillonne.
Reposons-nous! etc.

La mÉnagÈre et les enfants sont lÀ,
Du chef de l'Âtre attendant la prÉsence:
DÈs qu'il paraÎt, un grand cri: "Le voilÀ!"
S'ÉlÈve au ciel, comme en rÉjouissance;
De bons baisers, la soupe, un doigt de vin,
Rendent la joie À sa figure blÊme;
Il peut dormir, ses enfants ont du pain,
Et n'a-t-il pas une femme qui l'aime?
Reposons-nous! etc.

Tous les foyers s'Éteignent lentement;
Dans le lointain, une usine, qui fume,
Pousse de terre un sourd mugissement;
Les lourds marteaux expirent sur l'enclume.
Ah! dÉtournons nos Âmes du vain bruit,
Et nos regards du faux Éclat des villes:
Endormons-nous sous l'aile de la nuit
Qui mÈne en rond ses Étoiles tranquilles!
Reposons-nous! etc.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           

Clyx.com


Top of Page
Top of Page