M. LANGER AT WOLFENBUTTEL.
À Rolle, ce 12 Octobre, 1790. Je vous aurois plutot remerciÉ, Monsieur, des soins obligeans que vous avez bien voulÛ vous donner pour me procurer les Origines GuelficÆ, Nous revoici À present dans notre État ordinaire, je marche, et vous ne courez plus. Je vous suppose bien etabli, bien enfoncÉ dans votre immense bibliotheque dans un endroit qui fournit peut-Être un choix plus Étendu et plus interessant des morts que des vivans. Comme vous Êtes Également propre À vivre avec les uns et les autres, je desirerois pour votre bonheur aussi bien que pour celui de vos amis, que vous pÛssiez enfin executer comme moi le projet de chercher une douce retraite sur les bords du lac Leman. Il s'en faut de beaucoup que vous n'y soyez oubliÉ: nous parlons souvent de vous surtout dans la famille de Severy, nous regrettons votre absence et en nous rappellant l'aimable franchise, la vivacitÉ piquante de l'Esclave, nous cherisons l'esperance de vous revoir parmi nous en homme libre, ne dependant que de vos gouts et pouvant vous donner tout entier aux lettres et À la societÉ. Vous aurez sans doute appris la perte irreparable que j'ai faite du pauvre Deyverdun. En vertu de son testament et de mes arrangemens avec son heritier Mr. le Major de Montagny, je me suis assurÉ ma vie durant la jouissance de sa maison et de son jardin. Vous en connoissez tous les agrÉmens qui se sont encore AprÈs mon retour d'Angleterre les premiers mois ont ÉtÉ consacrÉs À la jouissance de ma libertÉ et de ma bibliotheque, et vous ne serez pas ÉtonnÉ si j'ai renouvellÉ une connoissance familiÈre avec vos auteurs Grecs et si j'ai fait voeu de leur reserver tous les jours une portion de mon loisir. Je passe sous silence ces tristes momens dans lesquels je n'ai ÉtÉ occupÉ qu'À soigner et À pleurer mon ami: mais dÈs que j'ai commencÉ À me retrouver un esprit moins agile, j'ai cherchÉ À me donner quelque distraction plus forte et plus interessante que la simple lecture. Le souvenir de ma servitude de vingt ans m'a cependant effrayÉ et je me suis bien promis de ne plus m'embarquer dans une entreprise de longue haleine que je n'acheverois vraisemblablement jamais. Il vaut bien mieux, me suis je dit, choisir, dans tous les pays et dans tous les siecles, des morceaux historiques que je traiterai separÉment suivant leur nature et selon mon gout. Lorsque ces opuscules (je pourrai les nommer en Anglais, Historical Excursions) me fourniront un volume, je le donnerai au public: ce don pourroit etre renouvellÉ jusqu'a ce que nous soyons fatiguÉs ou ce public ou moi mÊme: mais chaque volume, complet par lui mÊme, n'exigera point de suite, et au lieu d'Être bornÉ comme la diligence au grand chemin, je me promenerai librement dans le champ de l'histoire en m'arrÊtant partout oÙ je trouve des points de vue agreables. Dans ce projet je ne vois qu'un inconvenient,—un objet interessant s'Étend et s'aggrandit sous le travail: je pourrois Être entrainÉ au dela de mes bornes, mais je serai doucement entrainÉ sans prevoyance et sans contrainte. THE HISTORY OF THE GUELFS. Mes soupÇons ont ÉtÉ vÉrifiÉs dans le choix de ma premiÈre La succession de la maison de Brunswick au trÔne de la Grande Bretagne sera trÈs assurÉment la partie la plus interessante de mon travail; mais tous les materiaux se trouvent dans ma langue, et un Anglois devroit rougir s'il n'avoit pas approfondi l'histoire moderne et la constitution actuelle de son pays. Mais entre le premier Duc et le premier Electeur de Brunswick il se trouve un intervalle de quatre cent cinquante ans, je suis condamnÉ À suivre dans les tenÈbres un sentier Étroit et raboteux, et les divisions, les sous divisions, de tant de branches et de territoires repandent sur ce sentier la confusion d'un labyrinthe Genealogique. Les ÉvÉnemens sans Éclat et sans liaison sont bornÉs À une province d'Allemagne et ce n'est que vers la fin de cette periode que je serois un peu ranimÉ par la reformation, la guerre de trente ans, et la nouvelle puissance de l'Electorat. Comme je me propose de crayonner des Memoires et non pas de composer une histoire, je marcherois sans doute d'un pas rapide, je presenterois des resultats plutot que des faits, des observations plutot que des rÉcits: mais vous sentez, combien un tableau general exige de connoissances particuliÈres, combien l'auteur doit Être plus savant que son livre. Or cet auteur, il est À deux cent lieues de la Saxe, il ignore la langue et il ne s'est jamais appliquÉ À l'histoire de l'Allemagne. EloignÉ des sources, il ne lui reste qu'un seul moyen pour les faire couler dans sa bibliotheque. C'est de se menager sur les lieux mÊme un correspondant exact, un guide eclairÉ, un oracle enfin qu'il puisse consulter dans tous ses besoins. Par votre caractÈre, votre esprit, vos lumiÈres, votre position, vous Êtes cet homme precieux et unique que je cherche, et quand vous m'indiquerez un supplÉant aussi capable que vous mÊme je ne m'addresserois pas avec la mÊme confiance À un Étranger. Je vous accablerois librement de questions, et de nouvelles questions naitroient souvent de vos reponses; je vous prierois de fouiller dans votre vaste depÔt; je vous demanderois des notices, des livres, des extraits, des traductions, des renseignements sur tous les objets qui peuvent intÉresser mon travail. Mais j'ignore si vous Êtes disposÉ À sacrifier votre loisir, vos Études chÉries À une correspondance pÉnible sans agrÉmens et sans gloire. Je me flatte que vous feriez quelque chose pour moi, vous feriez encore davantage pour l'honneur de la maison À laquelle vous Êtes attachÉ, mais suis-je en droit de supposer que mes ecrits puissent contribuer de quelque chose À son honneur? J'attends, Monsieur, votre reponse qu'elle soit prompte et franche. Si vous daignez vous associer À mon entreprise, je vous envoyerai sur le champ mon premier interrogatoire. Votre refus me decideroit À renoncer À mon dessein, ou du moins À lui donner une nouvelle forme. J'ose en mÊme tems vous demander un profond secret: un mot indiscret seroit repetÉ par cent bouches et j'aurois le desagrement de voir dans les journaux, et bientÔt dans les papiers Anglois, une annonce, peut-Être dÉfigurÉe, de mes projets littÉraires, qui ne sont confiÉs qu'À vous seul. J'ai l'honneur d'Être, |