Tel qu'un morne animal, meurtri, plein de poussiÈre, La chaÎne au cou, hurlant au chaud soleil d'ÉtÉ, PromÈne qui voudra son coeur ensanglantÉ Sur ton pavÉ cynique, Ô plÈbe carnassiÈre!
Pour mettre un feu stÉrile en ton oeil hÉbÉtÉ, Pour mendier ton rire ou ta pitiÉ grossiÈre, DÉchire qui voudra la robe de lumiÈre De la pudeur divine et de la voluptÉ.
Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire, DussÉ-je m'engloutir pour l'ÉternitÉ noire, Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal,
Je ne livrerai pas ma vie À tes huÉes, Je ne danserai pas sur ton trÉteau banal Avec tes histrions et tes prostituÉes.
MIDI
Midi, roi des ÉtÉs, Épandu sur la plaine, Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu. Tout se tait. L'air flamboie et brÛle sans haleine; La terre est assoupie en sa robe de feu.
L'Étendue est immense, et les champs n'ont pas d'ombre Et la source est tarie oÙ buvaient les troupeaux; La lointaine forÊt, dont la lisiÈre est sombre, Dort lÀ-bas, immobile, en un pesant repos.
Seuls, les grands blÉs mÛris, tels qu'une mer dorÉe Se dÉroulent au loin, dÉdaigneux du sommeil; Pacifiques enfants de la terre sacrÉe, Ils Épuisent sans peur la coupe du soleil.
Parfois, comme un soupir de leur Âme brÛlante, Du sein des Épis lourds qui murmurent entre eux, Une ondulation majestueuse et lente S'Éveille, et va mourir À l'horizon poudreux.
Non loin, quelques boeufs blancs, couchÉs parmi les herbes. Bavent avec lenteur sur leurs fanons Épais, Et suivent de leurs yeux languissants et superbes Le songe intÉrieur qu'ils n'achÈvent jamais.
Homme, si, le coeur plein de joie ou d'amertume, Tu passais vers midi dans les champs radieux, Fuis! la nature est vide et le soleil consume: Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.
Mais si, dÉsabusÉ des larmes et du rire, AltÉrÉ de l'oubli de ce monde agitÉ, Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire, GoÛter une suprÊme et morne voluptÉ,
Viens! Le soleil te parle en paroles sublimes; Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin; Et retourne À pas lents vers les citÉs infimes, Le coeur trempÉ sept fois dans le nÉant divin.
NOX
Sur la pente des monts les brises apaisÉes Inclinent au sommeil les arbres onduleux; L'oiseau silencieux s'endort dans les rosÉes, Et l'Étoile a dorÉ l'Écume des flots bleus.
Au contour des ravins, sur les hauteurs sauvages, Une molle vapeur efface les chemins; La lune tristement baigne les noirs feuillages; L'oreille n'entend plus les murmures humains.
Mais sur le sable au loin chante la mer divine, Et des hautes forÊts gÉmit la grande voix, Et l'air sonore, aux cieux que la nuit illumine, Porte le chant des mers et le soupir des bois.
Montez, saintes rumeurs, paroles surhumaines, Entretien lent et doux de la terre et du ciel! Montez, et demandez aux Étoiles sereines S'il est pour les atteindre un chemin Éternel.
O mers, Ô bois songeurs, voix pieuses du monde, Vous m'avez rÉpondu durant mes jours mauvais, Vous avez apaisÉ ma tristesse infÉconde, Et dans mon coeur aussi vous chantez À jamais!
L'ECCLÉSIASTE
L'ecclÉsiaste a dit: Un chien vivant vaut mieux Qu'un lion mort. Hormi, certes, manger et boire, Tout n'est qu'ombre et fumÉe. Et le monde est trÈs vieux, Et le nÉant de vivre emplit la tombe noire.
Par les antiques nuits, À la face des cieux, Du sommet de sa tour comme d'un promontoire, Dans le silence, au loin laissant planer ses yeux, Sombre, tel il songeait sur son siÈge d'ivoire.
Vieil amant du soleil, qui gÉmissais ainsi, L'irrÉvocable mort est un mensonge aussi. Heureux qui d'un seul bond s'engloutirait en elle.
Moi, toujours, À jamais, j'Écoute, ÉpouvantÉ, Dans l'ivresse et l'horreur de l'immortalitÉ, Le long rugissement de la Vie Éternelle.
LA VÉRANDAH
Au tintement de l'eau dans les porphyres roux Les rosiers de l'Iran mÊlent leurs frais murmures, Et les ramiers rÊveurs leurs roucoulements doux. Tandis que l'oiseau grÊle et le frelon jaloux, Sifflant et bourdonnant, mordent les figues mÛres, Les rosiers de l'Iran mÊlent leurs frais murmures Au tintement de l'eau dans les porphyres roux.
Sous les treillis d'argent de la vÉrandah close, Dans l'air tiÈde embaumÉ de l'odeur des jasmins, OÙ la splendeur du jour darde une flÈche rose, La Persane royale, immobile, repose, DerriÈre son col brun croisant ses belles mains, Dans l'air tiÈde, embaumÉ de l'odeur des jasmins, Sous les treillis d'argent de la vÉrandah close.
Jusqu'aux lÈvres que l'ambre arrondi baise encor, Du cristal d'oÙ s'Échappe une vapeur subtile Qui monte en tourbillons lÉgers et prend l'essor, Sur les coussins de soie Écarlate, aux fleurs d'or, La branche du hÛka rÔde comme un reptile Du cristal d'oÙ s'Échappe une vapeur subtile Jusqu'aux lÈvres que l'ambre arrondi baise encor.
Deux rayons noirs, chargÉs d'une muette ivresse, Sortent de ses longs yeux entr'ouverts À demi; Un songe l'enveloppe, un souffle la caresse; Et parce que l'effluve invincible l'oppresse, Parce que son beau sein qui se gonfle a frÉmi, Sortent de ses longs yeux entr'ouverts À demi Deux rayons noirs, chargÉs d'une muette ivresse.
Et l'eau vive s'endort dans les porphyres roux, Les rosiers de l'Iran ont cessÉ leurs murmures, Et les ramiers rÊveurs leurs roucoulements doux. Tout se tait. L'oiseau grÊle et le frelon jaloux Ne se querellent plus autour des figues mÛres. Les rosiers de l'Iran ont cessÉ leurs murmures, Et l'eau vive s'endort dans les porphyres roux.
LES ELFES
CouronnÉs de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Du sentier des bois aux daims familier, Sur un noir cheval, sort un chevalier. Son Éperon d'or brille en la nuit brune; Et, quand il traverse un rayon de lune, On voit resplendir, d'un reflet changeant, Sur sa chevelure un casque d'argent.
CouronnÉs de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Ils l'entourent tous d'un essaim lÉger Qui dans l'air muet semble voltiger. —Hardi chevalier, par la nuit sereine, OÙ vas-tu si tard? dit la jeune Reine. De mauvais esprits hantent les forÊts; Viens danser plutÔt sur les gazons frais.
CouronnÉs de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
—Non! ma fiancÉe aux yeux clairs et doux M'attend, et demain nous serons Époux. Laissez-moi passer, Elfes des prairies, Qui foulez en rond les mousses fleuries; Ne m'attardez pas loin de mon amour, Car voici dÉjÀ les lueurs du jour.—
CouronnÉs de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
—Reste, chevalier. Je te donnerai L'opale magique et l'anneau dorÉ, Et, ce qui vaut mieux que gloire et fortune, Ma robe filÉe au clair de la lune. —Non! dit-il.—Va donc!—Et de son doigt blanc Elle touche au coeur le guerrier tremblant.
CouronnÉs de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Et sous l'Éperon le noir cheval part. Il court, il bondit et va sans retard; Mais le chevalier frissonne et se penche; Il voit sur la route une forme blanche Qui marche sans bruit et lui tend les bras: —Elfe, esprit, dÉmon, ne m'arrÊte pas!—
CouronnÉs de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
—Ne m'arrÊte pas, fantÔme odieux! Je vais Épouser ma belle aux doux yeux. —O mon cher Époux, la tombe Éternelle Sera notre lit de noce, dit-elle. Je suis morte!—Et lui, la voyant ainsi, D'angoisse et d'amour tombe mort aussi.
CouronnÉs de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
LES ÉLÉPHANTS
Le sable rouge est comme une mer sans limite, Et qui flambe, muette, affaissÉe en son lit. Une ondulation immobile remplit L'horizon aux vapeurs de cuivre oÙ l'homme habite.
Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus Dorment au fond de l'antre ÉloignÉ de cent lieues, Et la girafe boit dans les fontaines bleues, LÀ-bas, sous les dattiers des panthÈres connus.
Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile L'air Épais, oÙ circule un immense soleil. Parfois quelque boa, chauffÉ dans son sommeil, Fait onduler son dos dont l'ÉcaillÉ Étincelle.
Tel l'espace enflammÉ brÛle sous les cieux clairs. Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes, Les ÉlÉphants rugueux, voyageurs lents et rudes, Vont au pays natal À travers les dÉserts.
D'un point de l'horizon, comme des masses brunes, Ils viennent, soulevant la poussiÈre, et l'on voit, Pour ne pas dÉvier du chemin le plus droit, Sous leur pied large et sÛr crouler au loin les dunes.
Celui qui; tient la tÊte est un vieux chef. Son corps Est gercÉ comme un tronc que le temps ronge et mine; Sa tÊte est comme un roc, et l'arc de son Échine Se voÛte puissamment À ses moindres efforts.
Sans ralentir jamais et sans hÂter sa marche, Il guide au but certain ses compagnons poudreux; Et, creusant par derriÈre un sillon sablonneux, Les pÈlerins massifs suivent leur patriarche.
L'oreille en Éventail, la trompe entre les dents, Ils cheminent, l'oeil clos. Leur ventre bat et fume, Et leur sueur dans l'air embrasÉ monte en brume; Et bourdonnent autour mille insectes ardents.
Mais qu'importent la soif et la mouche vorace, Et le soleil cuisant leur dos noir et plissÉ? Ils rÊvent en marchant du pays dÉlaissÉ, Des forÊts de figuiers oÙ s'abrita leur race.
Ils reverront le fleuve ÉchappÉ des grands monts, OÙ nage en mugissant l'hippopotame Énorme, OÙ, blanchis par la lune et projetant leur forme, Ils descendaient pour boire en Écrasant les joncs.
Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent Comme une ligne noire, au sable illimitÉ; Et le dÉsert reprend son immobilitÉ Quand les lourds voyageurs À l'horizon s'effacent.
LA CHUTE DES ÉTOILES
Tombez, Ô perles dÉnouÉes, PÂles Étoiles, dans la mer. Un brouillard de roses nuÉes Émerge de l'horizon clair; A l'Orient plein d'Étincelles Le vent joyeux bat de ses ailes L'onde qui brode un vif Éclair. Tombez, Ô perles immortelles, PÂles Étoiles, dans la mer.
Plongez sous les Écumes fraÎches De l'OcÉan mystÉrieux. La lumiÈre crible de flÈches Le faÎte des monts radieux; Mille et mille cris, par fusÉes, Sortent des bois lourds de rosÉes; Une musique vole aux cieux. Plongez, de larmes arrosÉes, Dans l'OcÉan mystÉrieux.
Fuyez, astres mÉlancoliques, O Paradis lointains encor! L'aurore aux lÈvres mÉtalliques Rit dans le ciel et prend l'essor; Elle se vÊt de molles flammes, Et sur l'Émeraude des lames Fait pÉtiller des gouttes d'or. Fuyez, mondes oÙ vont les Âmes, O Paradis lointains encor!
Allez, Étoiles, aux nuits douces, Aux cieux muets de l'Occident. Sur les feuillages et les mousses Le soleil darde un oeil ardent; Les cerfs, par bonds, dans les vallÉes, Se baignent aux sources troublÉes; Le bruit des hommes va grondant. Allez, Ô blanches exilÉes, Aux cieux muets de l'Occident. Heureux qui vous suit, clartÉs mornes, O lampes qui versez l'oubli! Comme vous, dans l'ombre sans bornes, Heureux qui roule enseveli! Celui-lÀ vers la paix s'Élance: Haine, amour, larmes, violence, Ce qui fut l'homme est aboli. Donnez-nous l'Éternel silence, O lampes qui versez l'oubli!
MILLE ANS APRÈS
L'apre rugissement de la mer pleine d'ombres, Cette nuit-lÀ, grondait au fond des gorges noires, Et tout ÉchevelÉs, comme des spectres sombres, De grands brouillards couraient le long des promontoires,
Le vent hurleur rompait en convulsives masses Et sur les pics aigus Éventrait les tÉnÈbres, Ivre, emportant par bonds dans les lames voraces Les bandes de taureaux aux beuglements funÈbres.
Semblable À quelque monstre Énorme, Épileptique, Dont le poil se hÉrisse et dont la bave fume, La montagne, debout dans le ciel frÉnÉtique, Geignait affreusement, le ventre blanc d'Écume.
Et j'Écoutais, ravi, ces voix dÉsespÉrÉes. Vos divines chansons vibraient dans l'air sonore, O jeunesse, Ô dÉsirs, Ô visions sacrÉes, Comme un choeur de clairons Éclatant À l'aurore!
Hors du gouffre infernal, sans y rien laisser d'elle, Parmi ces cris et ces angoisses et ces fiÈvres, Mon Âme en palpitant s'envolait d'un coup d'aile Vers ton sourire, Ô gloire! et votre arÔme, Ô lÈvres!
La nuit terrible, avec sa formidable bouche, Disait:—La vie est douce; ouvre ses portes closes! Et le vent me disait de son rÂle farouche: —Adore! Absorbe-toi dans la beautÉ des choses!—
Voici qu'aprÈs mille ans, seul, À travers les Âges, Je retourne, Ô terreur! À ces heures joyeuses, Et je n'entends plus rien que les sanglots sauvages Et l'Écroulement sourd des ombres furieuses.
LE SOIR D'UNE BATAILLE
Tels que la haute mer contre les durs rivages, A la grande tuerie ils se sont tous ruÉs, Ivres et haletants, par les boulets trouÉs, En d'Épais tourbillons pleins de clameurs sauvages.
Sous un large soleil d'ÉtÉ, de l'aube au soir, Sans relÂche, fauchant les blÉs, brisant les vignes Longs murs d'hommes, ils ont poussÉ leurs sombres lignes, Et lÀ, par blocs entiers, ils se sont laissÉs choir
Puis, ils se sont liÉs en Étreintes fÉroces, Le souffle au souffle uni, l'?il de haine chargÉ. Le fer d'un sang fiÉvreux À l'aise s'est gorgÉ; La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses.
Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers, Les voici maintenant, blÊmes, muets, farouches, Les poings fermÉs, serrant les dents, et les yeux louches. Dans la mort furieuse Étendus par milliers.
La pluie, avec lenteur lavant leurs pÂles faces, Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux; Et par la morne plaine oÙ tourne un vol d'oiseaux Le ciel d'un soir sinistre estompe au loin leurs masses.
Tous les cris se sont tus, les rÂles sont poussÉs. Sur le sol bossuÉ de tant de chair humaine, Aux derniÈres lueurs du jour on voit À peine Se tordre vaguement des corps entrelacÉs;
Et lÀ-bas, du milieu de ce massacre immense, Dressant son cou roidi percÉ de coups de feu, Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu Que la nuit fait courir À travers le silence.
O boucherie! Ô soif du meurtre! acharnement Horrible! odeur des morts qui suffoques et navres! Soyez maudits devant ces cent mille cadavres Et la stupide horreur de cet Égorgement.
Mais, sous l'ardent soleil ou sur la plaine noire, Si, heurtant de leur coeur la gueule du canon, Ils sont morts, LibertÉ, ces braves, en ton nom, BÉni soit le sang pur qui fume vers ta gloire!
IN EXCELSIS
Mieux que l'aigle chasseur, familier de la nue, Homme! monte par bonds dans l'air resplendissant La vieille terre, en bas, se tait et diminue.
Monte. Le clair abÎme ouvre À ton vol puissant Les houles de l'azur que le soleil flagelle. Dans la brume, le globe, en bas, va s'enfonÇant.
Monte. La flamme tremble et pÂlit, le ciel gÈle, Un crÉpuscule morne Étreint l'immensitÉ. Monte, monte et perds-toi dans la nuit Éternelle:
Un gouffre calme, noir, informe, illimitÉ, L'Évanouissement total de la matiÈre Avec l'inÉnarrable et pleine cÉcitÉ.
Esprit! monte À ton tour vers l'unique lumiÈre, Laisse mourir en bas tous l^s anciens flambeaux, Monte oÙ la Source en feu brÛle et jaillit entiÈre.
De rÊve en rÊve, va! des meilleurs aux plus beaux. Pour gravir les degrÉs de l'Echelle infinie, Foule les dieux couchÉs dans leurs sacrÉs tombeaux.
L'intelligible cesse, et voici l'agonie, Le mÉpris de soi-mÊme, et l'ombre, et le remord, Et le renoncement furieux du gÉnie. LumiÈre, oÙ donc es-tu? Peut-Être dans la mort.
REQUIES
Comme un morne exilÉ, loin de ceux que j'aimais, Je m'Éloigne À pas lents des beaux jours de ma vie, Du pays enchantÉ qu'on ne revoit jamais. Sur la haute colline oÙ la route dÉvie Je m'arrÊte, et vois fuir À l'horizon dormant Ma derniÈre espÉrance, et pleure amÈrement.
O malheureux! crois-en ta muette dÉtresse: Rien ne refleurira, ton coeur ni ta jeunesse, Au souvenir cruel de tes fÉlicitÉs. Tourne plutÔt les yeux vers l'angoisse nouvelle, Et laisse retomber dans leur nuit Éternelle L'amour et le bonheur que tu n'as point goÛtÉs.
Le temps n'a pas tenu ses promesses divines. Tes yeux ne verront point reverdir tes ruines; Livre leur cendre morte au souffle de l'oubli. Endors-toi sans tarder en ton repos suprÊme, Et souviens-toi, vivant dans l'ombre enseveli, Qu'il n'est plus dans ce inonde un seul Être qui t'aime.
La vie est ainsi faite, il nous la faut subir. Le faible souffre et pleure, et l'insensÉ s'irrite; Mais le plus sage en rit, sachant qu'il doit mourir. Rentre au tombeau muet oÙ l'homme enfin s'abrite, Et lÀ, sans nul souci de la terre et du ciel, Repose, Ô malheureux, pour le temps Éterne!
DANS LE CIEL CLAIR
Dans le ciel clair rayÉ par l'hirondelle alerte, Le matin qui fleurit comme un divin rosier Parfume la feuillÉe Étincelante et verte OÙ les nids amoureux, palpitants, l'aile ouverte, A la cime des bois chantent À plein gosier Le matin qui fleurit comme un divin rosier Dans le ciel clair rayÉ par l'hirondelle alerte.
En grÊles notes d'or, sur les graviers polis, Les eaux vives, filtrant et pleuvant goutte À goutte, Caressent du baiser de leur lÉger coulis La bruyÈre et le thym, les glaÏeuls et les lys; Et le jeune chevreuil, que l'aube Éveille, Écoute Les eaux vives filtrant et pleuvant goutte À goutte En grÊles notes d'or sur les graviers polis.
Le long des frais buissons oÙ rit le vent sonore, Par le sentier qui fuit vers le lointain charmant OÙ la molle vapeur bleuit et s'Évapore, Tous deux, sous la lumiÈre humide de l'aurore, S'en vont entrelacÉs et passent lentement Par le sentier qui fuit vers le lointain charmant, Le long des frais buissons oÙ rit le vent sonore.
La voluptÉ d'aimer clÔt À demi leurs yeux, Ils ne savent plus rien du vol de l'heure brÈve, Le charme et la beautÉ de la terre et des cieux Leur rendent Éternel l'instant dÉlicieux, Et, dans l'enchantement de ce rÊve d'un rÊve, Ils ne savent plus rien du vol de l'heure brÈve, La voluptÉ d'aimer clÔt À demi leurs yeux.
Dans le ciel clair rayÉ par l'hirondelle alerte L'aube fleurit toujours comme un divin rosier; Mais eux, sous la feuillÉe Étincelante et verte, N'entendront plus, un jour, les doux nids, l'aile ouverte, Jusqu'au fond de leur coeur chanter À plein gosier Le matin qui fleurit comme un divin rosier Dans le ciel clair rayÉ par l'hirondelle alerte.
LA LAMPE DU CIEL
Par la chaÎne d'or des Étoiles vives La Lampe du ciel pend du sombre azur Sur l'immense mer, les monts et les rives. Dans la molle paix de l'air tiÈde et pur BercÉe au soupir des houles pensives, La Lampe du ciel pend du sombre azur Par la chaÎne d'or des Étoiles vives.
Elle baigne, emplit l'horizon sans fin De l'enchantement de sa clartÉ calme; Elle argentÉ l'ombre au fond du ravin, Et, perlant les nids, posÉs sur la palme, Qui dorment, lÉgers, leur sommeil divin, De l'enchantement de sa clartÉ calme Elle baigne, emplit l'horizon sans fin.
Dans le doux abÎme, Ô Lune, oÙ tu plonges Es-tu le soleil des morts bienheureux, Le blanc paradis oÙ s'en vont leurs songes? O monde muet, Épanchant sur eux De beaux rÊves faits de meilleurs mensonges, Es-tu le soleil des morts bienheureux, Dans le doux abÎme, Ô Lune, oÙ tu plonges?
Toujours, À jamais, Éternellement, Nuit! Silence! Oubli des heures amÈres! Que n'absorbez-vous le dÉsir qui ment, Haine, amour, pensÉe, angoisse et chimÈres? Que n'apaisez-vous l'antique tourment, Nuit! Silence! Oubli des heures amÈres! Toujours, À jamais, Éternellement?
Par la chaÎne d'or des Étoiles vives, O Lampe du ciel, qui pends de l'azur, Tombe, plonge aussi dans la mer sans rives! Fais un gouffre noir de l'air tiÈde et pur Au dernier soupir des houles pensives, O Lampe du ciel, qui pends de l'azur Par la chaÎne d'or des Étoiles vives!
SI L'AURORE
Si l'Aurore, toujours, de ses perles arrose Cannes, gÉrofliers et maÏs onduleux; Si le vent de la mer, qui monte aux pitons bleus, Fait les bambous gÉants bruire dans l'air rosÉ;
Hors du nid frais blotti parmi les vÉtivers Si la plume Écarlate allume les feuillages; Si l'on entend frÉmir les abeilles sauvages Sur les cloches de pourpre et les calices verts;
Si le roucoulement des blondes tourterelles Et les trilles aigus du cardinal siffleur S'unissent ÇÀ et lÀ sur la montagne en fleur Au bruit de l'eau qui va mouvant les herbes grÊles;
Avec ses bardeaux roux jaspÉs de mousses d'or Et sa varangue basse aux stores de Manille, A l'ombred des manguiers oÙ grimpe la vanille Si la maison du cher aÏeul repose encor;
O doux oiseaux bercÉs sur l'aigrette des cannes, O lumiÈre, Ô jeunesse, arome de nos bois, Noirs ravins, qui, le long de vos Âpres parois, Exhalez au soleil vos brumes diaphanes!
Salut! Je vous salue, Ô montagnes, Ô cieux, Du paradis perdu visions infinies, Aurores et couchants, astres des nuits bÉnies, Qui ne resplendirez jamais plus dans mes yeux!
Je vous salue, au bord de la tombe Éternelle, RÊve stÉrile, espoir aveugle, dÉsir vain, Mirages Éclatants du mensonge divin Que l'heure irrÉsistible emporte sur son aile!
Puisqu'il n'est, par delÀ nos moments rÉvolus, Que l'immuable oubli de nos mille chimÈres, A quoi bon se troubler des choses ÉphÉmÈres? A quoi bon le souci d'Être ou de n'Être plus?
J'ai goÛtÉ peu de joie, et j'ai l'Âme assouvie Des jours nouveaux non moins que des siÈcles anciens. Dans le sable stÉrile oÙ dorment tous les miens Que ne puis-je finir le songe de la vie!
Que ne puis-je, couchÉ sous le chiendent amer, Chair inerte, vouÉe au temps qui la dÉvore, M'engloutir dans la nuit qui n'aura point d'aurore, Au grondement immense et morne de la mer!
LE MANCHY
Sous un nuage frais de claire mousseline, Tous les dimanches au matin, Tu venais À la ville en manchy de rotin, Par les rampes de la colline.
La cloche de l'Église alertement tintait; Le vent de mer berÇait les cannes; Comme une grÊle d'or, aux pointes des savanes, Le feu du soleil crÉpitait.
Le bracelet aux poings, l'anneau sur la cheville, Et le mouchoir jaune aux chignons, Deux Telingas portaient, assidus compagnons, Ton lit aux nattes de Manille,
Ployant leur jarret maigre et nerveux, et chantant, Souples dans leurs tuniques blanches, Le bambou sur l'Épaule et les mains sur les hanches, Ils allaient le long de l'Etang.
On voyait, au travers du rideau de batiste, Tes boucles dorer l'oreiller, Et, sous leurs cils mi clos, feignant de sommeiller, Tes beaux yeux de sombre amÉthyste.
Tu t'en venais ainsi, par ces matins si doux, De la montagne À la grand'messe, Dans ta grÂce naÏve et ta rose jeunesse, Au pas rhythmÉ de tes Hindous.
Maintenant, dans le sable aride de nos grÈves, Sous les chiendents, au bruit des mers, Tu reposes parmi les morts qui me sont chers, O charme de mes premiers rÊves!
LE FRAIS MATIN DORAIT
Le frais matin dorait de sa clartÉ premiÈre La cime des bambous et des gÉrofliers. Oh! les mille chansons des oiseaux familiers Palpitant dans l'air rosÉ et buvant la lumiÈre!
Comme lui tu brillais, Ô ma douce lumiÈre, Et tu chantais comme eux vers les cieux familiers! A l'ombre des letchis et des gÉrofliers, C'Était toi que mon coeur contemplait la premiÈre.
Telle, au Jardin cÉleste, À l'aurore premiÈre, La jeune Eve, sous les divins gÉrofliers, Toute pareille encore aux anges familiers, De ses yeux innocents rÉpandait la lumiÈre.
Harmonie et parfum, charme, grÂce, lumiÈre, Toi, vers qui s'envolaient mes songes familiers, Rayon d'or effleurant les hauts gÉrofliers, O lys, qui m'as versÉ mon ivresse premiÈre!
La Vierge aux pÂles mains t'a prise la premiÈre, ChÈre Âme! Et j'ai vÉcu loin des gÉrofliers, Loin des sentiers charmants À tes pas familiers, Et loin du ciel natal oÙ fleurit ta lumiÈre.
Des siÈcles ont passÉ, dans l'ombre ou la lumiÈre, Et je revois toujours mes astres familiers, Les beaux yeux qu'autrefois, sous nos gÉrofliers, Le frais matin dorait de sa clartÉ premiÈre!
TRE FILA D'ORO
La-bas, sur la mer, comme l'hirondelle, Je voudrais m'enfuir, et plus loin encor! Mais j'ai beau vouloir, puisque la cruelle A liÉ mon coeur avec trois fils d'or.
L'un est son regard, l'autre son sourire, Le troisiÈme, enfin, est sa lÈvre en fleur; Mais je l'aime trop, c'est un vrai martyre: Avec trois fils d'or elle a pris mon coeur!
Oh! si je pouvais dÉnouer ma chaÎne! Adieu, pleurs, tourments; je prendrais l'essor. Mais non, non! mieux vaut mourir À la peine Que de vous briser, Ô mes trois fils d'or!