PAR M r . PERRAULT, De l'Academie Franaeoise .

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TABLE.

PrÉface p. 77
Peau d'Asne, Conte p. 83
Les Souhaits Ridicules, Conte p. 107
Griselidis, Nouvelle p. 113

PRÉFACE.[100]

La maniÈre dont le public a reÇu les piÈces de ce recueil, À mesure qu'elles lui ont ÉtÉ donnÉes sÉparÉment, est une espÈce d'assurance qu'elles ne lui dÉplairont pas, en paroissant toutes ensemble. Il est vrai que quelques personnes, qui affectent de paroÎtre graves, et qui ont assez d'esprit pour voir que ce sont des contes faits À plaisir, et que la matiÈre n'en est pas fort importante, les ont regardÉes avec mÉpris; mais on a eu la satisfaction de voir que les gens de bon goÛt n'en ont pas jugÉ de la sorte.

Ils ont Éte bien aises de remarquer que ces bagatelles n'Étoient pas de pures bagatelles, qu'elles renfermoient une morale utile, et que le rÉcit enjouÉ dont elles Étoient enveloppÉes n'avoit ÉtÉ choisi que pour les faire entrer plus agrÉablement dans l'esprit et d'une maniÈre qui instruisÎt et divertÎt tout ensemble. Cela devoit me suffire pour ne pas craindre le reproche de m'Être amusÉ À des choses frivoles. Mais, comme j'ai affaire À bien des gens qui ne se payent pas de raisons, et qui ne peuvent Être touchÉs que par l'autoritÉ et par l'exemple des anciens, je vais les satisfaire lÀ-dessus.

Les fables milÉsiennes, si cÉlÈbres parmi les Grecs, et qui ont fait les dÉlices d'AthÈnes et de Rome, n'Étoient pas d'une autre espÈce que les fables de ce recueil. L'histoire de la Matrone d'EphÈse est de la mÊme nature que celle de Griselidis: ce sont l'une et l'autre des Nouvelles, c'est-À-dire des rÉcits de choses qui peuvent Être arrivÉes et qui n'ont rien qui blesse absolument la vraisemblance. La fable de PsychÉ, Écrite par Lucien et par ApulÉe, est une fiction toute pure et un conte de vieille, comme celui de Peau d'Ane. Aussi voyons-nous qu'ApulÉe le fait raconter, par une vieille femme, À une jeune fille que des voleurs avoient enlevÉe, de mÊme que celui de Peau d'Ane est contÉ tous les jours À des enfants par leurs gouvernantes et par leurs grand'mÈres. La fable du laboureur qui obtint de Jupiter le pouvoir de faire, comme il lui plairoit, la pluie et le beau temps, et qui en usa de telle sorte qu'il ne recueillit que de la paille sans aucuns grains, parce qu'il n'avoit jamais demandÉ ni vent, ni froid, ni neige, ni aucun temps semblable, chose nÉcessaire cependant pour faire fructifier les plantes; cette fable, dis-je, est de mÊme genre que le conte des Souhaits ridicules, si ce n'est que l'un est sÉrieux et l'autre comique; mais tous les deux vont À dire que les hommes ne connoissent pas ce qui leur convient, et sont plus heureuz d'Être conduits par la Providence, que si toutes choses leur succÉdoient selon qu'ils le dÉsirent.

Je ne crois pas qu'ayant devant moi de si beaux modÈles, dans la plus sage et la plus docte antiquitÉ, on soit en droit de me faire aucun reproche. Je prÉtends mÊme que mes fables mÉritent mieux d'Être racontÉes que la plupart des contes anciens, et particuliÈrement celui de la Matrone d'EphÈse et celui de PsychÉ, si on les regarde du cÔtÉ de la morale, chose principale dans toutes sortes de fables, et pour laquelle elles doivent avoir ÉtÉ faites. Toute la moralitÉ qu'on peut tirer de la Matrone d'EphÈse est que souvent les femmes qui semblent les plus vertueuses le sont le moins, et qu'ainsi il n'y en a presque point qui le soient vÉritablement.

Qui ne voit que cette morale est trÈs-mauvaise, et qu'elle ne va qu'À corrompre les femmes par le mauvais exemple, et À leur faire croire qu'en manquant À leur devoir elles ne font que suivre la voie commune? Il n'en est pas de mÊme de la morale de Griselidis, qui tend À porter les femmes À souffrir de leurs maris, et À faire voir qu'il n'y en a point de si brutal ni de si bizarre dont la patience d'une honnÊte femme ne puisse venir À bout.

A l'Égard de la morale cachÉe dans la fable de PsychÉ, fable en elle-mÊme trÈs-agrÉable et trÈs-ingÉnieuse, je la comparerai avec celle de Peau d'Ane, quand je la saurai; mais, jusqu'ici, je n'ai pu la deviner. Je sais bien que PsychÉ signifie l'Âme; mais je ne comprends point ce qu'il faut entendre par l'Amour, qui est amoureux de PsychÉ, c'est-À-dire de l'Âme, et encore moins ce qu'on ajoute, que PsychÉ devoit Être heureuse tant qu'elle ne connoÎtroit point celui dont elle Étoit aimÉe, qui Étoit l'Amour; mais qu'elle seroit trÈs-malheureuse dÈs le moment qu'elle viendroit À le connoÎtre: voilÀ pour moi une Énigme impÉnÉtrable. Tout ce qu'on peut dire, c'est que cette fable, de mÊme que la plupart de celles qui nous restent des anciens, n'ont ÉtÉ faites que pour plaire, sans Égard aux bonnes moeurs, qu'ils nÉgligeoient beaucoup.

Il n'en est pas de mÊme des Contes que nos aÏeux ont inventÉs pour leurs enfants. Ils ne les ont pas contÉs avec l'ÉlÉgance et les agrÉments dont les Grecs et les Romains ont ornÉ leurs fables; mais ils ont toujours eu un trÈs-grand soin que leurs contes renfermassent une morale louable et instructive. Partout la vertu y est rÉcompensÉe, et partout le vice y est puni. Ils tendent tous À faire voir l'avantage qu'il y a d'Être honnÊte, patient, avisÉ, laborieux, obÉissant, et le mal qui arrive À ceux qui ne le sont pas.

TantÔt ce sont des fÉes qui donnent pour don À une jeune fille qui leur aura repondu avec civilitÉ, qu'À chaque parole qu'elle dira, il lui sortira de la bouche un diamant ou une perle; et, À une autre fille qui leur aura rÉpondu brutalement, qu'À chaque parole il lui sortira de la bouche une grenouille ou un crapaud. TantÔt ce sont des enfants qui, pour avoir bien obÉi À leur pÈre et À leur mÈre, deviennent grands seigneurs; ou d'autres qui, ayant ÉtÉ vicieux et dÉsobÉissans, sont tombÉs dans des malheurs Épouvantables.

Quelque frivoles et bizarres que soient toutes ces fables dans leurs aventures, il est certain qu'elles excitent dans les enfants le dÉsir de ressembler À ceux qu'ils voient devenir heureux, et en mÊme temps la crainte des malheurs oÙ les mÉchans sont tombÉs par leur mÉchancetÉ. N'est-il pas louable À des pÈres et À des mÈres, lorsque leurs enfants ne sont pas encore capables de goÛter les vÉritÉs solides et dÉnuÉes de tout agrÉment, de les leur faire aimer, et, si cela se peut dire, de les leur faire avaler, en les enveloppant dans des rÉcits agrÉables et proportionnÉs À la foiblesse de leur Âge! Il n'est pas croyable avec quelle aviditÉ ces Âmes innocentes, et dont rien n'a encore corrompu la droiture naturelle, reÇoivent ces instructions cachÉes; on les voit dans la tristesse et dans l'abattement tant que le hÉros ou l'hÉroÏne du conte sont dans le malheur, et s'Écrier de joie quand le temps de leur bonheur arrive; de mÊme qu'aprÈs avoir souffert impatiemment la prospÉritÉ du mÉchant ou de la mÉchante, ils sont ravis de les voir enfin punis comme ils le mÉritent. Ce sont des semences qu'on jette, qui ne produisent d'abord que des mouvements de joie et de tristesse, mais dont il ne manque guÈre d'Éclore de bonnes inclinations.

J'aurois pu rendre mes contes plus agrÉables, en y mÊlant certaines choses un peu libres dont on a accoutumÉ de les Égayer; mais le dÉsir de plaire ne m'a jamais assez tentÉ pour violer une loi que je me suis imposÉe, de ne rien Écrire qui pÛt blesser ou la pudeur, ou la biensÉance. Voici un madrigal qu'une jeune demoiselle de beaucoup d'esprit a composÉ sur ce sujet, et qu'elle a Écrit au-dessous du conte de Peau d'Ane que je lui avois envoyÉ:

Le conte de Peau d'Ane est ici racontÉ Avec tant de naÏvetÉ, Qu'il ne m'a pas moins divertie Que quand, auprÈs du feu, ma nourrice ou ma mie Tenoient en le faisant mon esprit enchantÉ. On y voit par endroits quelques traits de satire, Mais qui, sans fiel et sans malignitÉ, A tous Également font du plaisir À lire. Ce qui me plaÎt encor dans sa simple douceur C'est qu'il divertit et fait rire, Sans que mÈre, Époux, confesseur, Y puissent trouver À redire.

[100] From the Griselidis of 1695.

PEAU D'ASNE.

CONTE.

A MADAME LA MARQUISE DE L.

Par Mr. Perrault, de L'Academie FranÇoise.


Il est des gens de qui l'esprit guindÉ, Sous un front jamais deridÉ Ne souffre, n'approuve & n'estime Que le pompeux & le sublime; Pour moi, j'ose poser en fait Qu'en de certains momens l'esprit le plus parfait Peut aimer sans rougir jusqu'aux Marionnettes; Et qu'il est des tems & des lieux OÙ le grave & le serieux Ne vallent pas d'agreables sornettes. Pourquoi faut-il s'Émerveiller Que la Raison la mieux sensÉe, Lasse souvent de trop veiller, Par des contes d'Ogre[101] & de FÉe Ingenieusement bercÉe, Prenne plaisir À sommeiller, Sans craindre donc qu'on me condamne De mal employer mon loisir, Je vais, pour contenter vÔtre juste desir, Vous conter tout au long l'histoire de Peau D'Asne.

[101]Homme Sauvage qui mangeoit les petits enfans.


Il Étoit une fois un Roi Le plus grand qui fÛt sur la Terre, Aimable en Paix, terrible en Guerre, Seul enfin comparable À soi: Ses voisins le craignoient, ses Etats Étoient calmes, Et l'on voyoit de toutes parts Fleurir, À l'ombre de ses palmes Et les Vertus & les beaux Arts. Son aimable MoitiÉ, sa Compagne fidelle, Etoit si charmante & si belle, Avoit l'esprit si commode & si doux Qu'il Étoit encor avec elle Moins heureux Roi qu'heureux espoux. De leur tendre & chaste HymenÉe, Plein de douceur & d'agrement Avec tant de vertus une fille Étoit nÉe, Qu'ils se consoloient aisement De n'avoir pas de plus ample lignÉe.
Dans son vaste & riche Palais, Ce n'Étoit que magnificence, Partout y fourmilloit une vive abondance De Courtisans & de Valets; Il avoit dans son Escurie Grands & petits chevaux de toutes les faÇons, Couverts de beaux caparaÇons Roides d'or & de broderie; Mais ce qui surprenoit tout le monde en entrant C'est qu'au lieu plus apparent, Un maÎtre Asne Étailloit ses deux grandes oreilles, Cette injustice vous surprend, Mais, lorsque vous sÇaurez ses vertus nompareilles, Vous ne trouverez pas que l'honneur fÛt trop grand. Tel et si net le forma la Nature Qu'il ne faisoit jamais d'ordure, Mais bien beaux Ecus au soleil Et LoÜis de toute maniere Qu'on alloit recuËillir sur la blonde litiere Tous les matins À son reveil.
Or le Ciel qui par fois se lasse De rendre les hommes contents, Qui toÛjours À ses biens mÊle quelque disgrace Ainsi que la pluye au beau tems, Permit qu'une aspre maladie Tout À coup de la Reine attaquÂt les beaux jours. Par tout on cherche du secours, Mais ni la FacultÉ qui le Grec Étudie, Ni les Charlatans ayant cours, Ne pÛrent tous ensemble arrÊter l'incendie Que la fievre allumoit en s'augmentant toÛjours.
ArrivÉe a sa derniere heure, Elle dit au Roi son Époux Trouvez bon qu'avant que je meure, J'exige une chose de vous C'est que s'il vous prenoit envie De vous remarier quand je n'y serai plus... —Ha! dit le Roi, ces soins sont superflus, Je n'y songerai de ma vie, Soyez en repos lÀ dessus. Je le croi bien, reprit la Reine, Si j'en prens À tÉmoin vÔtre amour vehement, Mais pour m'en rendre plus certaine Je veux avoir vÔtre serment, Adouci toute fois par ce temperamment Que si vous rencontrez une femme plus belle, Mieux faite & plus sage que moi, Vous pourrez franchement lui donner vÔtre foi Et vous marier avec elle: Sa confiance en ses attraits Lui faisoit regarder une telle promesse Comme un serment surpris avec adresse De ne se marier jamais. Le Prince jura donc, les yeux baignez de larmes Tout ce que la Reine voulut; La Reine entre ses bras mourut, Et jamais un Mari ne fit tant de vacarmes. A l'ouÏr sanglotter & les nuits & les jours, On jugea que son deÜil ne lui durerait guerre Et qu'il pleuroit ses defuntes Amours Comme un homme pressÉ qui veut sortir d'affaire. On ne se trompa point. Au bout de quelques mois Il voulut proceder À faire un nouveau choix; Mais ce n'Étoit pas chose aisÉe, Il falloit garder son serment Et que la nouvelle EpousÉe EÛt plus d'attraits & d'agrement Que celle qu'on venoit de mettre au monument.
Ni la Cour en beautez fertile, Ni la Campagne, ni la Ville, Ni les Royaumes d'alentour Dont on alla faire le tour, N'en pÛrent fournir une telle, L'Infante seule Étoit plus belle Et possedoit certains tendres appas Que la deffunte n'avoit pas. Le Roy le remarqua lui-mÊme Et brÛlant d'un amour extreme Alla follement s'aviser Que par cette raison il devoit l'Épouser. Il trouva mÊme un Casuiste Qui jugea que le cas se pouvoit proposer; Mais la jeune Princesse triste D'oÜÏr parler d'un tel amour, Se lamentoit & pleuroit nuit & jour.
De mille chagrins l'ame pleine Elle alla trouver sa Maraine, Loin dans une grotte À l'Écart De Nacre & de Corail richement ÉtoffÉe; C'Étoit une admirable FÉe Qui n'eut jamais de pareille en son Art. Il n'est pas besoin qu'on vous die Ce qu'Étoit une FÉe en ces bienheureux tems, Car je suis sÛr que votre Mie Vous l'aura dit dez vos plus jeunes ans.
Je sÇay, dit-elle, en voyant la Princesse Ce qui vous fait venir ici, Je sais de votre coeur la profonde tristesse Mais avec moi n'ayez plus de souci. Il n'est rien qui vous puisse nuire PourvÛ qu'À mes conseils vous vous laissiez conduire, Votre Pere, il est vrai, voudroit vous Épouser; Ecouter sa folle demande Seroit une faute bien grande Mais sans le contredire on le peut refuser.
Dites-lui qu'il faut qu'il vous donne Pour rendre vos desirs contents, Avant qu'À son amour vÔtre coeur s'abandonne Une Robe qui soit de la couleur du Tems. MalgrÉ tout son pouvoir et toute sa richesse, Quoi que le Ciel en tout favorise ses voeux, Il ne pourra jamais accomplir sa promesse.
Aussi-tÔt la jeune Princesse L'alla dire en tremblant À son Pere amoureux Qui dans le moment fit entendre Aux Tailleurs les plus importans Que s'ils ne lui faisoient, sans trop le faire attendre, Une robe qui fÛt de la couleur du Temps, Ils pouvoient s'assurer qu'il les feroit Tous pendre.
Le second jour ne luisoit pas encor Qu'on apporta la robe desirÉe; Le plus beau bleu de l'EmpirÉe N'est pas, lorsqu'il est ceint de gros nuages d'or D'une couleur plus azurÉe. De joye & de douleur l'Infante penetrÉe Ne sÇait que dire ni comment Se derober À son engagement. Princesse demandez-en une, Lui dit sa Maraine tout bas, Qui plus brillante & moins commune, Soit de la couleur de la Lune Il ne vous la donnera pas. A peine la Princesse en eut fait la demande Que le Roi dit À son Brodeur, Que l'astre de la Nuit n'ait pas plus de splendeur Et que dans quatre jours sans faute on me la rende.
Le riche habillement fut fait au jour marquÉ Tel que le Roy s'en Étoit expliquÉ Dans les Cieux oÙ la Nuit a deployÉ ses voiles, La Lune est moins pompeuse en sa robe d'argent Lors mÊme qu'au milieu de son cours diligent Sa plus vive clartÉ fait pÂlir les Étoiles.
La Princesse admirant ce merveilleux habit Estoit À consentir presque deliberÉe, Mais, par sa Maraine inspirÉe Au Prince amoureux elle dit, Je ne sÇaurois Être contente Que je n'aye une Robe encore plus brillante Et de la couleur du Soleil; Le Prince qui l'aimoit d'un amour sans pareil Fit venir aussi-tÔt un riche Lapidaire Et lui commanda de la faire D'un superbe tissu d'or & de diamans, Disant que s'il manquoit À le bien satisfaire, Il le feroit mourir au milieu des tourmens. Le Prince fut exempt de s'en donner la peine, Car l'ouvrier industrieux, Avant la fin de la semaine Fit apporter l'ouvrage precieux Si beau, si vif, si radieux Que le blond Amant de Climene Lorsque sur la voute des Cieux Dans son char d'or il se promene D'un plus brillant Éclat n'ÉbloÜit pas les yeux.
L'Infante que ces dons achevent de confondre A son Pere, À son Roi ne sÇait plus que rÉpondre; Sa Maraine aussi-tÔt la prenant par la main, Il ne faut pas, lui dit-elle À l'oreille, Demeurer en si beau chemin, Est-ce une si grande merveille Que tous ces dons que vous en recevez Tant qu'il aura l'Asne que vous sÇavez Qui d'Écus d'or sans cesse emplit sa bource; Demandez-lui la peau de ce rare Animal, Comme il est toute sa resource, Vous ne l'obtiendrez pas, ou je raisonne mal.
Cette FÉe Étoit bien sÇavante, Et cependant elle ignoroit encor Que l'amour violent pourvÛ qu'on le contente, Conte pour rien l'argent & l'or; La peau fut galamment aussi tÔt accordÉe Que l'Infante l'eut demandÉe.
Cette Peau quand on l'apporta Terriblement l'epouvanta Et la fit de son sort amerement se plaindre, Sa Maraine survint & lui representa Que quand on fait le bien on ne doit jamais craindre; Qu'il faut laisser penser au Roy Qu'elle est tout À fait disposÉe A subir avec lui la conjugale Loi; Mais qu'au mÊme moment seule & bien deguisÉe Il faut qu'elle s'en aille en quelque Etat lointain Pour Éviter un mal si proche & si certain.
Voici, poursuivit-elle, une grande cassette OÙ nous mettrons tous vos habits VÔtre miroir, vÔtre toillette, Vos diamans & vos rubis. Je vous donne encor ma Baguette; En la tenant en vÔtre main La cassette suivra vÔtre mÊme chemin. Toujours sous la Terre cachÉe; Et lorsque vous voudrez l'ouvrir A peine mon bÂton la Terre aura touchÉe Qu'aussi-tÔt À vos yeux elle viendra s'offrir.
Pour vous rendre mÉconnaissable La dÉpoÜille de l'Asne est un masque admirable Cachez-vous bien dans cette peau, On ne croira jamais, tant elle est effroyable Qu'elle renferme rien de beau.
La Princesse ainsi travestie De chez la sage FÉe À peine fut sortie, Pendant la fraÎcheÜr du matin Que le Prince qui pour la FÊte De son heureux Hymen s'apprÊte Apprend tout effrayÉ son funeste destin. Il n'est point de maison, de chemin, d'avenuË Qu'on ne parcoure promptement, On ne peut deviner ce qu'elle est devenuË.
Par tout se rÉpandit un triste & noir chagrin Plus de Nopces, plus de Festin, Plus de Tarte, plus de DragÉes, Les Dames de la Cour toutes dÉcouragÉes N'en dÎnerent point la plÛpart; Mais du CurÉ sur tout la tristesse fut grande, Car il en dejeuna fort tard Et qui pis est n'eut point d'offrande.
L'Infante cependant poursuivoit son chemin Le visage couvert d'une vilaine crasse A tous Passans elle tendoit la main Et tÂchoit pour servir de trouver une place; Mais les moins delicats & les plus malheureux La voyant si maussade & si pleine d'ordure Ne vouloient Écouter ni retirer chez eux Une si sale creature. Elle alla donc bien loin, bien loin, encor plus loin, Enfin elle arriva dans une Metairie OÙ la Fermiere avoit besoin D'une soÜillon, dont l'industrie AllÂt jusqu'À sÇavoir bien laver des torchons Et nettoyer l'auge aux Cochons.
On la mit dans un coin au fond de la cuisine OÙ les Valets, insolente vermine, Ne faisoient que la tirailler, La contredire & la railler, Ils ne sÇavoient quelle piece lui faire La harcelant À tout propos; Elle Étoit la butte ordinaire De tous leurs quolibets & de tous leurs bons mots.
Elle avoit le Dimanche un peu plus de repos, Car ayant du matin fait sa petite affaire, Elle entroit dans sa chambre & tenant son huis clos, Elle se decrassoit, puis ouvroit sa cassette, Mettoit proprement sa toilette Rangeoit dessus ses petits pots, Devant son grand miroir contente & satisfaite; De la Lune tantÔt, la robe elle mettoit TantÔt celle oÙ le feu du Soleil Éclattoit, TantÔt la belle robe blÜe Que tout l'azur des Cieux ne sÇauroit Égaler, Avec ce chagrin seul que leur traÎnante queÜe Sur le plancher trop court ne pouvoit s'Étaler. Elle aimoit À se voir jeune, vermeille & blanche Et plus brave cent fois que nulle autre n'Êtoit; Ce doux plaisir la sustentoit Et la menoit jusqu'À l'autre Dimanche.
J'oubliois À dire en passant Qu'en cette grande Metairie D'un Roy magnifique & puissant Se faisoit la Menagerie, Que lÀ, Poules de Barbarie, Rales, Pintades, Cormorans, Oisons musquez, Cannes Petieres Et mille autres oiseaux de bijares manieres, Entre eux presque tous differents Remplissoient À l'envi dix cours toutes entieres.
Le fils du Roy dans ce charmant sejour Venoit souvent au retour de la Chasse Se reposer, boire À la glace Avec les Seigneurs de sa Cour. Tel ne fut point le beau Cephale; Son air Étoit Royal, sa mine martiale Propre À faire trembler les plus fiers bataillons; Peau d'Asne de fort loin le vit avec tendresse Et reconnut par cette hardiesse Que sous sa crasse & ses haillons Elle gardoit encor le coeur d'une Princesse.
Qu'il a l'air grand, quoi qu'il l'ait negligÉ, Qu'il est aimable, disoit-elle, Et que bienheureuse est la belle A qui son coeur est engagÉ. D'une robe de rien s'il m'avoit honorÉe. Je m'en trouverois plus parÉe Que de toutes celles que j'ai.
Un jour le jeune Prince errant À l'aventure De bassecour en bassecour, Passa dans une allÉe obscure OÙ de Peau d'Asne Étoit l'humble sejour. Par hasard il mit l'oeil au trou de la serrure; Comme il Étoit fÊte ce jour Elle avoit pris une riche parure Et ses superbes vÊtemens Qui tissus de fin or & de gros diamans Egaloient du Soleil la clartÉ la plus pure. Le Prince au grÉ de son dÉsir La contemple & ne peut qu'À peine, En la voyant, reprendre haleine, Tant il est comblÉ de plaisir. Quels que soient les habits, la beautÉ du visage, Son beau tour, sa vive blancheur, Ses traits fins, sa jeune fraÎcheur Le touchent cent fois davantage, Mais un certain air de grandeur Plus encore une sage & modeste pudeur Des beautez de son ame, asseurÉ tÉmoignage, S'emparerent de tout son coeur.
Trois fois dans la chaleur du feu qui le transporte Il voulut enfoncer la porte, Mais croyant voir une DivinitÉ, Trois fois par le respect son bras fut arrÊtÉ, Dans le Palais pensif il se retire Et lÀ nuit & jour il soupire, Il ne veut plus aller au Bal Quoi qu'on soit dans le Carnaval, Il hait la Chasse, il hait la Comedie Il n'a plus d'appetit, tout lui fait mal au coeur Et le fond de sa maladie Est une triste & mortelle langueur.
Il s'enquit quelle Étoit cette Nymphe admirable Qui demeuroit dans une bassecour Au fond d'une allÉe effroyable, OÙ l'on ne voit goutte en plein jour. C'est, lui dit-on, Peau d'Asne, en rien Nymphe ni bele Et que Peau d'Asne l'on appelle, A cause de la peau qu'elle met sur son cou; De l'Amour c'est le vrai remede, La bÊte en un mot la plus laide, Qu'on puisse voir aprÉs le Loup: On a beau dire, il ne sÇauroit le croire, Les traits que l'amour a tracez Toujours presens À sa memoire N'en seront jamais effacez.
Cependant la Reyne sa Mere, Qui n'a que lui d'enfant pleure & se desespere, De declarer son mal elle le presse en vain, Il gemit, il pleure, il soupire, Il ne dit rien, si ce n'est qu'il desire Que Peau d'Asne lui fasse un gÂteau de sa main; Et la Mere ne sÇait ce que son Fils veut dire; O Ciel! Madame, lui dit-on, Cette Peau d'Asne est une noire Taupe Plus vilaine encore & plus gaupe Que le plus sale Marmiton. N'importe, dit la Reyne, il le faut satisfaire, Et c'est À cela seul que nous devons songer; Il auroit eu de l'or, tant l'aimoit cette Mere, S'il en avoit voulu manger.
Peau d'Asne donc prend sa farine Qu'elle avoit fait blutter exprÉs, Pour rendre sa pÂte plus fine, Son sel, son beurre & ses oeufs frais, Et pour bien faire sa galette S'enferme seule en sa chambrette.
D'abord elle se decrassa Les mains, les bras & le visage, Et prit un corps d'argent que vÎte elle laÇa Pour dignement faire l'ouvrage, Qu'aussi-tÔt elle commenÇa.
On dit qu'en travaillant un peu trop À la hÂte, De son doigt par hazard il tomba dans la pÂte Un de ses anneaux de grand prix, Mais ceux qu'on tient sÇavoir le fin de cette histoire Asseurent que par elle exprÉs il y fut mis; Et pour moi franchement, je l'oserois bien croire, Fort seur que quand le Prince À sa porte aborda Et par le trou la regarda, Elle s'en Étoit apperÇÛË. Sur ce point la Femme est si druË, Et son oeil va si promptement Qu'on ne peut la voir un moment, Qu'elle ne sÇache qu'on l'a veÜe. Je suis bien seur encore, et j'en ferois serment Qu'elle ne douta point que de son jeune Amant La Bague ne fÛt bien receuË.
On ne pÊtrit jamais un si friand morceau, Et le Prince trouva la galette si bonne Qu'il ne s'en fallut rien que d'une faim gloutonne Il n'avalÂt aussi l'anneau. Quand il en vit l'Émeraude admirable, Et du jonc d'or le cercle Étroit, Qui marquoit la forme du doigt, Son coeur en fut touchÉ d'une joye incroyable; Sous son chevet il le mit À l'instant Et son mal toujours augmentant Les Medecins sages d'experience, En le voyant maigrir de jour en jour Jugerent tous par leur grande science Qu'il Étoit malade d'amour.
Comme l'Hymen, quelque mal qu'on en die, Est un remede exquis pour cette maladie, On conclut À le marier; Il s'en fit quelque tems prier, Puis dit, je le veux bien, pourvÛ que l'on me donne En mariage la personne Pour qui cet anneau sera bon; A cette bijare demande De la Reine & du Roi la surprise fut grande, Mais il Étoit si mal qu'on n'osa dire non. VoilÀ donc qu'on se met en quÊte De celle que l'anneau, sans nul Égard du sang, Doit placer dans un si haut rang, Il n'en est point qui ne s'apprÊte A venir presenter son doigt Ni qui veÜille ceder son droit.
Le bruit ayant couru que pour prÉtendre au Prince, Il faut avoir le doigt bien mince, Tout Charlatan, pour Être bien venu, Dit qu'il a le secret de le rendre menu, L'une en suivant son bizare caprice Comme une rave le ratisse, L'autre en couppe un petit morceau, Une autre en le pressant croit qu'elle l'appetisse, Et l'autre avec de certaine eau Pour le rendre moins gros en fait tomber la peau; Il n'est enfin point de manoeuvre Qu'une Dame ne mette en oeuvre, Pour faire que son doigt quadre bien À l'anneau.
L'essai fut commencÉ par les jeunes Princesses Les Marquises & les Duchesses, Mais leurs doigts quoi que delicats Estoient trop gros & n'entroient pas. Les Comtesses & les Baronnes, Et toutes les nobles Personnes, Comme elles tour À tour presenterent leur main Et la presenterent en vain.
Ensuite vinrent les Grisettes, Dont les jolis & menus doigts, Car il en est de tres-bien faites, Semblerent À l'anneau s'ajuster quelquefois Mais la Bague toujours trop petite ou trop ronde D'un dedain presque Égal rebuttoit tout le monde.
Il fallut en venir enfin Aux Servantes, aux Cuisinieres, Aux Tortillons, aux Dindonnieres; En un mot À tout le fretin, Dont les rouges & noires pattes, Non moins que les mains delicates Esperoient un heureux destin. Il s'y presenta mainte fille Dont le doigt gros & ramassÉ, Dans la Bague du Prince eÛt aussi peu passÉ Qu'un cable au travers d'une aiguille. On crut enfin que c'Étoit fait, Car il ne restoit en effet, Que la pauvre Peau d'Asne au fond de la cuisine, Mais comment croire, disoit-on, Qu'À regner le Ciel la destine, Le Prince dit, & pourquoi non? Qu'on la fasse venir. Chacun se prÎt À rire Criant tout haut que veut-on dire, De faire entrer ici cette sale guenon Mais lorsqu'elle tira de dessous sa peau noire Une petite main qui sembloit de l'yvoire, Qu'un peu de pourpre a colorÉ, Et que de la bague fatale, D'une justesse sans Égale Son petit doigt fut entourÉ, La Cour fut dans une surprise Qui ne peut pas Être comprise.
On la menoit au Roi dans ce transport subit, Mais elle demanda qu'avant que de paraÎtre Devant son Seigneur & son MaÎtre On lui donnÂt le temps de prendre un autre habit, De cet habit, pour la veritÉ dire, De tous cÔtez on s'apprÉtoit À rire, Mais lorsqu'elle arriva dans les Appartemens Et qu'elle eut traversÉ les salles Avec ses pompeux vÊtemens Dont les riches beautez n'eurent jamais d'Égales, Que ses aimables cheveux blonds MÊlez de diamans dont la vive lumiere En faisoit autant de rayons, Que ses yeux bleus, grands, doux & longs, Qui pleins d'une MajestÉ fiere Ne regardent jamais sans plaire & sans blesser, Et que sa taille enfin si menÜe & si fine Qu'avecque ses deux mains on eÛt pu l'embrasser, Montrerent leurs appas & leur grace divine; Des Dames de la Cour, & de leurs ornemens Tomberent tous les agrÉmens.
Dans la joye & le bruit de toute l'AssemblÉe, Le bon Roi ne se sentoit pas De voir sa Bru posseder tant d'appas, La Reyne en Étoit affolÉe, Et le Prince son cher Amant, De cent plaisirs l'Âme comblÉe Succomboit sous le poids de son ravissement. Pour l'Hymen aussitÔt chacun prit ses mesures, Le Monarque en pria tous les Rois d'alentour, Qui tous brillans de diverses parures Quitterent leurs Etats pour Être À ce-grand jour On en vit arriver des climats de l'Aurore, Montez sur de grands Elephans, Il en vint du rivage More, Qui plus noirs & plus laids encore, Faisoient peur aux petits enfans; Il en debarque & la Cour en abonde.
Mais nul Prince, nul Potentat, N'y parut avec tant d'Éclat Que le Pere de l'EpousÉe, Qui d'elle autrefois amoureux Avoit avec le temps purifiÉ les feux Dont son ame Étoit embrasÉe, Il en avoit banni tout desir criminel Et de cette odieuse flamme Le peu qui restoit dans son ame N'en rendoit que plus vif son amour paternel. DÉs qu'il la vit, que benit soit le Ciel Qui veut bien que je te revoye, Ma chere enfant, dit-il, &, tout pleurant de joye Courut tendrement l'embrasser; Chacun À son bonheur voulut s'interesser, Et le futur Espoux Étoit ravi d'apprendre Que d'un Roi si puissant il devenoit le Gendre. Dans ce moment la Maraine arriva Qui raconta toute l'histoire, Et par son recit acheva De combler Peau d'Asne de gloire.
Il n'est pas malaisÉ de voir Que le but de ce conte est qu'un Enfant apprenne Qu'il vaut mieux s'exposer À la plus rude peine Que de manquer À son devoir.
Que la Vertu peut Être infortunÉe Mais qu'elle est toujours couronnÉe.
Que contre un fol amour & ses fougueux transports La Raison la plus forte est une foible digue, Et qu'il n'est point de si riches thresors Dont un Amant ne soit prodigue.
Que de l'eau claire & du pain bis Suffisent pour la nourriture De toute jeune Creature, Pourvu qu'elle ait de beaux habits.
Que sous le Ciel il n'est point de femelle Qui ne s'imagine Être belle, Et qui souvent ne s'imagine encor Que si des trois Beautez la fameuse querelle, S'Étoit demÊlÉe avec elle Elle auroit eu la pomme d'or. Le Conte de Peau d'Asne est difficile À croire, Mais tant que dans le Monde on aura des Enfans, Des Meres & des Meres-grands, On en gardera la memoire.

LES SOUHAITS RIDICULES.

CONTE.

A MADEMOISELLE DE LA C.

Par Mr. Perrault, de L'Academie FranÇoise.


NOUVELLE.

par mr. perrault, de l'academie franÇoise.

A MADEMOISELLE ——


En vous offrant, jeune & sage BeautÉ Ce modele de patience, Je ne me suis jamais flattÉ Que par vous de tout point il seroit imitÉ C'en seroit trop en conscience.
Mais Paris oÙ l'homme est poli, OÙ le beau sexe nÉ pour plaire Trouve son bonheur accompli, De tous cÔtez est si rempli D'Exemples du vice contraire, Qu'on ne peut en toute saison Pour s'en garder ou s'en dÉfaire, Avoir trop de contrepoison.
Une Dame aussi patiente Que celle dont ici je relÉve le prix, Seroit par tout une chose Étonnante. Mais ce seroit un prodige À Paris. Les femmes y sont souveraines, Tout s'y regle selon leurs voeux, Enfin c'est un climat heureux Qui n'est habitÉ que de Reines.
Ainsi je voi que de toutes faÇons, Griselidis y sera peu prisÉe, Et qu'elle y donnera matiere de risÉe, Par ses trop antiques leÇons.
Ce n'est pas que la patience Ne soit une vertu des Dames de Paris, Mais, par un long usage elles ont la science De la faire exercer par leurs propres Maris.

Au piÉ des celebres Montagnes OÙ le PÔ s'Échappant de dessous ses roseaux, Va dans le sein des prochaines Campagnes, Promener ses naissantes eaux, Vivoit un jeune et vaillant Prince, Les delices de sa Province. Le Ciel en le formant, sur lui tout À la fois, Versa ce qu'il a de plus rare, Ce qu'entre ses Amis d'ordinaire il separe, Et qu'il ne donne qu'aux grands Rois.
ComblÉ de tous les dons & du corps & de l'Ame, Il fut robuste, adroit, propre au mÉtier de Mars, Et par l'instinct secret d'une divine flÂme, Avec ardeur il aima les beaux arts. Il aima les combats, il aima la Victoire, Les grands projets, les actes Valeureux, Et tout ce qui fait vivre un beau nom dans l'Histoire; Mais son coeur tendre & genereux Fut encor plus sensible À la solide gloire De rendre ses peuples heureux. Ce temperament HÉroÏque Fut obscurci d'une sombre vapeur Qui chagrine & melancolique, Lui faisoit voir dans le fond de son Coeur, Tout le beau sexe infidelle & trompeur. Dans la femme, oÙ brilloit le plus rare merite, Il voyoit une ame hipocrite, Un Esprit d'orgueÏl enivrÉ, Un cruel ennemi qui sans cesse n'aspire Qu'À prendre un souverain Empire Sur l'Homme malheureux qui lui sera livrÉ.
Le frequent usage du Monde, OÙ l'on ne voit qu'Epoux subjuguez ou trahis, Joint À l'air jaloux du PaÏs, Accrut encor cette haine profonde. Il jura donc plus d'une fois Que quand mÊme le Ciel pour lui plein de tendresse, Formeroit une autre Lucrece, Jamais de l'himenÉe il ne suivroit les Loix. Ainsi, quand le matin, qu'il donnoit aux affaires, Il avoit reglÉ sagement Toutes les choses necessaires Au bonheur du Gouvernement, Que du foible orphelin, de la veuve oppressÉe, Il avoit conservÉ les droits, Ou banni quelque impÔt qu'une guerre forcÉe Avoit introduit autrefois; L'autre moitiÉ de la journÉe A la Chasse Étoit destinÉe, Ou les Sangliers & les Ours, MalgrÉ leur fureur & leurs Armes Lui donnoient encor moins d'allarmes Que le sexe charmant qu'il Évitoit toujours.
Cependant ses sujets que leur interÉt presse De s'asseurer d'un Successeur Qui les gouverne un jour avec mÊme douceur, A leur donner un fils le convioient sans cesse.
Un jour dans le Palais ils vinrent tous en corps Pour faire leurs derniers efforts; Un Orateur d'une grave apparence, Et le meilleur qui fÛt alors, Dit tout ce qu'on peut dire en pareille occurrence Il marqua leur desir pressant De voir sortir du Prince une heureuse LignÉe Qui rendit À jamais leur Etat florissant, Il lui dit mÊme en finissant Qu'il voyoit un astre naissant Issu de son chaste hymenÉe Qui faisoit pÂlir le croissant.
D'un ton plus simple & d'une voix moins forte Le Prince À ses sujets repondit de la sorte.
Le zele ardent, dont je voi qu'en ce jour Vous me portez aux noeuds du mariage, Me fait plaisir, & m'est de vÔtre Amour Un agreable tÉmoignage; J'en suis sensiblement touchÉ, Et voudrais dÉs demain pouvoir vous satisfaire Mais a mon sens l'Hymen est une affaire OÙ plus l'homme est prudent, plus il est empÊchÉ. Observez bien toutes les jeunes filles; Tant qu'elles sont au sein de leurs familles Ce n'est que vertu, que bontÉ, Que pudeur, que sinceritÉ; Mais sitÔt que le mariage Au deguisement a mis fin, Et qu'ayant fixÉ leur destin Il n'importe plus d'Être sage, Elles quittent leur personnage, Non sans avoir beaucoup pati, Et chacune dans son mÉnage Selon son grÉ prend son parti.
L'une d'humeur chagrine, & que rien ne recrÉe, Devient une devote outrÉe, Qui crie & gronde À tous momens, L'autre se faÇonne en Coquette, Qui sans cesse Écoute ou caquette, Et n'a jamais assez d'Amans; Celle ci des beaux arts follement curieuse, De tout dÉcide avec hauteur, Et critiquant le plus habile autheur, Prend la forme de Precieuse; Cette autre s'erige en joÜeuse, Perd tout, argent, bijoux, bagues, meubles de prix, Et mÊme jusqu'À ses habits. Dans la diversitÉ des routes qu'elles tiennent Il n'est qu'une chose oÙ je voi Qu'enfin toutes elles conviennent, C'est de vouloir donner la Loi.
Or je suis convaincu que dans le mariage On ne peut jamais vivre heureux, Quand on y commande tous deux. Si donc vous souhaittez qu'À l'Himen je m'engage, Cherchez une jeune BeautÉ Sans orgueil & sans vanitÉ, D'une obeÏssance achevÉe, D'une patience ÉprouvÉe, Et qui n'ait point de volontÉ, Je la prendrai quand vous l'aurez trouvÉe.
Le prince, ayant mis fin À ce discours moral, Monte brusquement À cheval, Et court joindre À perte d'haleine Sa meutte qui l'attend au milieu de la plaine.
AprÉs avoir passÉ des prÉs & des guerets, Il trouve ses chasseurs couchez sur l'herbe verte Tous se levent, & tous alerte, Font trembler de leurs cors les hÔtes des forÊts. Des chiens courans, l'abboyante famille, DeÇÀ, de lÀ, parmi le chaume brille, Et les Limiers À l'oeil ardent Qui du fort de la bÊte À leur poste reviennent, EntraÎnent en les regardant Les forts valets qui les retiennent.
S'Étant instruit par un des siens Si tout est prÊt, si l'on est sur la trace Il ordonne aussitÔt qu'on commence la chasse, Et fait donner le Cerf aux chiens. Le son des cors qui retentissent, Le bruit des chevaux qui hennissent Et des chiens animez les pÉnÉtrans abois, Remplissent la fÔret de tumulte & de trouble, Et pendant que l'echo sans cesse les redouble, S'enfonÇent avec eux dans les plus creux du bois.
Le Prince par hasard ou par sa destinÉe, Prit une route dÉtournÉe OÙ nul des chasseurs ne le suit; Plus il court, plus il s'en sÉpare: Enfin, À tel point il s'egare, Que des chiens & des cors il n'entend plus le bruit.
L'Endroit oÙ le mena sa bijarre avanture, Clair de ruisseaux & sombre de verdure, Saisissoit les Esprits d'une secrette horreur; La simple & naÏve nature S'y faisoit voir & si belle & si pure, Que mille fois il benit son erreur.
Rempli des douces rÊveries Qu'inspirent les grands bois, les eaux & les prairies, Il sent soudain frapper & son coeur & ses yeux Par l'objet le plus agreable, Le plus doux & le plus aimable Qu'il eut jamais vu sous les Cieux. C'Étoit une jeune Bergere Qui filoit aux bords d'un ruisseau, Et qui conduisant son troupeau, D'une main sage & menagere Tournoit son agile fuzeau. Elle auroit pÛ dompter les coeurs les plus sauvages; Des Lys, son teint a la blancheur, Et sa naturelle fraÎcheur S'Étoit toÛjours sauvÉe À l'ombre des boccages: Sa bouche, de l'enfance avoit tout l'agrÉment, Et ses yeux qu'adoucit une brune paupiere, Plus bleus que n'est le firmament, Avoient aussi plus de lumiere.
Le Prince, avec transport, dans le bois se glissant, Contemple les beautez dont son Ame est ÉmeÜe, Mais le bruit qu'il fait en passant De la belle sur lui fit dÉtourner la veÜe; Des qu'elle se vit apperÇÜe, D'un brillant incarnat la prompte & vive ardeur, De son beau teint redoubla la splendeur, Et sur son visage ÉpandeÜe, Y fit triompher la pudeur.
Sous le voile innocent de cette honte aimable, Le Prince dÉcouvrit une simplicitÉ, Une douceur, une sinceritÉ, Dont il croyoit le beau sexe incapable, Et qu'il voyait dans toute leur beautÉ.
Saisi d'une frayeur pour lui toute nouvelle, Il s'approche interdit, & plus timide qu'elle, Lui dit d'une tremblante voix, Que de tous ses veneurs il a perdu la trace, Et lui demande si la chasse N'a point passÉ quelque part dans le bois. Rien n'a paru, Seigneur, dans cette solitude, Dit-elle, & nul ici que vous seul n'est venu; Mais n'ayez point d'inquiÉtude, Je remettrai vos pas sur un chemin connu.
De mon heureuse destinÉe Je ne puis, lui dit-il, trop rendre grace aux Dieux, Depuis long-tems je frequente ces lieux, Mais j'avois ignorÉ jusqu'À cette journÉe Ce qu'ils ont de plus precieux.
Dans ce tems elle voit que le Prince se baisse Sur le moitte bord du ruisseau, Pour Étancher dans le cours de son eau La soif ardente qui le presse; Seigneur, attendez un moment, Dit-elle, & courant promptement Vers sa cabane, elle y prend une tasse, Qu'avec joye & de bonne grace, Elle presente À ce nouvel Amant.
Les vases precieux de cristal & d'agathe OÙ l'or en mille endroits Éclatte, Et qu'un art curieux avec soin faÇonna: N'eurent jamais pour lui, dans leur pompe inutile, Tant de beautÉ que le vase d'argile Que la Bergere lui donna.
Cependant pour trouver une route facile, Qui mene le Prince À la Ville, Ils traversent des bois, des rochers escarpez Et de torrents entrecoupez, Le Prince n'entre point dans de route nouvelle Sans en bien observer, tous les lieux d'alentour; Et son ingÉnieux Amour Qui songeoit au retour En fit une carte fidelle. Dans un boccage sombre & frais Enfin la Bergere le meine, OÙ, de dessous ses branchages Épais Il voit au loin dans le sein de la plaine Les toits dorez de son riche Palais.
S'Étant separÉ de la Belle, TouchÉ d'une vive douleur, A pas lents il s'Éloigne d'elle ChargÉ du trait qui lui perce le coeur. Le souvenir de sa tendre avanture, Avec plaisir le conduisit chez lui, Mais dÉs le lendemain il sentit sa blessure, Et se vit accablÉ de tristesse & d'ennui.
DÉs qu'il le peut il retourne À la chasse, OÙ de sa suite adroitement Il s'Échappe & se dÉbarrasse Pour s'Égarer heureusement. Des arbres & des monts les cimes ÉlevÉes. Qu'avec grand soin il avoit observÉes, Et les avis secrets de son fidelle amour, Le guiderent si bien que malgrÉ les traverses, De cent routes diverses, De sa jeune Bergere il trouva le sÉjour. Il sÇut qu'elle n'a plus que son pere avec elle, Que Griselidis on l'appelle, Qu'ils vivent doucement du lait de leurs brebis, Et que de leur toison qu'elle seule elle file, Sans avoir recours À la Ville, Ils font eux-mÊmes leurs habits.
Plus il la voit plus il s'enflÂme Des vives beautez de son ame. Il connoit en voyant tant de dons prÉcieux, Que si sa Bergere est si belle, C'est qu'une legere Étincelle, De l'esprit qui l'anime a passÉ dans ses yeux.
Il ressent une joye extrÉme, D'avoir si bien placÉ ses premieres amours, Ainsi sans plus tarder, il fit dÉs le jour mÊme Assembler son Conseil & lui tint ce discours.
Enfin aux Loix de l'hymÉnÉe Suivant vos voeux je me vais engager, Je ne prens point ma femme en paÏs Étranger. Je la prends parmi vous, belle, sage, bien nÉe, Ainsi que mes ayeux ont fait plus d'une fois, Mais j'attendrai cette grande journÉe A vous informer de mon choix.
DÉs que la nouvelle fut sÇÜe, Partout elle fut rÉpanduË. On ne peut dire avec combien d'ardeur L'allegresse publique De tous cÔtez s'explique; Le plus content fÛt l'Orateur, Qui par son discours pathetique Croyoit d'un si grand bien Être l'unique Auteur, Qu'il se trouvoit homme de consequence! Rien ne peut resister À la grande Éloquence, Disoit-il sans cesse en son coeur.
Le plaisir fut de voir le travail inutile, Des Belles de toute la Ville Pour s'attirer & mÉriter le choix Du Prince leur Seigneur, q'un air chaste & modeste, Charmoit uniquement & plus que tout le reste, Ainsi qu'il l'avoit dit cent fois.
D'habit & de maintien toutes elles changerent, D'un ton devot elles tousserent, Elles radoucirent leurs voix, De demi pied les coËffures baisserent, La gorge se couvrit, les manches s'allongerent, A peine on leur voyoit le petit bout des doigts.
Dans la Ville avec diligence, Pour l'hymen dont le jour s'avance, On voit travailler tous les arts, Ici se font de magnifiques chars D'une forme toute nouvelle, Si beaux & si bien inventez, Que l'or qui par tout Étincelle, En fait la moindre des beautez.
LÀ, pour voir aisÉment & sans aucun obstacle, Toute la pompe du spectacle, On dresse de longs Échaffaux, Ici de grands Arcs triomphaux, OÙ du Prince guerrier se celebre la gloire, Et de l'amour sur lui l'Éclatante victoire.
LÀ sont forgez d'un art industrieux, Ces feux qui par les coups d'un innocent Tonnerre, En effrayant la Terre, De mille astres nouveaux embellissent les Cieux.
LÀ d'un ballet ingenieux Se concerte avec soin l'agreable folie, Et lÀ d'un OpÉra peuplÉ de mille dieux, Le plus beau que jamais ait produit l'Italie, On entend repeter les Airs melodieux.
Enfin, du fameux hymenÉ, Arriva la grande journÉe.
Sur le fond d'un Ciel vif & pur, A peine l'Aurore vermeille, Confondoit l'or avec l'azur, Que par tout en sursaut le beau sexe s'eveille; Le peuple curieux s'Épand de tous cÔtez, En differens endroits des Guardes sont postez, Pour contenir la populace, Et la contraindre À faire place. Tout le Palais retentit de clairons, De flutes, de hautbois, de rustiques musettes, Et l'on n'entend aux environs Que des tambours & des trompettes. Enfin le Prince sort entourÉ de sa Cour, Il s'Éleve un long cri de joye, Mais on est bien surpris quand au premier dÉtour, De la forÊt prochaine on voit qu'il prend la voye, Ainsi qu'il faisoit chaque jour. VoilÀ, dit-on, son penchant qui l'emporte, Et de ses passions, en dÉpit de l'amour, La Chasse est toÛjours la plus forte.
Il traverse rapidement Les guerets de la plaine, & gagnant la montagne, Il entre dans le bois au grand Étonnement De la Troupe qui l'accompagne. AprÈs avoir passÉ par diffÉrens dÉtours, Que son coeur amoureux se plaÎt À reconnaÎtre, Il trouve enfin la cabane champÊtre OÙ logent ses tendres amours.
Griselidis de l'hymen informÉe, Par la voix de la RenommÉe, En avoit pris son bel habillement; Et pour en aller voir la pompe magnifique De dessous sa case rustique Sortoit en ce mÊme moment.
OÙ courez-vous, si prompte & si legere? Lui dit le prince en l'abordant, Cessez de vous hÂter, trop aimable Bergere, La Nopce oÙ vous allez, & dont je suis l'Epoux, Ne saurait se faire sans vous.
OÜi, je vous aime, & je vous ai choisie Entre mille jeunes beautez Pour passer avec vous le reste de ma vie. Si toutefois mes voeux ne sont pas rejettez.
Ah! dit-elle, Seigneur, je n'ai garde de croire Que je sois destinÉe À ce comble de gloire, Vous cherchez À vous divertir. Non, non, dit-il, je suis sincere, J'ai deja pour moi vÔtre Pere. (Le Prince avoit eu soin de l'en faire avertir) Daignez Bergere y consentir, C'est-lÀ tout ce qui reste À faire. Mais afin qu'entre nous une solide paix Eternellement se maintienne, Il faudroit me jurer que vous n'aurez jamais D'autre volontÉ que la mienne.
Je le jure, dit-elle, & je vous le promets; Si j'avois ÉpouzÉ le moindre du Village, J'obeÏrois, son joug me serait doux, HÉlas! combien donc davantage, Si je viens À trouver en vous, Et mon Seigneur et mon Epoux.
Ainsi le Prince se dÉclare, Et pendant que la Cour applaudit À son choix, Il porte la Bergere À souffrir qu'on la pare Des ornemens qu'on donne aux Epouzes des Rois. Celles qu'À cet emploi leur devoir interesse, Entrent dans la Cabane, & lÀ diligemment Mettent tout leur savoir & toute leur adresse A donner de la grace À chaque ajustement. Dans cette hutte oÙ l'on se presse, Les Dames admirent sans cesse Avec quel art la pauvretÉ S'y cache sous la propretÉ; Et cette rustique Cabane, Que couvre & refraichit un spacieux Platane, Leur semble un sÉjour enchantÉ.
Enfin, de ce Reduit sort pompeuse & brillante La Bergere Charmante, Ce ne sont qu'applaudissemens Sur sa beautÉ, sur ses habillemens; Mais sous cette pompe Étrangere, DÉja plus d'une fois le Prince a regrettÉ Des ornemens de la Bergere L'innocente simplicitÉ.
Sur un grand char d'or & d'Ivoire La Bergere s'assied pleine de MajestÉ, Le Prince y monte avec fiertÉ, Et ne trouve pas moins de gloire A se voir comme Amant assis À son cÔtÉ, Qu'À marcher en triomphe aprÉs une victoire; La Cour les suit & tous gardent le rang Que leur donne leur charge ou l'Éclat de leur sang.
La Ville dans les champs presque toute sortie Couvroit les plaines d'alentour, Et du choix du Prince avertie, Avec impatience attendoit son retour, Il paroit, on le joint. Parmi l'Épaisse foule Du peuple qui se fend le char À peine roule; Par les longs cris de joye À tout coup redoublez, Les chevaux ÉmÛs et troublez, Se cabrent, trÉpignent, s'Élancent Et reculent plus qu'ils n'avancent.
Dans le Temple on arrive enfin, Et lÀ par la chaÎne Éternelle D'une promesse solennelle, Les deux Epoux unissent leur destin: Ensuite au Palais ils se rendent, OÙ mille plaisirs les attendent, OÙ la Danse, les Jeux, les Courses, les Tournois Repandent l'allegresse en differens endroits; Sur le soir le blond hymenÉe, De ses chastes douceurs couronna la journÉe.
Le lendemain les differents Etats De toute la Province Accourent haranguer la Princesse & le Prince Par la voix de leurs Magistrats.
De ses Dames environnÉe, Griselidis, sans paroÎtre ÉtonnÉe, En Princesse les entendit, En Princesse leur rÉpondit. Elle fit toute chose avec tant de prudence, Qu'il sembla que le Ciel eÛt versÉ ses thrÉsors, Avec encor plus d'abondance Sur son Ame que sur son corps. Par son Esprit, par ses vives lumiÈres, Du Grand monde aussitÔt elle prit les maniÉres, Et mÊme dÉs le premier jour Des talens, de l'humeur des Dames de la Cour, Elle se fit si bien instruire, Que son bon sens jamais embarrassÉ Eut moins de peine À les conduire, Que ses brebis du tems passÉ.
Avant la fin de l'an des fruits de l'hymenÉe, Le Ciel benit leur couche fortunÉe, Ce ne fut point un Prince, on l'eÛt bien souhaittÉ; Mais la jeune Princesse avoit tant de beautÉ, Que l'on ne songea plus qu'À conserver sa vie; Le Pere qui lui trouve un air doux & charmant, La venoit voir de moment en moment, Et la Mere encor plus ravie La regardoit incessamment.
Elle voulut la nourrir elle-mÊme, Ah! dit-elle, comment m'exempter de l'emploi Que ses cris demandent de moi, Sans une ingratitude extrÊme; Par un motif de Nature ennemi Pourrois-je bien vouloir de mon Enfant que j'aime, N'Être la Mere qu'À demi. Soit que le Prince eÛt l'ame un peu moins enflammÉ Qu'aux premiers jours de son ardeur, Soit que de sa maligne humeur La masse se fÛt rallumÉe, Et de son Épaisse fumÉe EÛt obscurci ses sens et corrompu son Coeur; Dans tout ce que fait la Princesse, Il s'imagine voir peu de sinceritÉ, Sa trop grande vertu le blesse, C'est un piege qu'on rend À sa credulitÉ; Son Esprit inquiet & de trouble agitÉ Croit tous les soupÇons qu'il Écoute, Et prend plaisir À revoquer en doute L'excez de sa felicitÉ.
Pour guerir les chagrins dont son ame est atteinte Il la suit, il l'observe, il aime À la troubler Par les ennuys de la contrainte, Par les alarmes de la crainte, Par tout ce qui peut demÉler La veritÉ d'avec la feinte. C'est trop, dit-il, me laisser endormir, Si ses vertus sont veritables Les traitemens les plus insupportables, Ne feront que les affermir.
Dans son Palais il la tient reserrÉe, Loin de tous les plaisirs qui naissent À la Cour, Et dans sa chambre, oÙ seule elle vit retirÉe, A peine il laisse entrer le jour. PersuadÉ que la Parure Et le superbe ajustement Du sexe, que pour plaire a formÉ la Nature Est le plus doux enchantement. Il lui demande avec rudesse Les Perles, les Rubis, les Bagues, les Bijoux Qu'il lui donna pour marque de tendresse, Lorsque de son Amant il devint son Epoux.
Elle dont la vie est sans tache, Et qui n'a jamais eu d'attache Qu'À s'acquiter de son devoir, Les lui donne sans s'Émouvoir. Et mÊme le voyant se plaire À les reprendre, N'a pas moins de joye À les rendre Qu'elle en eÛt À les recevoir.
Pour m'Éprouver mon Epoux me tourmente, Dit-elle, & je voi bien qu'il ne me fait souffrir, Qu'afin de reveiller ma vertu languissante, Qu'un doux & long repos pourrait faire perir. S'il n'a pas ce dessein, du moins suis-je assurÉe Que telle est du Seigneur la conduite sur moi; Et que de tant de maux l'ennuyeuse durÉe, N'est que pour exercer ma constance & ma foi. Pendant que tant de malheureuses Errent au grÉ de leurs dÉsirs; Par mille routes dangereuses. AprÉs de faux & vains plaisirs; Pendant que le Seigneur dans sa lente Justice Les laisse aller au bord du prÉcipice Sans prendre part À leur danger Par un pur mouvement de sa bontÉ suprÊme Il me choisit comme un enfant qu'il aime Et s'applique À me corriger. Aymons donc sa rigueur utilement cruelle On n'est heureux qu'autant qu'on a souffert; Aymons sa bontÉ paternelle Et la main dont elle se sert.
Le Prince a beau la voir obeÏr sans contrainte A tous ses ordres absolus Je voi le fondement de cette vertu feinte Dit-il, & ce qui rend tous mes coups superflus, C'est qu'ils n'ont portÉ leur atteinte Qu'À des endroits oÙ son Amour n'est plus.
Dans son Enfant, dans la jeune Princesse Elle a mis toute sa tendresse A l'Éprouver si je veux reÜssir C'est lÀ qu'il faut que je m'adresse. C'est lÀ que je puis m'Éclaircir. Elle venait de donner la mamelle, Au tendre objet de son Amour ardent Qui couchÉ sur son sein se joÜoit avec elle, Et rioit en la regardant:
Je voi que vous l'aymez, lui dit-il, cependant Il faut que je vous l'Ôte en cet Âge encor tendre Pour lui former les moeurs & pour la preserver De certains mauvais airs qu'avec vous l'on peut prendre; Mon heureux sort m'a fait trouver Une Dame d'esprit qui saura l'Élever Dans toutes les vertus & dans la politesse Que doit avoir une Princesse. Disposez-vous À la quitter On va venir pour l'emporter.
Il la laisse À ces mots, n'ayant pas le courage, Ni les yeux assez inhumains, Pour voir arracher de ses mains De leur Amour l'unique gage; Elle de mille pleurs se baigne le visage, Et dans un morne accablement Attend de son malheur le funeste moment.
DÉs que d'une action si triste & si cruelle Le Ministre odieux À ses yeux se montra, Il faut obeÏr lui dit-elle, Puis prenant son Enfant qu'elle considera, Qu'elle baisa d'une ardeur maternelle, Qui de ses petits bras tendrement la serra, Toute en pleurs elle le livra. Ah! que sa douleur fut amere! Arracher l'Enfant ou le Coeur Du sein d'une si tendre Mere, C'est la mÊme douleur.
PrÉs de la Ville Étoit un monastÈre, Fameux par son antiquitÉ, OÙ des vierges vivoient dans une regle austere, Sous les yeux d'une Abbesse illustre en pietÉ. Ce fut lÀ que dans le silence, Et sans dÉclarer sa naissance, On dÉposa l'Enfant & des bagues de prix, Sous l'espoir d'une recompense Digne de soins que l'on en auroit pris.
Le Prince qui tÂchoit d'Éloigner par la Chasse Le vif remords qui l'em

A MONSIEUR ——

EN LUI ENVOYANT

GRISELIDIS.

Si je m'Étois rendu À tous les differens avis qui m'ont ÉtÉ donnez sur l'ouvrage que je vous envoye, il n'y seroit rien demeurÉ que le Conte tout sec & tout uni, & en ce cas j'aurois mieux fait de n'y pas toucher & de le laisser dans son papier bleu, oÙ il est depuis tant d'annÉes. Je le lÛs d'abord À deux de mes amis. Pourquoi, dit l'un, s'Étendre si fort sur le caractere de vÔtre HÉros, qu'a-t-on affaire de savoir ce qu'il faisoit le matin dans son conseil, & moins encore À quoi il se divertissoit l'aprÉsdÎnÉe.

Tout cela est bon À retrancher. Otez-moi, je vous prie, dit l'autre, la rÉponse enjoÜÉe qu'il fait aux Deputes de son peuple, qui le pressent de se marier; elle ne convient point À une Prince grave & serieux: vous voulez bien encore, poursuivit-il, que je vous conseille de supprimer la longue description de vÔtre chasse? Qu'importe tout cela au fond de votre histoire? Croyez-moi ce sont de vains & ambitieux ornemens qui apauvrissent vÔtre PoËme au lieu de l'enrichir. Il en est de mÊme ajoÛta-t-il, des prÉparatifs qu'on fait pour le mariage du Prince, tout cela est oiseux, & inutile. Pour vos Dames qui rabaissent leurs coËffures, qui couvrent leurs gorges, & qui allongent leurs manches, froide plaisanterie! Aussi bien que celle de l'Orateur qui s'applaudit de son Éloquence: je demande encore, reprit celui qui avoit parlÉ le premier, que vous Ôtiez les reflexions ChrÊtiennes de Griselidis, qui dit, que c'est Dieu qui veut l'Éprouver, c'est un sermon hors de sa place. Je ne saurois encore souffrir les inhumanitez de vÔtre Prince, elles me mettent en colere, je les supprimerois. Il est vrai qu'elles sont de l'histoire; mais il n'importe. J'Ôterois encor l'Episode du jeune Seigneur qui n'est lÀ que pour Épouzer la jeune Princesse, cela allonge trop vÔtre Conte; Mais lui dis-je, le Conte finiroit mal sans cela. Je ne saurois que vous dire, rÉpondit-il, je ne laisserois pas que de l'Ôter.

A quelques jours de lÀ je fis la mÊme lecture À deux autres de mes amis, qui ne me dirent pas un seul mot sur les endroits dont je viens de parler, mais qui en reprirent quantitÉ d'autres. Bien loin de me plaindre de la rigueur de vÔtre Critique, leur dis-je, je me plains de ce qu'elle n'est pas assez severe, vous m'avez passÉ une infinitÉ d'endroits que l'on trouve tres dignes de censure. Comme quoi, dirent-ils? On trouve leur dis-je, que le caractÈre du Prince est trop Étendu, & qu'on n'a que faire de savoir ce qu'il faisoit le matin & encore moins l'aprÉsdÎnÉe. On se moque de vous, dirent-ils tous deux ensemble, quand on vous fait de semblables critiques. On blÂme, poursuivis-je, la rÉponse que fait le Prince À ceux qui le pressent de se marier, comme trop enjoÜÉe & indigne d'un Prince grave & sÉrieux. Bon, reprit l'un d'eux, & oÙ est l'inconvenient qu'un jeune prince d'Italie, paÏs oÙ l'on est accoÛtumÉ À voir les hommes les plus graves & les plus Élevez en dignitÉ dire des plaisanteries, & qui d'ailleurs fait profession de mal parler, & des femmes & du mariage, matieres si sujettes À la raillerie, se soit un peu rÉjoÜi sur cet article. Quoi qu'il en soit je vous demande grace pour cet endroit comme pour celui de l'Orateur qui croyoit avoir converti le Prince, & pour le rabaissement des coËffures; car ceux qui n'ont pas aimÉ la rÉponce enjouÉe du Prince ont bien la mine d'avoir fait main basse sur ces deux endroits-lÀ. Vous l'avez devinÉ, lui dis-je. Mais d'un autre cÔtÉ, ceux qui n'aiment que les choses plaisantes n'ont pÛ souffrir les reflexions ChrÉtiennes de la Princesse, qui dit que c'est Dieu qui la veut Éprouver. Ils pretendent que c'est un sermon hors de propos. Hors de propos? reprit l'autre; non seulement ces reflexions sont necessaires au sujet: mais elles y sont absolument necessaires. Vous aviez besoin de rendre croyable la patience de vÔtre HÉroÏne, & quel autre moyen aviez-vous que de lui faire regarder les mauvais traitemens de son Epoux comme venans de la main de Dieu? Sans cela on la prendroit pour la plus stupide de toutes les femmes, ce qui ne feroit pas assurement un bon effet.

On blÂme encore leur dis-je l'Episode du jeune Seigneur qui Épouse la jeune Princesse. On a tort reprit-il, comme vÔtre ouvrage est un veritable PoËme, quoique vous lui donniez le titre de nouvelle, il faut qu'il n'y ait rien À desirer quand il finit. Cependant si la jeune Princesse s'en retournoit dans son Couvent sans Être mariÉe aprÉs s'y Être attenduË, elle ne seroit point contente, ni ceux qui liroient la nouvelle:

Ensuite de cette conference, j'ai pris le parti de laisser mon ouvrage tel À peu prÉs qu'il a ÉtÉ lÛ dans l'Academie. En un mot j'ai eu soin de corriger les choses qu'on m'a fait voir Être mauvaises en elles-mÊmes; mais À l'Égard de celles que j'ai trouvÉ n'avoir point d'autre dÉfaut que de n'Être pas au goÛt de quelques personnes peut-Être un peu trop dÉlicates, j'ai crÜ n'y devoir pas toucher.

Quoi qu'il en soit, j'ai crÛ devoir m'en remettre au public, qui juge toÛjours bien. J'apprendrai de lui ce que j'en dois croire, & je suivrai exactement tous ses avis, s'il m'arrive jamais de faire une seconde Édition de cet ouvrage.

FINIS.

An Arno Press Collection

Allies, Jabez. On The Ancient British, Roman, and Saxon Antiquities and Folk-Lore of Worcestershire. 1852

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Bompas, Cecil Henry, translator. Folklore of the Santal Parganas. 1909

Bourne, Henry. Antiquitates Vulgares; Or, The Antiquities of the Common People. 1725

Briggs, Katharine Mary. The Anatomy of Puck. 1959

Briggs, Katharine Mary. Pale Hecate's Team. 1962

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Hambruch, Paul. Faraulip. 1924

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Jansen, William Hugh. Abraham "Oregon" Smith. 1977

Jenkins, John Geraint. Studies in Folk Life. 1969

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Perrault, Charles. Popular Tales. 1888

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Ralston, William Ralston Shedden. Russian Folk-Tales. 1873

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Wratislaw, Albert Henry, translator. Sixty Folk-Tales From Exclusively Slavonic Sources. 1889

Yates, Norris W. William T. Porter and the Spirit of the Times. 1957


Transcriber's notes:

Punctuation has been standardized.
Non-standard spelling in English and French was retained.
Elipses and asterisks replaced with emdashes to indicate omitted names.

The remaining changes made are indicated by dotted lines under the text. Scroll the mouse over the word to see the original text.

Notes au lecteur:

En gÉnÉral, cette version Électronique reprend l'intÉgralitÉ du texte de la version papier. Les mots corrigÉs sont soulignÉs par des tirets. Passer la souris sur le mot, pour voir le texte original.





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