Il y avait une fois, en Hollande, une grande et belle ville appelÉe Stavoren. Cette ville Était situÉe prÈs de la mer, et les habitants Étaient trÈs riches, parce que leurs vaisseaux allaient dans toutes les diffÉrentes parties du monde chercher les trÉsors de toutes les diffÉrentes contrÉes. Les habitants de Stavoren Étaient trÈs riches, et ils Étaient fiers de leur or, fiers de leur argent, fiers de leurs vaisseaux, et fiers de leurs grands palais. Ils Étaient fiers et ÉgoÏstes aussi, parce qu'ils ne pensaient jamais aux pauvres, qui n'avaient ni or, ni argent, ni vaisseaux, ni palais. Il y avait une dame À Stavoren qui Était plus riche et plus fiÈre que tous les autres habitants; elle Était aussi plus ÉgoÏste et plus cruelle envers les pauvres. Un jour, cette dame si riche appela le capitaine de son plus grand vaisseau, et dit: "Capitaine, prÉparez votre vaisseau, et quittez le port. Allez me chercher une grande cargaison de la chose la plus prÉcieuse du monde." "Certainement, madame," dit le capitaine, "commandez, et j'obÉirai. Mais que voulez-vous, madame? Voulez-vous une grande cargaison d'or, d'argent, de pierres prÉcieuses, ou d'Étoffes? Que voulez-vous?" "Capitaine," rÉpondit la dame, "j'ai donnÉ mes ordres. Je demande une cargaison de la chose la plus prÉcieuse du monde. Il y a seulement une chose qui est plus prÉcieuse que toutes les autres. Allez chercher cette chose-lÀ et partez immÉdiatement." Le pauvre capitaine, qui avait peur de la dame, obÉit. Il alla au port, il prÉpara son vaisseau, et partit. Alors il appela ses officiers et ses matelots, et dit: "Camarades, notre maÎtresse a commandÉ une grande cargaison de la chose la plus prÉcieuse du monde. Elle a refusÉ de dire quelle est la chose la plus prÉcieuse du monde. Je ne sais pas quelle est la chose la plus prÉcieuse du monde. Savez-vous quelle est la chose la plus prÉcieuse du monde?" "Oui, mon capitaine," rÉpondit un officier, "la chose la plus prÉcieuse du monde, c'est l'or." "Oh, non, mon capitaine," rÉpondit un autre officier, "la chose la plus prÉcieuse du monde, c'est l'argent." "Non," dit un autre. "Mes camarades, la chose la plus prÉcieuse du monde ce sont les pierres prÉcieuses, les perles, les diamants, et les rubis." Un autre matelot dit: "Mon capitaine, la chose la plus prÉcieuse du monde ce sont les Étoffes." Tous les hommes et tous les officiers avaient une opinion diffÉrente, et le pauvre capitaine Était trÈs embarrassÉ. Enfin le capitaine dit: "Je sais quelle est la chose la plus prÉcieuse du monde, c'est le blÉ. Avec le blÉ on fait le pain, la chose la plus prÉcieuse du monde, parce que le pain est indispensable." Le capitaine Était content, et tous les hommes Étaient contents aussi. Le capitaine dirigea son vaisseau dans la mer Baltique. "Ah," rÉpondaient les personnes riches, "quelle est cette chose?" Mais la dame refusait de rÉpondre et disait seulement: "Devinez, mes amis, devinez." Naturellement la curiositÉ de toutes les personnes de Stavoren Était grande, et elles attendaient le retour du capitaine avec impatience. Un jour le grand vaisseau arriva dans le port, le capitaine se prÉsenta devant la dame qui le regarda avec surprise, et dit: "Comment, capitaine, dÉjÀ de retour! Vous avez ÉtÉ rapide comme un pigeon. Avez-vous la cargaison que j'ai demandÉe?" "Oui, madame," rÉpondit le capitaine, "j'ai une cargaison du plus magnifique blÉ!" "Comment!" dit la dame. "Une cargaison de blÉ! MisÉrable! j'ai demandÉ une cargaison de la chose la plus prÉcieuse du monde, et vous apportez une chose aussi vulgaire, aussi ordinaire, aussi commune que du blÉ!" "Pardon, madame," dit le capitaine. "Le blÉ n'est pas vulgaire, ordinaire, et commun. Le blÉ est trÈs prÉcieux. C'est la chose la plus prÉcieuse du monde. Avec le blÉ on fait le pain. Et le pain, madame, est indispensable." "MisÉrable!" dit la dame. "Allez au port, immÉdiatement, et jetez toute la cargaison de blÉ À la mer." "Oh, madame, quel dommage!" dit le capitaine. "Le blÉ est si bon! Si vous ne voulez pas ce bon blÉ, donnez-le aux pauvres, ils ont faim, ils seront contents." Mais la dame refusa, et dit encore une fois: "Capitaine, allez au port, immÉdiatement, et jetez toute la cargaison de blÉ À la mer! J'arriverai au port dans quelques minutes pour voir exÉcuter mes ordres." Le pauvre capitaine partit. En route il rencontra beaucoup de pauvres, et dit: "Ma maÎtresse, la dame la plus riche de Stavoren, a une grande cargaison de blÉ. Elle ne veut pas ce blÉ. Elle a commandÉ de jeter toute la cargaison À la mer. Si vous voulez le blÉ, venez au port, peut-Être que ma maÎtresse aura compassion de vous, et vous donnera toute la cargaison." Quelques minutes plus tard tous les pauvres de Stavoren Étaient assemblÉs sur le quai; la dame arriva, et dit: "Capitaine, avez-vous exÉcutÉ mes ordres?" "Non, madame, pas encore!" "Alors, capitaine, obÉissez, jetez toute la cargaison de blÉ À la mer." "Madame," dit le capitaine, "regardez tous ces pauvres, ils ont faim! Donnez le blÉ que vous ne voulez pas aux pauvres!" "Oh, oui, madame! Nous avons faim, nous avons faim," criÈrent les pauvres. "Donnez-nous le blÉ! Donnez-nous le blÉ!" Mais la dame Était trÈs cruelle, et dit: "Non, non! Capitaine, j'ai commandÉ. Jetez tout le blÉ À la mer, immÉdiatement." "Jamais, madame!" rÉpondit le capitaine. Alors la dame fit un signe aux officiers et aux matelots, et rÉpÉta son ordre. Les hommes obÉirent, et malgrÉ les cris des pauvres, et malgrÉ leurs pleurs, tout le blÉ fut jetÉ À la mer. La dame regarda en silence, et quand la procession de sacs eut cessÉ, elle demanda aux officiers et aux matelots: "Avez-vous jetÉ tout le blÉ À la mer?" "Oui, madame," rÉpondirent les hommes. "Oui, madame," dit le capitaine d'une voix indignÉe, "mais un jour arrivera oÙ vous regretterez ce que vous avez fait! Un jour arrivera oÙ vous aurez faim! Un jour arrivera oÙ personne n'aura compassion de vous!" La dame regarda le capitaine avec surprise, et dit: "Capitaine, c'est impossible. Je suis la personne la plus riche de Stavoren. Moi, avoir faim, c'est absurde!" Alors la dame prit une bague de diamants, la jeta À la mer, et dit: "Capitaine, quand cette bague de diamants sera placÉe dans ma main, je croirai ce que vous avez dit!" et la dame quitta le port. Quelques jours aprÈs, un domestique trouva la bague de diamants dans l'estomac d'un poisson qu'il prÉparait pour le dÎner de la dame. Il porta la bague À sa maÎtresse. Elle regarda la bague avec surprise, et demanda: "OÙ avez-vous trouvÉ cette bague?" Le domestique rÉpondit: "Madame, j'ai trouvÉ la bague dans l'estomac d'un poisson!" Alors la dame pensa aux paroles du capitaine. Le mÊme jour la dame reÇut la nouvelle de la destruction de tous ses vaisseaux, et elle perdit aussi tout son or, tout son argent, toutes ses pierres prÉcieuses, et tous ses palais. La dame n'Était plus riche, mais elle Était pauvre, trÈs pauvre. Elle alla de porte en porte, demander quelque chose À manger, mais tous les riches et tous les pauvres de Stavoren refusÈrent de lui donner du pain. La pauvre dame pÉrit enfin de froid et de faim. Les autres personnes riches de Stavoren ne changÈrent pas leurs habitudes. Alors le bon Dieu, qui n'aime pas les personnes ÉgoÏstes, envoya un second avertissement. Un jour, le port de Stavoren se trouva bloquÉ par un grand banc de sable. Ce banc empÊcha le commerce, et dans quelques jours le blÉ que la dame avait jetÉ À la mer, commenÇa À pousser, et le banc de sable Était tout couvert d'herbe verte. Toutes les personnes de Stavoren regardÈrent le blÉ et dirent: "C'est un miracle, c'est un miracle!" Mais, le blÉ ne produisit pas de fruit! Le commerce avait cessÉ; les riches avaient assez À manger, mais les pauvres Étaient plus pauvres qu'avant. Alors Dieu envoya un troisiÈme avertissement. Un jour, un homme arriva dans la maison oÙ tous les riches Étaient assemblÉs, et dit; "J'ai trouvÉ deux poissons dans le puits! La digue est rompue. La digue est rompue. ProtÉgez la ville, protÉgez les maisons des pauvres prÈs de la digue!" Mais les riches continuÈrent À danser. La mer entra dans la ville pendant la nuit, et tout À coup toutes les maisons et tous les palais de Stavoren furent submergÉs. |