PRONONCÉ SUR LA TOMBE DE SIR WILLIAM SIDNEY SMITH, AMIRAL DE LA FLOTTE ROUGE D'ANGLETERRE, Lors de ses obsÈques, dans le cimetiÈre de l'Est, À Paris, le 29 Mai 1840, PAR M. CAILLE, Avocat À la Cour Royale de Paris. Messieurs, InvitÉ depuis quelques instans seulement, par la famille de l'Amiral William Sidney Smith, Á exprimer de justes regrets sur sa tombe, je ne puis apporter qu'un bien faible tribut d'admiration À sa mÉmoire, surtout aprÈs l'Éloge que vient de prononcer au nom de l'Ordre du Temple, dont cet illustre Anglais Était le rÉgent, l'un des dignitaires de cet ordre, et lorsqu'une notice historique de sa vie vous a ÉtÉ prÉsentÉe par l'un des litterateurs les plus distinguÉs de la France. L'histoire transmettra À la postÉritÉ les exploits du cÉlÈbre marin, de l'habile nÉgociateur, du gÉnÉreux philanthrope, dont nous dÉplorons la perte. C'est exclusivement sous le rapport moral et philosophique que j'essaierai de vous retracer quelques Épisodes de sa carriÈre entiÈrement consacrÉe au bonheur de ses semblables, et l'influence politique qu'il exerÇa sur les États, avec lesquels il fut mis en rapport par son gouvernement. Sidney-Smith, comme vous le savez, comptait dÉjÀ dix-huit annÉes de services militaires distinguÉs, lorsque, À l'Âge de trente-quatre ans, il fut chargÉ par le ministÈre Anglais, en qualitÉ de commodore, de la station maritime de Je ne vous peindrai pas sa lutte hÉroÏque avec le gÉant du siÈcle, À Saint-Jean-d'Acre, dont il fit lever le siÈge aprÈs soixante jours de tranchÉe: je me hÂte de vous signaler un service qui devait Être incalculable dans ses consÉquences politiques, et que Sidney-Smith rendit À la sublime Porte, dont il releva le courage par ses succÈs: il sut profiter du crÉdit obtenu par sa victoire de Saint-Jean-d'Acre, auprÈs du sultan Selim III, et de KlÉber, gÉnÉral de l'armÉe FranÇaise en Egypte, depuis le retour de Bonaparte en France, pour nÉgocier le fameux traitÉ d'El-Arich, du 24 janvier 1801, traitÉ qu'il considÉrait comme le prÉliminaire de la paix entre les puissances belligÉrantes. Il y stipula que l'armÉe franÇaise Évacuerait l'Egypte, avec armes et bagages, et serait transportÉe en France. Sidney-Smith signa ce traitÉ avec les pleins pouvoirs du ministÈre Britannique, dont il Était revÊtu: le grand-visir et le gÉnÉral KlÉber le signÈrent, au nom de leurs gouvernemens respectifs. Je ne puis trop insister, messieurs, sur cette Époque oÙ Sidney-Smith arbora l'olive de la paix entre trois camps ennemis; il avait prÉvu les nouvelles destinnÉes de la France, et sa haute sagesse avait prÉfÉrÉ de traiter avec elle, dans l'intÉrÊt de la Sublime Porte, et de gouvernement Britannique lui-mÊme, et surtout dans l'intÉrÊt de l'humanitÉ, plutÔt que de courir la chance faillible des combats. Mais le ministÈre Anglais, qui ne lui avait donnÉ qu'À regret des pouvoirs et des instructions pacifiques, informÉ que l'armÉe du grand visir Était forte de 80,000 hommes, tandis que celle de KlÉber ne l'Était que de 8000, crut l'occasion favorable d'anÉantir la puissance FranÇaise en Egypte, il refusa de ratifier le traitÉ d'El-Arich, et osa donner l'ordre À l'amiral Keith d'exiger que l'armÉe FranÇaise mÎt bas les armes et se rendÎt prisonniÈre de guerre. Sidney-Smith fut profondÉment affligÉ de cette violation des lois de la guerre et du droit des gens. DÉs-lors les hostilitÉs recommencÈrent. L'armÉe FranÇaise combattit avec ce sentiment de l'indignation qui dÉcuple le courage: elle dÉfit entiÈrement l'armÉe Ce ne fut q'une annÉe aprÈs cette victoire que l'Egypte fut rendue aux Turcs, par le traitÉ d'Amiens, de 1802; tandis qu'ils l'auraient recouvrÉe, sans de nouvelles pertes, dÈs 1801, si le traitÉ de Sidney-Smith eÛt ÉtÉ ratifiÉ, comme il aurait dÛ l'Être, puisqu'il n'avait fait que se conformer strictement aux instructions de son gouvernement. Vous connaissez, messieurs, la brillante rÉception qui fut faite À Londres, À Sidney-Smith, lors de son retour dans sa patrie, en 1802; il y fut accueilli avec le plus grand enthusiasme; le surnom de Dieu marin lui fut dÉcernÉ par le peuple. La ville de Rochester s'empressa de l'Élire pour son reprÉsentant au Parlement, oÙ il siÉga dans les rangs de l'opposition, entre ShÉridan et Fox. J'appellerai votre attention sur un autre genre de services rendus À la nation Ottomane, par Sidney-Smith. Pendant son sÉjour À Constantinople, il avait acquis une grande influence sur Mahmoud-Kan II, qui, en 1808, succÉda au sultan Mustapha IV, son frÈre. Sidney-Smith, par ses conseils, a puissamment contribuÉ aux importantes rÉvolutions politiques que Mahmoud-Kan II a introduites dans ses États, et notamment À la charte constitutionnelle que sous le titre de Hatti-ShÉriff de Gulaneh, cet immortel sultan a donnÉe au peuple Ottoman, charte dont le vice-roi d'Egypte, MÉhÉmet-Ali, vient d'ordonner l'application, pour la rÉvision de l'horrible procÈs intentÉ, dans la ville de Damas, par le fanatisme de secte, contre d'honorables Juifs, faussement accusÉs du meurtre d'un prÊtre catholique. Il est un plus grand service encore rendu a l'humanitÉ, et auquel Sidney-Smith a eu la gloire de participer trÈs-activement, c'est l'abolition de l'esclavage, dans toutes les colonies de la Grande-Bretagne. GrÂce a l'ascendant irrÉsistible de l'opinion publique, les gouvernemens de l'Europe seront forcÉs d'imiter ce sublime exemple, et de proscrire irrÉvocablement cet abominable trafic d'hommes, arrachÉs a leur patrie, pour Être vendus, comme un vil bÉtail. Je ne dois pas oublier que, dÈs l'annÉe 1817, Sidney-Smith infatigable dans son dÉvouement a l'humanitÉ, avait Établi, a Londres et a Paris, une association anti-pirate, dont l'objet Était de faire cesser la traite des blancs, exercÉe impunÉment, en prÉsence de l'Europe civilisÉe, par les corsaires d'Alger, de Maroc et de Tunis. Dans les derniÈres annÉes d'une vie illustrÉe par tant d'actes mÉmorables, Sidney-Smith s'occupa de la recherche des moyens de sauvetage, pour les navires exposÉs aux tempÊtes de la mer. Il a eu l'honneur d'Être dans cette dÉcouverte l'un des inventeurs qui out le plus approchÉ de la solution du problÈme de la garantie contre les naufrages. Telle a ÉtÉ, messieurs, la carriÈre de Sidney-Smith, promu successivement À tous les grades de la marine, et jusqu' À celui d'Amiral de la Flotte Rouge d'Angleterre, que lui confÉra le roi Guillaume IV; il a ÉtÉ de plus dÉcorÉ de tous les ordres des souverains de l'Europe, en reconnaissance des nombreux services qu'il leur a rendus. A la vue du triste cercueil, qui contient les restes de Sidney-Smith, nous bornerons-nous au stÉrile rÉcit de ses nobles actions? Non, messieurs. Le vÉnÉrable ÉvÊque de l'Église Anglicane, qui prÉside avec tant de dignitÉ, À ces funÉrailles, vient d'invoquer, dans sa priÈre, le texte de l'Evangile, sur l'immortalitÉ de l'Âme, qu'il me soit permis d'ajouter À cette rÉvÉlation du Christianisme, que les progrÈs de la science out dÉmontrÉ cette vÉritÉ, sans lui faire rien perdre du charme de l'espÉrance. En effet, dans ce cercueil, que la tombe n'a point encore dÉrobÉ À nos regards, que reste-t-il? Des dÉbris d'organes inanimÉs. Mais ces nerfs, cette membrane qui les enveloppa, cette pulpe cÉrÉbrale qui les pÉnÉtra, qu'Étaient-ils? de la matiÈre! Ah! de ces organes matÉriels, À la Sensation, il y a un abÎme! Et de la Sensation À la PensÉe, un nouvel abÎme! Elle est donc immatÉrielle, cette PensÉe, qui distingue si Éminemment notre espÈce, des autres Êtres organisÉs! N'est-ce pas la PensÉe qui crÉa les arts et les sciences, qui, s'Élevant jusqu'À la cause premiÈre, terme de ses conquÊtes, y dÉcouvrit la DivinitÉ, dont elle Établit le culte universel, comme le plus puissant mobile de la civilisation? Combien n'est-il pas consolant, au milieu des parens et des nombreux amis qui entourent cette tombe, d'y professer, d'y confirmer le dogme de l'immortalitÉ de l'Âme, et de pouvoir y proclamer que Sidney-Smith n'est pas mort tout entier? Oui, messieurs, le principe intellectuel qui nous anime, est incontestablement un Être, et cet Être est immortel. Pourrait-il donc s'anÉantir, quand les organes matÉriels de nos corps sont eux-mÊmes Éternels dans leurs ÉlÉmens? L'orateur qui vient de retracer avec tant de talent, la carriÈre de l'illustre Amiral, vous a signalÉ la restitution des cendres de l'empereur Napoleon a la France, par le gouvernement Britannique, comme un gage de la parfaite harmonie, heureusement rÉtablie entre les deux nations. Je partage ce favourable augure, et tel fut le voeu le plus intime de Sidney-Smith, qui ne cessa de rÉpÉter que la civilisation du monde tenait essentiellement À l'alliance de la France et de l'Angleterre. A l'aspect des restes de NapolÉon, traversant l'OcÉan pour recouvrer un tombeau dans sa patrie, j'aime À prÉvoir que les restes de Sidney-Smith seront pareillement rÉclamÉs par son gouvernement, et qu'À leur tour, ils traverseront la mer, pour Être dÉposÉs À Westminster, dans le lieu consacrÉ À la sÉpulture des rois et des reines, ainsi qu'À celle des grands hommes de l'Angleterre. _ celtic border
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