La Chambre de Marguerite. Marguerite, Siebel. Sie. (s'approchant doucement de Marguerite). Marguerite! Mar. Siebel!... Sie. Encore des pleurs. Mar. (se levant). HÉlas! Vous seul ne me maudissez pas. Sie. Je ne suis qu'un enfant, mais j'ai le coeur d'un homme Et je vous vengerai de son lÂche abandon! Je le tuerai! Mar. Qui donc? Sie. Faut-il que je le nomme? L'ingrat qui vous trahit!... Mar. Non!... taisez-vous?... Sie. Pardon! Vous l'aimez encore? Mar. Oui!... toujours! Mais ce n'est pas À vous de plaindre mon ennui J'ai tort, Siebel, de vous parler de lui. Sie. I. Si la bonheur À sourire t'invite, Joyeux alors, je sens un doux Émoi; Si la douleur t'accable, Marguerite, O Marguerite, je pleure alors, Je pleure comme toi! II. Comme deux fleurs sur une mÊme tige, Notre destin suivant le mÊme cours, De tes chagrins en fiÈre je m'afflige, O Marguerite, comme une soeur, Je t'aimerai toujours! Mar. Soyez bÉni, Siebel! votre amitiÉ m'est douce! Ceux dont la main cruelle me repousse, N'ont pas fermÉ pour moi la porte du saint lieu; J'y vais pour mon enfant ... et pour lui prier Dieu! (Elle sort; Siebel la suit À pas lents.) SCÈNE II.L'Église. Marguerite, puis Mephistopheles. (Quelques femmes traversent la scÈne et entrent dans l'Église. Marguerite entre aprÈs elles et s'agenouille.) Mar. Seigneur, daignez permettre À votre humble servante De s'agenouiller devant vous! Mep. Non!... tu ne prieras pas!... Frappez-la d'Épouvante! Esprits du mal, accourez tous! Voix de DÉmons Invisibles. Marguerite! Mar. Qui m'appelle? Voix. Marguerite! Mar. Je chancelle! Je meurs!—Dieu bon! Dieu clÉment! Est-ce dÉjÀ l'heure du chÂtiment? (Mephistopheles parait derriÈre un pilier et se penche À l'oreille de Marguerite.) Mep. Souviens-toi du passÉ, quand sous l'aile des anges, Abritant ton bonheur, Tu venais dans son temple, enchantant ses louanges, Adorer le Seigneur! Lorsque tu bÉgayais une chaste priÈre D'une timide voix, Et portais dans ton coeur les baisers de ta mÈre, Et Dieu tout À la fois! Écoute ces clameurs! c'est l'enfer qui t'appelle!... C'est l'enfer qui te suit! C'est l'Éternel remords et l'angoisse Éternelle Dans l'Éternelle nuit! Mar. Dieu! quelle est cette voix qui me parle dans l'ombre? Dieu tout puissant! Quel voile sombre Sur moi descend!... Chant Religieux (accompagnÉ par les orgues). Quand du Seigneur le jour luira, Sa croix au ciel resplendira, Et l'univers s'Écroulera ... Mar. HÉlas!... ce chant pieux est plus terrible encore!... Mep. Non! Dieu pour toi n'a plus de pardon! Le ciel pour toi n'a plus d'aurore! Cho. Religieux. Que dirai-je alors au Seigneur? OÙ trouverai-je un protecteur, Quand l'innocent n'est pas sans peur! Mar. Ah! ce chant m'Ètouffe et m'oppresse! Je suis dans un cercle de fer! Mep. Adieu les nuits d'amour et les jours pleins d'ivresse! A toi malheur! A toi l'enfer! Mar. et le Cho. Religieux. Seigneur, accueillez la priÈre Des coeurs malheureux! Qu'un rayon de votre lumiÈre Descende sur eux! Mep. Marguerite! Sois maudite! A toi l'enfer! Mar. Ah! (Il disparait.) SCÈNE III.La Rue. Valentin, Soldats, puis Siebel. SCÈNE IV.Valentin, Siebel. Val. (apercevant Siebel). Eh! parbleu! c'est Siebel! Sie. Cher Valentin.... Val. Viens vite! Viens dans mes bras. (Il l'embrasse.) Et Marguerite? Sie. (avec embarras). Elle est À l'Église, je crois. Val. Oui, priant Dieu pour moi.... ChÈre soeur, tremblante et craintive, Comme elle va prÊter une oreille attentive Au rÉcit de nos combats! Cho. Gloire immortelle De nos aÏeux, Sois-nous fidÈle Mourons comme eux! Et sous ton aile, Soldats vainqueurs, Dirige nos pas, enflamme nos coeurs! Vers nos foyers hÂtons le pas! On nous attend; la paix est faite! Plus de soupirs! ne tardons pas! Notre pays nous tend les bras! L'amour nous rit! l'amour nous fÊte! Et plus d'un coeur frÉmit tout bas Au souvenir de nos combats! L'amour nous rit! l'amour nous fÊte! Et plus d'un coeur frÉmit tout bas Au souvenir de nos combats! Gloire immortelle. Val. Allons, Siebel! entrons dans la maison! Le verre en main, tu me feras raison! Sie. (vivement). Non! n'entre pas! Val. Pourquoi?...—tu dÉtournes la tÊte? Ton regard fuit le mien?...—Siebel, explique-toi! Sie. Eh bien!—non, je ne puis! Val. Que veux-tu dire? (Il se dirige vers la maison.) Sie. (l'arretant). ArrÊtÉ! Sois clÉment, Valentin! Val. (furieux). Laisse-moi! laisse-moi! (Il entre dans la maison.) Sie. Pardonne-lui! (Seul.) Mon Dieu! je vous implore! Mon Dieu, protÉgez-la. (Il s'Éloigne; Mephistopheles et Faust entrent en scÈne; Mephistopheles tient une guitare À la main.) SCÈNE V.FAUST, MEPHISTOPHELES. (Faust se dirige vers la maison de Marguerite et s'arrÊte.) Mep. Qu'attendez-vous encore? Entrons dans la maison. Faust. Tais-toi, maudit!... j'ai peur De rapporter ici la honte et le malheur. Mep. A quoi bon la revoir, aprÈs l'avoir quittÉ? Notre prÉsence ailleurs serait bien mieux fÊtÉe! La sabbat nous attend! Faust. Marguerite! Mep. Je vois Que mes avis sont vains et que l'amour l'emporte! Mais, pour vous faire ouvrir la porte, Vous avez grand besoin du secours de ma voix! (Faust, pensif, se tient À l'Écart. Mephistopheles s'accompagne sur sa guitare.) I. "Vous qui faites l'endormie, N'entendez-vous pas, O Catherine, ma mie, Ma voix et mes pas ...?" Ainsi ton galant t'appelle, Et ton coeur l'en croit! N'ouvre ta porte, ma belle, Que la bague au doigt! II. "Catherine que j'adore, Pourquoi refuser A l'amant qui vous implore Un si doux baiser?..." Ainsi ton galant supplie, Et ton coeur l'en croit! Ne donne un baiser, ma mie, Que la bague au doigt! (Valentin sort de la maison.) SCÈNE VI.Les mÊmes. Valentin. Val. Que voulez-vous, messieurs? Mep. Pardon! mon camarade, Mais ce n'est pas pour vous qu'Était la sÉrÉnade! Val. Ma soeur l'Écouterait mieux que moi, je le sais! (Il degaine et brise la guitare de Mephistopheles d'un coup d'ÉpÉe.) Faust. Sa soeur! Mep. (À Valentin). Quelle mouche vous pique? Vous n'aimez donc pas la musique? Val. Assez d'outrage!... assez!... A qui de vous dois-je demander compte De mon malheur et de ma honte?... Qui de vous deux doit tomber sous mes coups?... (Faust tire son ÉpÉe.) C'est lui!... Mep. Vous le voulez?...—Allons, docteur, À vous!... Val. Redouble, Ô Dieu puissant, Ma force et mon courage! Permets que dans son sang Je lave mon outrage! Faust (À part). Terrible et frÉmissant, Il glace mon courage! Dois-je verser le sang Du frÈre que j'outrage?... Mep. De son air menaÇant, De son aveugle rage, Je ris!... mon bras puissant Va dÉtourner l'orage!... Val. (tirant de son sein la mÉdaille que lui a donnÉe Marguerite). Et toi qui prÉservas mes jours, Toi qui me viens de Marguerite, Je ne veux plus de ton secours, MÉdaille maudite!... (Il jette la mÉdaille loin de lui.) Mep. (À part). Tu t'en repentiras! Val. En garde!... et dÉfends-toi!... Mep. (À Faust). Serrez-vous contre moi!... Et poussez seulement, cher docteur!... moi, je pare. Val. Ah! (Valentin tombe.) Mep. Voici notre hÉros Étendu sur le sable!... Au large maintenant! au large!... (Il entraÎne Faust. Arrivent Marthe et des bourgeois portant des torches.) SCÈNE VII.Valentin, Marthe, Bourgeois, puis Siebel et Marguerite. Mart. et les Bourg. Par ici!... Par ici, mes amis! on se bat dans la rue!...— L'un d'eux est tombÉ lÀ!—Regardez ... le voici!... II n'est pas encore mort!...—on dirait qu'il remue!...— Vite, approchez!... il faut le secourir! Val. (se soulevant avec effort). Merci! De vos plaintes, faites-moi grace!... J'ai vu, morbleu! la mort en face Trop souvent pour en avoir peur!... (Marguerite paraÎt au fond soutenue par Siebel.) Mar. Valentin!... Valentin!... (Elle Écarte la foule et tombe À genoux prÈs de Valentin.) Val. Marguerite! ma soeur!... (Il la repousse.) Que me veux-tu?... va-t'en Mar. O Dieu!... Val. Je meurs par elle!... J'ai sottement CherchÉ querelle A son amant! La Foule. (À demi voix, montrant Marguerite). Il meurt, frappÉ par son amant! Mar. Douleur cruelle! O chÂtiment!... Sie. (À Valentin). GrÂce pour elle!... Soyez clÉment! Val. (soutenu par ceux qui l'entourent). Ecoute-moi bien, Marguerite!... Ce qui doit arriver arrive À l'heure dite! La mort nous frappÉ quand il faut, Et chacun obÉit aux volontÉs d'en haut!... —Toi!... te voilÀ dans la mauvaise voie! Tes blanches mains ne travailleront plus! Tu renÎras, pour vivre dans la joie, Tous les devoirs et toutes les vertus! Va! la honte t'accable Le remords suit tes pas! Mais enfin l'heure sonne! Meurs! et si Dieu te pardonne, Soit maudite ici-bas. La Foule. O terreur, Ô blasphÈme A ton heure suprÊme, infortunÉ, Songe, hÉlas, a toi-mÊme, Pardonne, si tu veux Être un jour pardonnÉ! Val. Marguerite! Soit maudite! La mort t'attend sur ton grabat! Moi je meurs de ta main Et je tombe en soldat! (Il meurt.) La Foule. Que le Seigneur ait son Âme Et pardonne au pÊcheur. (La toile tombe.) |