Je suis nÉ le 13 mai 18.., dans une ville du Languedoc, oÙ l’on trouve, comme dans toutes les villes du Midi, beaucoup de soleil, pas mal de poussiÈre, uncouvent de CarmÉlites et deux ou trois monuments romains. Mon pÈre, M. Eyssette, qui faisait À cette Époque le commerce des foulards, avait, aux portes de la ville, une grande fabrique dans un pan de laquelle il s’Était taillÉ une habitation commode, tout ombragÉe de platanes, et sÉparÉe des ateliers par un vaste jardin. C’est lÀ que je suis venu au monde et que j’ai passÉ les premiÈres, les seules bonnes annÉes de ma vie. Aussi ma mÉmoire reconnaissante a-t-elle gardÉ du jardin, de la fabrique et des platanes un impÉrissable souvenir, et lorsqu’À la ruine de mes parents il m’a fallu me sÉparer de ces choses, je les ai positivement regrettÉes comme des Êtres. [2] Je dois dire, pour commencer, que ma naissance ne porta pas bonheur À la maison Eyssette. Lavieille Annou, notre cuisiniÈre, m’a souvent contÉ depuis comme quoi mon pÈre, en voyage À ce moment, reÇut en mÊme temps la nouvelle de mon apparition dans le monde et celle de la disparition d’un de ses clients de Marseille, qui lui emportait plus de quarante mille francs. C’est une vÉritÉ, je fus la mauvaise Étoile de mes parents. Du jour de ma naissance, d’incroyables malheurs les assaillirent par vingt endroits. D’abord nous eÛmes donc le client de Marseille, puis deux fois le feu dans la mÊme annÉe, puis la grÈve des ourdisseuses, puis notre brouille avec l’oncle Baptiste, puis un procÈs trÈs coÛteux avec nos marchands de couleurs, puis, enfin, laRÉvolution de 18.., qui nous donna le coup de grÂce. A partir de ce moment la fabrique ne battit plus que d’une aile; petit À petit, les ateliers se vidÈrent: chaque semaine un mÉtier À bas, chaque mois une table d’impression de moins. C’Était pitiÉ de voir la vie s’en aller de notre maison comme d’un corps malade, lentement, tous les jours un peu. Une fois, on n’entra plus dans les salles du second. Une autre fois, la cour du fond fut condamnÉe. Cela dura ainsi pendant deux ans; pendant deux ans la fabrique agonisa. Enfin, un jour, les ouvriers ne vinrent plus, la cloche des ateliers nÉ sonna pas, le puits À roue cessa de grincer, l’eau des grands bassins, dans lesquels on lavait les tissus, demeura immobile, et bientÔt, dans toute la fabrique, il ne resta plus que [3] M. et Mme Eyssette, la vieille Annou, mon frÈre Jacques et moi; puis, lÀ-bas, dans le fond, pour garder les ateliers, le concierge Colombe et son fils le petit Rouget. C’Était fini, nous Étions ruinÉs. J’avais alors six ou sept ans. Comme j’Étais trÈs frÊle et maladif, mes parents n’avaient pas voulu m’envoyer À l’École. Ma mÈre m’avait seulement appris À lire et À Écrire, plus quelques mots d’espagnol et deux ou trois airs de guitare À l’aide desquels on m’avait fait, dans la famille, une rÉputation de petit prodige. GrÂce À ce systÈme d’Éducation, je ne bougeais jamais de chez nous, et je pus assister dans tous ses dÉtails À l’agonie de la maison Eyssette. Cespectacle me laissa froid, je l’avoue; mÊme je trouvai À notre ruine ce cÔtÉ trÈs agrÉable que je pouvais gambader À ma guise par toute la fabrique, ce qui, du temps des ouvriers, ne m’Était permis que le imanche. Jedisais gravement au petit Rouget: “Maintenant, la fabrique est À moi; on me l’a donnÉe pour jouer.” Et le petit Rouget me croyait. Ilcroyait tout ce que je lui disais, cet imbÉcile. A la maison, par exemple, tout le monde ne prit pas notre dÉbÂcle aussi gaiement. Tout À coup M.Eyssette devint terrible; c’Était dans l’habitude une nature enflammÉe, violente, exagÉrÉe, aimant les cris, la casse et les tonnerres; au fond, un trÈs excellent homme, ayant seulement la main leste, le verbe haut et l’impÉrieux besoin de donner le tremblement À tout ce qui l’entourait. Lamauvaise fortune, au lieu de l’abattre, l’exaspÉra. Du soir au matin, ce fut une colÈre formidable qui, ne sachant À qui s’en prendre, [4] s’attaquait À tout, au soleil, au mistral, À Jacques, À la vieille Annou, À la RÉvolution, oh! surtout À la RÉvolution!... Aentendre mon pÈre, vous auriez jurÉ que cette RÉvolution de 18.., qui nous avait mis À mal, Était spÉcialement dirigÉe contre nous. Aussi je vous prie de croire que les rÉvolutionnaires n’Étaient pas en odeur de saintetÉ dans la maison Eyssette. Dieu sait ce que nous avons dit de ces messieurs dans ce temps-lÀ.... Encore aujourd’hui, quand le vieux papa Eyssette (que Dieu me le conserve!) sent venir son accÈs de goutte, il s’Étend pÉniblement sur sa chaise longue, et nous l’entendons dire: “Oh! ces rÉvolutionnaires!...” A l’Époque dont je vous parle, M. Eyssette n’avait pas la goutte, et la douleur de se voir ruinÉ en avait fait un homme terrible que personne ne pouvait approcher. Ilfallut le saigner deux fois en quinze jours. Autour de lui, chacun se taisait; on avait peur. Atable, nous demandions du pain À voix basse. Onn’osait pas mÊme pleurer devant lui. Aussi, des qu’il avait tournÉ les talons, ce n’Était qu’un sanglot, d’un bout de la maison À l’autre; ma mÈre, la vieille Annou, mon frÈre Jacques et aussi mon grand frÈre l’abbÉ, lorsqu’il venait nous voir, tout le monde s’y mettait. Ma mÈre, cela se conÇoit, pleurait de voir M.Eyssette malheureux; l’abbÉ et la vieille Annou pleuraient de voir pleurer Mme Eyssette; quant À Jacques, trop jeune encore pour comprendre nos malheurs,—il avait À peine deux ans de plus que moi,—il pleurait par besoin, pour le plaisir. Un singulier enfant que mon frÈre Jacques! En [5] voilÀ un qui avait le don des larmes! D’aussi loin qu’il me souvienne, je le vois, les yeux rouges et la joue ruisselante. Lesoir, le matin, de jour, de nuit, en classe, À la maison, en promenade, il pleurait sans cesse, il pleurait partout. Quand on lui disait: “Qu’as-tu?” il rÉpondait en sanglotant: “Jen’ai rien.” Et, le plus curieux, c’est qu’il n’avait rien. Ilpleurait comme on se mouche, plus souvent, voila tout. Quelquefois M.Eyssette, exaspÉrÉ, disait À ma mÈre: “Cet enfant est ridicule, regardez-le!... c’est un fleuve.” Aquoi Mme Eyssette rÉpondait de sa voix douce: “Que veux-tu, mon ami? cela passera en grandissant; À son Âge, j’Étais comme lui.” Enattendant, Jacques grandissait; il grandissait beaucoup mÊme, et cela ne lui passait pas. Tout au contraire, la singuliÈre aptitude qu’avait cet Étrange garÇon À rÉpandre sans raison des averses de larmes allait chaque jour en augmentant. Aussi la dÉsolation de nos parents lui fut une grande fortune.... C’est pour le coup qu’il s’en donna de sangloter À son aise des journÉes entiÈres, sans que personne vint lui dire: “Qu’as-tu?” En somme, pour Jacques comme pour moi, notre ruine avait son joli cÔtÉ. Pour ma part, j’Étais trÈs heureux. OnnÉ s’occupait plus de moi. J’en profitais pour jouer tout le jour avec Rouget parmi les ateliers dÉserts, oÙ nos pas sonnaient comme dans une Église, et les grandes cours abandonnÉes, que l’herbe envahissait dÉjÀ. Cejeune Rouget, fils du concierge Colombe, Était un gros garÇon d’une douzaine d’annÉes, fort comme un boeuf, dÉvouÉ [6] comme un chien, bÊte comme une oie et remarquable surtout par une chevelure rouge, À laquelle il devait son surnom de Rouget. Seulement, je vais vous dire: Rouget, pour moi, n’Était pas Rouget. IlÉtait tour À tour mon fidÈle Vendredi, une tribu de sauvages, un Équipage rÉvoltÉ, tout ce qu’on voulait. Moi-mÊme, en ce temps-lÀ, je ne m’appelais pas Daniel Eyssette: j’Étais cet homme singulier, vÊtu de peaux de bÊtes, dont on venait de me donner les aventures, master CrusoÉ lui-mÊme. Douce folie! Lesoir, aprÈs souper, je relisais mon Robinson, je l’apprenais par coeur; le jour, je le jouais, je le jouais avec rage, et tout ce qui m’entourait, je l’enrÔlais dans ma comÉdie. Lafabrique n’Était plus la fabrique; c’Était mon Île dÉserte, oh! bien dÉserte. Les bassins jouaient le rÔle d’OcÉan, le jardin faisait une forÊt vierge. Ily avait dans les platanes un tas de cigales qui Étaient de la piÈce et qui nÉ le savaient pas. Rouget, lui non plus, ne se doutait guÈre de l’importance de son rÔle. Sion lui avait demandÉ ce que c’Était que Robinson, on l’aurait bien embarrassÉ; pourtant je dois dire qu’il tenait son emploi avec la plus grande conviction, et que, pour imiter le rugissement des sauvages, il n’y en avait pas comme lui. OÙ avait-il appris? Je l’ignore. Toujours est-il que ces grands rugissements de sauvage qu’il allait chercher dans le fond de sa gorge, en agitant sa forte criniÈre rouge, auraient fait frÉmir les plus braves. Moi-mÊme, Robinson, j’en avais quelquefois le coeur bouleversÉ, et j’Étais obligÉ de lui dire À voix basse: “Pas si fort, Rouget, tu me fais peur.” Malheureusement, si Rouget imitait le cri des [7] sauvages trÈs bien, il savait encore mieux dire les gros mots d’enfants de la rue. Tout en jouant, j’appris À faire comme lui, et un jour, en pleine table, un formidable juron m’Échappa je ne sais comment. Consternation gÉnÉrale! “Qui t’as appris cela? OÙ l’as-tu entendu?” Cefut un ÉvÉnement. M.Eyssette parla tout de suite de me mettre dans une maison de correction.... Je ne voulus plus jouer avec Rouget. Aussi mon premier soin, en rentrant À la fabrique, fut d’avertir Vendredi qu’il eÛt À rester chez lui dorÉnavant. InfortunÉ Vendredi! Cet ukase lui creva le coeur, mais il s’y conforma sans une plainte. Quelquefois je l’apercevais debout, sur la porte de la loge, du cÔtÉ des ateliers; il se tenait lÀ tristement, et lorsqu’il voyait que je le regardais, le malheureux poussait pour m’attendrir les plus effroyables rugissements, en agitant sa criniÈre flamboyante; mais plus il rugissait, plus je me tenais loin. Jelui criais: “Va-t’en! tu me fais horreur.” Rouget s’obstina À rugir ainsi pendant quelques jours; puis, un matin, son pÈre, fatiguÉ de ses rugissements À domicile, l’envoya rugir en apprentissage, et je ne le revis plus. Mon enthousiasme pour Robinson n’en fut pas un instant refroidi. Tout juste vers ce temps-lÀ, l’oncle Baptiste se dÉgoÛta subitement de son perroquet et me le donna. Ceperroquet remplaÇa Vendredi. Jel’installai dans une belle cage au fond de ma rÉsidence d’hiver, et me voilÀ, plus CrusoÉ que jamais, passant mes journÉes en tÊte-À-tÊte avec cet intÉressant volatile et cherchant À lui faire dire: “Robinson, mon pauvre [8] Robinson!” Comprenez-vous cela? Ceperroquet, que l’oncle Baptiste m’avait donnÉ pour se dÉbarrasser de son Éternel bavardage, s’obstina À ne pas parler dÈs qu’il fut À moi.... Pas plus “mon pauvre Robinson” qu’autre chose; jamais je n’en pus rien tirer. MalgrÉ cela, je l’aimais beaucoup et j’en avais le plus grand soin. Nous vivions ainsi, mon perroquet et moi, dans la plus austÈre solitude, lorsqu’un matin il m’arriva une chose vraiment extraordinaire. Cejour-lÀ, j’avais quittÉ ma cabane de bonne heure et je faisais, armÉ jusqu’aux dents, un voyage d’exploration À travers mon Île.... Tout À coup je vis venir de mon cÔtÉ un groupe de trois ou quatre personnes, qui parlaient À voix trÈs haute et gesticulaient vivement. Juste Dieu! des hommes dans mon Île! Jen’eus que le temps de me jeter derriÈre un bouquet de lauriers-roses, et À plat ventre, s’il vous plaÎt.... Les hommes passÈrent prÈs de moi sans me voir.... Jecrus distinguer la voix du concierge Colombe, ce qui me rassura un peu; mais, c’est Égal, dÈs qu’ils furent loin je sortis de ma cachette et je les suivis À distance pour voir ce que tout cela deviendrait.... Ces Étrangers restÈrent longtemps dans mon Île.... Ils la visitÈrent d’un bout À l’autre dans tous ses dÉtails. Jeles vis entrer dans mes grottes et sonder avec leurs canes la profondeur de mes ocÉans. De temps en temps ils s’arrÊtaient et remuaient la tÊte. Toute ma crainte Était qu’ils ne vinssent À dÉcouvrir mes rÉsidences.... Que serais-je devenu, grand Dieu! Heureusement, il n’en fut rien, et au bout d’une demi-heure les hommes se retirÈrent sans se douter seulement [9] que l’Île Était habitÉe. DÈs qu’ils furent partis, je courus m’enfermer dans une de mes cabanes, et passai lÀ le reste du jour À me demander quels Étaient ces hommes et ce qu’ils Étaient venus faire. J’allais le savoir bientÔt. Lesoir, À souper, M. Eyssette nous annonÇa solennellement que la fabrique Était vendue, et que, dans un mois, nous partirions tous pour Lyon, oÙ nous allions demeurer dÉsormais. Ce fut un coup terrible. Il me sembla que le ciel croulait. Lafabrique vendue!... Eh bien, et mon Île, mes grottes, mes cabanes? HÉlas! l’Île, les grottes, les cabanes, M. Eyssette avait tout vendu; il fallait tout quitter. Dieu! que je pleurais!... Pourtant, au milieu de cette grande douleur, deux choses me faisaient sourire: d’abord la pensÉe de monter sur un navire, puis la permission qu’on m’avait donnÉe d’emporter mon perroquet avec moi. Jeme disais que Robinson avait quittÉ son Île dans des conditions À peu prÈs semblables, et cela me donnait du courage. Enfin, le jour du dÉpart arriva. M. Eyssette Était dÉjÀ À Lyon depuis une semaine. Ilavait pris les devants avec les gros meubles. Jepartis donc en compagnie de Jacques, de ma mÈre et de la vieille Annou. Mon grand frÈre l’abbÉ ne partait pas, mais il nous accompagna jusqu’À la diligence de Beaucaire, et aussi le concierge Colombe nous accompagna. C’est lui qui marchait devant en poussant une Énorme brouette chargÉe de malles. DerriÈre venait mon frÈre l’abbÉ, donnant le bras À Mme Eyssette. Mon pauvre abbÉ, que je nÉ devais plus revoir! [10] La vieille Annou marchait ensuite, flanquÉe d’un Énorme parapluie bleu et de Jacques, qui Était bien content d’aller À Lyon, mais qui sanglotait tout de mÊme.... Enfin, À la queue de la colonne, venait Daniel Eyssette, portant gravement la cage du perroquet et se retournant a chaque pas du cÔtÉ de sa chÈre fabrique. A mesure que la caravane s’Éloignait, l’arbre se haussait tant qu’il pouvait par-dessus les murs du jardin pour la voir encore une fois.... Les platanes agitaient leurs branches en signe d’adieu.... Daniel Eyssette, trÈs Ému, leur envoyait des baisers À tous, furtivement et du bout des doigts. Je quittai mon Île le 30 septembre 18.. IILES BABAROTTES¹¹ Nom donnÉ dans le Midi À ces gros insectes noirs que l’AcadÉmie appelle des “blattes” et les gens du Nord des “cafards.” Ô choses de mon enfance, quelle impression vous m’avez laissÉe! Ilme semble que c’est hier, ce voyage sur le RhÔne. Jevois encore le bateau, ses passagers, son Équipage; j’entends le bruit des roues et le sifflet de la machine. La traversÉe dura trois jours. Je passai ces trois jours sur le pont, descendant au salon juste pour manger et dormir. Lereste du temps, j’allais me mettre [11] À la pointe extrÊme du navire, prÈs de l’ancre. Ily avait lÀ une grosse cloche qu’on sonnait en entrant dans les villes: je m’asseyais À cÔtÉ de cette cloche, parmi des tas de corde; je posais la cage du perroquet entre mes jambes et je regardais. LeRhÔne Était si large qu’on voyait À peine ses rives. Moi, je l’aurais voulu encore plus large, et qu’il se fÛt appelÉ: la mer! Leciel riait, l’onde Était verte. De grandes barques descendaient au fil de l’eau. Des mariniers, guÉant le fleuve À dos de mules, passaient prÈs de nous en chantant. Parfois le bateau longeait quelque Île bien touffue, couverte de joncs et de saules. “Oh! une Île dÉserte!” me disais-je dans moi-mÊme; et je la dÉvorais des yeux.... Vers la fin du troisiÈme jour je crus que nous allions avoir un grain. Leciel s’Était assombri subitement; un brouillard Épais dansait sur le fleuve; À l’avant du navire on avait allumÉ une grosse lanterne, et, ma foi! en prÉsence de tous ces symptÔmes, je commenÇais À Être Ému.... Ace moment quelqu’un dit prÈs de moi: “VoilÀ Lyon!” EnmÊme temps la grosse cloche se mit À sonner. C’Était Lyon. ConfusÉment, dans le brouillard, je vis des lumiÈres briller sur l’une et sur l’autre rive; nous passÂmes sous un pont, puis sous un autre. Achaque fois l’Énorme tuyau de la machine se courbait en deux et crachait des torrents d’une fumÉe noire qui faisait tousser.... Sur le bateau, c’Était un remue-mÉnage effroyable. Les passagers cherchaient leurs malles; les matelots juraient en roulant des tonneaux dans l’ombre. Ilpleuvait.... [12] Je me hÂtai de rejoindre ma mÈre, Jacques et la vieille Annou qui Étaient À l’autre bout du bateau, et nous voilÀ tous les quatre, serres les uns contre les autres, sous le grand parapluie d’Annou, tandis que le bateau se rangeait au long des quais et que le dÉbarquement commenÇait. En vÉritÉ, si M. Eyssette n’Était pas venu nous tirer de lÀ, je crois que nous n’en serions jamais sortis. Ilarriva vers nous, À tÂtons, en criant: “Qui vive! qui vive!” Ace “qui vive!” bien connu, nous rÉpondÎmes: “amis!” tous les quatre À la fois avec un bonheur, un soulagement inexprimable.... M.Eyssette nous embrassa lestement, prit mon frÈre d’une main, moi de l’autre, dit aux femmes: “Suivez-moi!” et en route.... Ah! c’Était un homme. Nous avancions avec peine; il faisait nuit, le pont glissait. Achaque pas, on se heurtait contre des caisses.... Tout À coup, du bout du navire, une voix stridente, ÉplorÉe, arrive jusqu’À nous: “Robinson! Robinson!” disait la voix. — Ah! mon Dieu! m’Écriai-je, et j’essayai de dÉgager ma main de celle de mon pÈre; lui, croyant que j’avais glissÉ, me serra plus fort. La voix reprit, plus stridente encore et plus ÉplorÉe: “Robinson! mon pauvre Robinson!” Jefis un nouvel effort pour dÉgager ma main. “Mon perroquet, criai-je, mon perroquet!” — Il parle donc maintenant? dit Jacques. S’il parlait, je crois bien; on l’entendait d’une lieue.... Dans mon trouble, je l’avais oubliÉ, lÀ-bas, tout au bout du navire, prÈs de l’ancre, et c’est de [13] lÀ qu’il m’appelait, en criant de toutes ses forces: “Robinson! Robinson! mon pauvre Robinson!” Malheureusement nous Étions loin; le capitaine criait: “DÉpÊchons-nous.” — Nous viendrons le chercher demain, dit M. Eyssette, sur les bateaux, rien ne s’Égare. Et lÀ-dessus, malgrÉ mes larmes, il m’entraÎna. Lelendemain on l’envoya chercher et on ne le trouva pas.... Jugez de mon dÉsespoir: plus de Vendredi! plus de perroquet! Robinson n’Était plus possible. Lemoyen, d’ailleurs, avec la meilleure volontÉ du monde, de se forger une Île dÉserte, À un quatriÈme ÉtagÉ, dans une maison sale et humide, rue Lanterne? Oh! l’horrible maison! Je la verrai toute ma vie: l’escalier Était gluant; la cour ressemblait À un puits; le concierge, un cordonnier, avait son Échoppe contre la pompe.... C’Était hideux. Lesoir de notre arrivÉe, la vieille Annou, en s’installant dans la cuisine, poussa un cri de dÉtresse: — Les babarottes! les babarottes! Nous accourÛmes. Quel spectacle!... La cuisine Était pleine de ces vilaines bÊtes; il y en avait sur la crÉdence, au long des murs, dans les tiroirs, sur la cheminÉe, dans le buffet, partout. Sans le vouloir on en Écrasait. Pouah! Annou en avait dÉjÀ tuÉ beaucoup; mais plus elle en tuait, plus il en venait. Elles arrivaient par le trou de l’Évier, on boucha le trou de l’Évier; mais le lendemain soir elles revinrent par un autre endroit, on ne sait d’oÙ. Ilfallut avoir un chat exprÈs pour les tuer, et toutes les nuits c’Était dans la cuisine une effroyable boucherie. [14] Les babarottes me firent haÏr Lyon dÈs le premier soir. Lelendemain, ce fut bien pis. Ilfallait prendre des habitudes nouvelles; les heures des repas Étaient changÉes.... Ledimanche, pour nous Égayer un peu, nous allions nous promener en famille sur les quais du RhÔne, avec des parapluies.... Ces promenades de famille Étaient lugubres. M.Eyssette grondait, Jacques pleurait tout le temps, moi je me tenais toujours derriÈre; je ne sais pas pourquoi, j’avais honte d’Être dans la rue, sans doute parce que nous Étions pauvres. Au bout d’un mois la vieille Annou tomba malade. Les brouillards la tuaient; on dut la renvoyer dans le Midi. Cette pauvre fille, qui aimait ma mÈre À la passion, ne pouvait pas se dÉcider À nous quitter. Elle suppliait qu’on la gardÂt, promettant de ne pas mourir. Ilfallut l’embarquer de force. ArrivÉe dans le Midi, elle s’y maria de dÉsespoir. Annou partie, on ne prit pas de nouvelle bonne, ce qui me parut le comble de la misÈre.... Lafemme du concierge montait faire le gros ouvrage; ma mÈre, au feu des fourneaux, calcinait ses belles mains blanches que j’aimais tant À embrasser; quant aux provisions, c’est Jacques qui les faisait. Onlui mettait un grand panier sous le bras, en lui disant: “Tu achÈteras Ça et Ça”; et il achetait Ça et Ça trÈs bien, toujours en pleurant, par exemple. Pauvre Jacques! il n’Était pas heureux, lui non plus. M.Eyssette, de le voir Éternellement la larme À l’oeil, avait fini par le prendre en grippe et l’abreuvait de taloches.... Onentendait tout le jour: “Jacques, tu es un butor! Jacques, tu es un Âne!” Lefait est [15] que, lorsque son pÈre Était lÀ, le malheureux Jacques perdait tous ses moyens. Les efforts qu’il faisait pour retenir ses larmes le rendaient laid. M.Eyssette lui portait malheur. Écoutez la scÈne de la cruche: Un soir, au moment de se mettre À table, on s’aperÇoit qu’il n’y À plus une goutte d’eau dans la maison. — Si vous voulez, j’irai en chercher, dit ce bon enfant de Jacques. Et le voilÀ qui prend la cruche, une grosse cruche de grÈs. M. Eyssette hausse les ÉpaulÉs: — Si c’est Jacques qui y va, dit-il, la cruche est cassÉe, c’est sÛr. — Tu entends, Jacques,—c’est Mme Eyssette qui parle avec sa voix tranquille,—tu entends, ne la casse pas, fais bien attention. M. Eyssette reprend: — Oh! tu as beau lui dire de ne pas la casser, il la cassera tout de mÊme. Ici, la voix ÉplorÉe de Jacques: — Mais enfin, pourquoi voulez-vous que je la casse? — Je ne veux pas que tu la casses, je te dis que tu la casseras, rÉpond M.Eyssette, et d’un ton qui n’admet pas de rÉpliquÉ. Jacques nÉ rÉplique pas; il prend la cruche d’une main fiÉvreuse et sort brusquement avec l’air de dire: — Ah! je la casserai? Eh bien, nous allons voir! Cinq minutes, dix minutes se passent; Jacques ne revient pas. Mme Eyssette commence À se tourmenter: — Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivÉ! — Parbleu! que veux-tu qu’il lui soit arrivÉ? dit [16] M.Eyssette d’un ton bourru. Ila cassÉ la cruche et n’ose plus rentrer. Mais tout en disant cela,—avec son air bourru, c’Était le meilleur homme du monde,—il se lÈve et va ouvrir la porte pour voir un peu ce que Jacques Était devenu. Iln’a pas loin À aller, Jacques est debout sur le palier, devant la porte, les mains vides, silencieux, pÉtrifiÉ. Envoyant M.Eyssette, il pÂlit, et d’une voix navrante et faible, oh! si faible: “Jel’ai cassÉe”, dit-il.... Ill’avait cassÉe!... Dans les archives de la maison Eyssette, nous appelons cela “la scÈne de la cruche”. Il y avait environ deux mois que nous Étions À Lyon, lorsque nos parents songÈrent À nos Études. Un ami de la famille, recteur d’universitÉ dans le Midi, Écrivit un jour À mon pÈre que, s’il voulait une bourse d’externe au collÈge de Lyon pour un de ses fils, on pourrait lui en avoir une. — Ce sera pour Daniel, dit M. Eyssette. — Et Jacques? dit ma mÈre. — Oh! Jacques! je le garde avec moi; il me sera trÈs utile. D’ailleurs je m’aperÇois qu’il a du goÛt pour le commerce. Nous en ferons un nÉgociant. De bonne foi, je ne sais comment, M. Eyssette avait pu s’apercevoir que Jacques avait du goÛt pour le commerce. Ence temps-lÀ, le pauvre garÇon n’avait du goÛt que pour les larmes, et si on l’avait consultÉ.... Mais on ne le consulta pas, ni moi non plus. Ce qui me frappa d’abord, À mon arrivÉe au collÈge, c’est que j’Étais le seul avec une blouse. ALyon, les fils de riches ne portent pas de blouses; il n’y À que les [17] enfants de la rue, les gones, comme on dit. Moi, j’en avais une, une petite blouse À carreaux que datait de la fabrique; j’avais une blouse, j’avais l’air d’un gone.... Quand j’entrai dans la classe; les ÉlevÉs ricanÈrent. Ondisait: “Tiens! il a une blouse!” Leprofesseur fit la grimace et tout de suite me prit en aversion. Depuis lors, quand il me parla, ce fut toujours du bout des lÈvres, d’un air mÉprisant. Jamais il ne m’appela par mon nom; il disait toujours: “Eh! vous, lÀ-bas, le petit Chose!” Jelui avais dit pourtant plus de vingt fois que je m’appelais Daniel Ey-sset-te.... Ala fin mes camarades me surnommÈrent “le petit Chose,” et le surnom me resta.... Ce n’Était pas seulement ma blouse qui me distinguait des autres enfants. Les autres avaient de beaux cartables en cuir jaune, des encriers de buis qui sentaient bon, des cahiers cartonnÉs, des livres neufs avec beaucoup de notes dans le bas; moi, mes livres Étaient de vieux bouquins achetÉs sur les quais, moisis, fanÉs, sentant le rance; les couvertures Étaient toujours en lambeaux, quelquefois il manquait des pages. Jacques faisait bien de son mieux pour me les relier avec du gros carton et de la colle forte; mais il mettait toujours trop de colle, et cela puait. Ilm’avait fait aussi un cartable avec une infinitÉ de poches, trÈs commode, mais toujours trop de colle. Lebesoin de coller et de cartonner Était devenu chez Jacques une manie comme le besoin de pleurer. Ilavait constamment devant le feu un tas de petits pots de colle et, dÈs qu’il pouvait s’Échapper du magasin un moment, il collait, reliait, cartonnait. Lereste du [18] temps, il portait des paquets en ville, Écrivait sous la dictÉe, allait aux provisions,—le commerce enfin. Quant À moi, j’avais compris que, lorsqu’on est boursier, qu’on porte une blouse, qu’on s’appelle “le petit Chose”, il faut travailler deux fois plus que les autres pour Être leur Égal, et ma foi! le petit Chose se mit À travailler de tout son courage. Brave petit Chose! Je le vois, en hiver, dans sa chambre sans feu, assis À sa table de travail, les jambes enveloppÉes d’une couverture. Au dehors le givre fouettait les vitres. Dans le magasin, on entendait M.Eyssette qui dictait. — J’ai reÇu votre honorÉe du 8 courant. Et la voix pleurarde de Jacques qui reprenait: — J’ai reÇu votre honorÉe du 8 courant. De temps en temps la porte de la chambre s’ouvrait doucement: c’Était Mme Eyssette qui entrait. Elle s’approchait du petit Chose sur la pointe des pieds. Chut!... — Tu travailles? lui disait-elle tout bas. — Oui, mÈre. — Tu n’as pas froid? — Oh! non! Le petit Chose mentait, il avait bien froid, au contraire. Alors, Mme Eyssette s’asseyait auprÈs de lui, avec son tricot, et restait lÀ de longues heures, comptant ses mailles À voix basse, avec un gros soupir de temps en temps. Pauvre Mme Eyssette! Elle y pensait toujours, À ce cher pays qu’elle n’espÉrait plus revoir.... HÉlas! [19] pour son malheur, pour notre malheur À tous, elle allait le revoir bientÔt.. [Le Petit Chose, returning home from school one day, learns from M.Eyssette that his mother and Jacques have gone to see his clergyman brother who is dangerously ill. In the evening a telegram, “Ilest mort, priez pour lui,” arrives. Both farther and son are broken-hearted, and console each other in the terrible loss that has overtaken the family.] IIILE CAHIER ROUGEIl y avait dÉjÀ quelque temps que notre cher abbÉ Était mort, lorsqu’un soir, À l’heure de nous coucher, je fus trÈs ÉtonnÉ de voir Jacques fermer notre chambre À double tour, et venir vers moi, d’un grand air de solennitÉ et de mystÈre. — Daniel, me dit-il, je vais te confier quelque chose, mais il faut me jurer que tu n’en parleras jamais. Je rÉpondis sans hÉsiter: — Je te le jure, Jacques. — Eh bien! tu ne sais pas?... chut!... Je fais un poÈme, un grand poÈme. — Un poÈme, Jacques! tu fais un poÈme, toi! Pour toute rÉponse, Jacques tira de dessous sa veste un Énorme cahier rouge qu’il avait cartonnÉ lui-mÊme, et en tÊte duquel il avait Écrit de sa plus belle main: [20] RELIGION! RELIGION! PoÈme en douze chants PAR EYSSETTE (JACQUES). C’Était si grand que j’en eus comme un vertige. Ah! pauvre cher Eyssette (Jacques!), comme je vous aurais sautÉ au cou de bon coeur, si j’avais osÉ! Mais je n’osai pas.... Songez donc!... Religion! Religion! poÈme en douze chants!... Pourtant la vÉritÉ m’oblige À dire que ce poÈme en douze chants Était loin d’Être terminÉ. Jecrois mÊme qu’il n’y avait encore de fait que les quatre premiers vers du premier chant; mais comme disait Eyssette (Jacques) avec beaucoup de raison: “Maintenant que j’ai mes quatre premiers vers, le reste n’est rien; ce n’est qu’une affaire de temps.” Ce reste qui n’Était rien qu’une affaire de temps, jamais Eyssette (Jacques) n’en put venir À bout.... Que voulez-vous? les poÈmes ont leurs destinÉes; il parait que la destinÉe de Religion! Religion! poÈme en douze chants, Était de ne pas Être en douze chants du tout. LepoÈte eut beau faire, il n’alla jamais plus loin que les quatre premiers vers. C’Était fatal. Ala fin, le malheureux garÇon, impatientÉ, congÉdia la Muse (on disait encore la Muse en ce temps-lÀ). Et le cahier rouge?... Oh! le cahier rouge, il avait sa destinÉe aussi, celui-lÀ. Jacques me dit: “Je te le donne, mets-y ce que tu voudras.” Savez-vous ce que j’y mis, moi?... Mes [21] poÉsies, parbleu! les poÉsies du petit Chose. Jacques m’avait donnÉ son mal. Et maintenant, si le lecteur le veut bien, pendant que le petit Chose est en train de cueillir des rimes, nous allons d’une enjambÉe franchir quatre oÙ cinq annÉes de sa vie. J’ai hÂte d’arriver À un certain printemps de 18.., dont la maison Eyssette n’a pas encore aujourd’hui perdu le souvenir; on a comme cela des dates dans les familles. Du reste, ce fragment de ma vie que je passe sous silence, le lecteur ne perdra rien À ne pas le connaÎtre. C’est toujours la mÊme chanson, des larmes et de la misÈre! les affaires qui ne vont pas, des loyers en retard, des crÉanciers qui font des scÈnes, les diamants de la mÈre vendus, l’argenterie au mont-de-piÉtÉ, les draps de lit qui ont des trous, les pantalons qui ont des piÈces; des privations de toutes sortes, des humiliations de tous les jours, l’Éternel “comment ferons-nous demain?” le coup de sonnette insolent des huissiers, le concierge qui sourit quand on passe, et puis les emprunts, et puis les protÊts, et puis... et puis.... Nous voilÀ donc en 18.. Cette annÉe-lÀ, le petit Chose achevait sa philosophie. C’Était, si j’ai bonne mÉmoire; un jeune garÇon trÈs prÉtentieux, se prenant tout À fait au sÉrieux comme philosophe et aussi comme poÈte; du reste pas plus haut qu’une botte et sans un poil de barbe au menton. Or, un matin que ce grand philosophe de petit Chose se disposait À aller en classe, M.Eyssette pÈre l’appela dans le magasin, et, sitÔt qu’il le vit entrer, lui fit de sa voix brutale: [22] — Daniel, jette tes livres, tu ne vas plus au collÈge. Ayant dit cela, M. Eyssette pÈre se mit À marcher À grands pas dans le magasin, sans parler. Ilparaissait trÈs Ému, et le petit Chose aussi, je vous assure.... AprÈs un long moment de silence, M.Eyssette pÈre reprit la parole: — Mon garÇon, dit-il, j’ai une mauvaise nouvelle À t’apprendre, oh! bien mauvaise... nous allons Être obligÉs de nous sÉparer tous, voici pourquoi. Ici, un grand sanglot, un sanglot dÉchirant retentit derriÈre la porte entre-bÂillÉe. — Jacques, tu es un Âne! cria M. Eyssette sans se retourner, puis il continua: — Quand nous sommes venus a Lyon, il y a huit ans, ruinÉs par les rÉvolutionnaires, j’espÉrais, À force de travail, arriver À reconstruire notre fortune; mais le dÉmon s’en mÊle! Jen’ai rÉussi qu’a nous enfoncer jusqu’au cou dans les dettes et dans la misÈre.... AprÉsent, c’est fini, nous sommes embourbes.... Pour sortir de lÀ, nous n’avons qu’un parti À prendre, maintenant que vous voilÀ grandis: vendre le peu qui nous reste et chercher notre vie chacun de notre cÔtÉ. Un nouveau sanglot de l’invisible Jacques vint interrompre M. Eyssette; mais il Était tellement Ému lui-mÊme qu’il nÉ se fÂcha pas. Ilfit seulement signe À Daniel de fermer la porte, et, la porte fermÉe, il reprit: — Voici donc ce que j’ai dÉcidÉ: jusqu’À nouvel ordre, ta mÈre va s’en aller vivre dans le Midi, chez son frÈre, l’oncle Baptiste. Jacques restera À Lyon; il a trouvÉ un petit emploi au mont-de-piÉtÉ. Moi, j’entre comme [23] commis-voyageur À la sociÉtÉ vinicole.... Quant À toi, mon pauvre enfant, il va falloir aussi que tu gagnes ta vie.... Justement, je reÇois une lettre du recteur qui te propose une place de maÎtre d’Étude; tiens, lis! Lepetit Chose prit la lettre. — D’aprÈs ce que je vois, dit-il tout en lisant, je n’ai pas de temps À perdre. — Il faudrait partir demain. — C’est bien, je partirai. LÀ-dessus le petit Chose replia la lettre et la rendit À son pÈre d’une main qui nÉ tremblait pas. C’Était un grand philosophe, comme vous voyez. A ce moment, Mme Eyssette entra dans le magasin, puis Jacques timidement derriÈre elle.... Tous deux s’approchÈrent du petit Chose et l’embrassÈrent en silence; depuis la veille ils Étaient au courant de ce qui se passait. — Qu’on s’occupe de sa malle! fit brusquement M. Eyssette, il part demain matin par le bateau. Mme Eyssette poussa un gros soupir, Jacques esquissa un sanglot, et tout fut dit. On commenÇait À Être fait au malheur dans cette maison-lÀ. Le lendemain de cette journÉe mÉmorable, toute la famille accompagna le petit Chose au bateau. Par une coÏncidence singuliÈre, c’Était le mÊme bateau qui avait amenÉ les Eyssettes À Lyon six ans auparavant. Naturellement on se rappela le parapluie d’Annou, le perroquet de Robinson, et quelques autres Épisodes du dÉbarquement. Ces souvenirs ÉgayÈrent un peu ce [24] triste dÉpart, et amenÈrent l’ombre d’un sourire sur les lÈvres de Mme Eyssette. Tout À coup la cloche sonna. Il fallait partir. Lepetit Chose, s’arrachant aux Étreintes de ses amis, franchit bravement la passerelle. — Sois sÉrieux, lui cria son pÈre. — Ne sois pas malade, dit Mme Eyssette. Jacques voulait parler, mais il ne put pas; il pleurait trop. Lepetit Chose ne pleurait pas, lui. La joie de quitter Lyon, le mouvement du bateau, l’ivresse du voyage, l’orgueil de se sentir homme,—homme libre, homme fait, voyageant seul et gagnant sa vie,—tout cela l’empÊchait de songer, comme il aurait dÛ, aux trois Êtres chÉris qui sanglotaient lÀ-bas, debout sur les quais du RhÔne.... Lepremier soin du petit Chose, en arrivant dans sa ville natale, fut de se rendre À l’AcadÉmie, oÙ logeait M.le recteur. Ce recteur, ami d’Eyssette pÈre, Était un grand beau vieux, alerte et sec, n’ayant rien qui sentÎt le pÉdant, ni quoi que ce fÛt de semblable. Ilaccueillit Eyssette fils avec une grande bienveillance. Toutefois, quand on l’introduisit dans son cabinet, le brave homme ne put retenir un geste de surprise. — Ah! mon Dieu! dit-il, comme il est petit! Lefait est que le petit Chose Était ridiculement petit; et puis l’air si jeune, si mauviette! L’exclamation du recteur lui porta un coup terrible: “Ils ne vont pas vouloir de moi,” pensa-t-il. Ettout son corps se mit À trembler. [25] Heureusement, comme s’il eÛt devinÉ ce qui se passait dans cette pauvre petite cervelle, le recteur reprit: — Approche ici, mon garÇon.... Nous allons donc faire de toi un maÎtre d’Étude.... Aton Âge, avec cette taille et cette figure-lÀ, le mÉtier te sera plus dur qu’À un autre.... Mais enfin, puisqu’il le faut, puisqu’il faut que tu gagnes ta vie, mon cher enfant, nous arrangerons cela pour le mieux.... EncommenÇant, on ne te mettra pas dans une grande baraque.... Jevais t’envoyer dans un collÈge communal, À quelques lieues d’ici, À Sarlande, en pleine montagne.... LÀ tu feras ton apprentissage d’homme, tu t’aguerriras au mÉtier, tu grandiras, puis nous verrons! Tout en parlant, M. le recteur Écrivait au principal du collÈge de Sarlande pour lui prÉsenter son protÈge. Lalettre terminÉe, il la remit au petit Chose et l’engagea À partir le jour mÊme; lÀ-dessus, il lui donna quelques sages conseils et le congÉdia d’une tape amicale sur la joue en lui promettant de ne pas le perdre de vue. VoilÀ mon petit Chose bien content. Quatre À quatre il dÉgringole l’escalier sÉculaire de l’AcadÉmie et s’en va d’une haleine retenir sa place pour Sarlande. La diligence ne part que dans l’aprÈs-midi; encore quatre heures À attendre! Lepetit Chose en profite pour aller parader au soleil, sur l’esplanade, et se montrer À ses compatriotes. Cepremier devoir accompli, il songe À prendre quelque nourriture et se met en quÊte d’un cabaret À portÉe de son escarcelle.... Juste en face les casernes, il en avise un propret, reluisant, avec une belle enseigne toute neuve. [26] — Voici mon affaire, se dit-il. Et, aprÈs quelques minutes d’hÉsitation,—c’est la premiÈre fois que le petit Chose entre dans un restaurant,—il pousse rÉsolument la porte. Lecabaret est dÉsert pour le moment. Des murs peints À la chaux..., quelques tables de chÊne.... Dans un coin de longues cannes de compagnons, À bouts de cuivre, ornÉes de rubans multicolores.... Au comptoir un gros homme qui ronfle, le nez dans un journal. — HolÀ! quelqu’un! dit le petit Chose, en frappant de son poing fermÉ sur les tables, comme un vieux coureur de tavernes. Legros homme du comptoir ne se rÉveillÉ pas pour si peu; mais du fond de l’arriÈre-boutique la cabaretiÈre accourt.... Envoyant le nouveau client que l’ange Hasard lui amÈne, elle pousse un grand cri: — MisÉricorde! monsieur Daniel! — Annou! ma vieille Annou! rÉpond le petit Chose. Et les voilÀ dans les bras l’un de l’autre. Eh! mon Dieu, oui, c’est Annou, la vieille Annou, anciennement bonne des Eyssette, maintenant cabaretiÈre, mÈre des compagnons, mariÉe À Jean Peyrol, ce gros qui ronfle lÀ-bas dans le comptoir.... Et comme elle est heureuse, si vous saviez, cette brave Annou, comme elle est heureuse de revoir M.Daniel! comme elle l’embrasse! comme elle l’Étreint! comme elle l’Étouffe! [27] Au milieu de ces effusions, l’homme du comptoir se rÉveille. Il s’Étonne d’abord un peu du chaleureux accueil que sa femme est en train de faire À ce jeune inconnu; mais quand on lui apprend que ce jeune inconnu est M.Daniel Eyssette en personne, Jean Peyrol devient rouge de plaisir et s’empresse autour de son illustre visiteur. — Avez-vous dÉjeunÉ, monsieur Daniel? — Ma foi! non, mon bon Peyrol;... c’est prÉcisÉment ce qui m’a fait entrer ici. Justice divine!... M. Daniel n’a pas dÉjeunÉ!... Lavieille Annou court À la cuisine; Jean Peyrol se prÉcipite À la cave. En un tour de main, le couvert est mis, la table est parÉe, le petit Chose n’a qu’À s’asseoir et À fonctionner.... Asa gauche Annou lui taille des mouillettes pour ses oeufs, des oeufs du matin, blancs, crÉmeux, duvetÉs.... Asa droite Jean Peyrol lui verse un vieux ChÂteau-Neuf-des-Papes, qui semble une poignÉe de rubis jetÉe au fond de son verre.... Lepetit Chose est trÈs heureux. Il parle, il boit, il mange, il s’anime; ses yeux brillent, sa joue s’allume. HolÀ! maÎtre Peyrol, qu’on aille chercher des verres! le petit Chose va trinquer.... Jean Peyrol apporte les verres et on trinque... d’abord À Mme Eyssette, ensuite À M.Eyssette, puis À Jacques, À Daniel, À la vieille Annou, au mari d’Annou, À l’UniversitÉ..., À quoi encore?... Deux heures se passent ainsi en libations et en bavardages. Oncause du passÉ couleur de deuil, de [28] l’avenir couleur de rose. Onse rappelle la fabrique, Lyon, la rue Lanterne, ce pauvre abbÉ qu’on aimait tant.... Tout À coup le petit Chose se levÉ pour partir.... — DÉjÀ! dit tristement la vieille Annou. Lepetit Chose s’excuse; il À quelqu’un de la ville À voir avant de s’en aller, une visite trÈs importante.... Quel dommage! on Était si bien!... Onavait tant de choses À se raconter encore!... Enfin, puisqu’il le faut, puisque M.Daniel À quelqu’un de la ville À voir, ses amis du Tour de France ne veulent pas le retenir plus longtemps.... “Bon voyage, monsieur Daniel! Dieu vous conduise, notre cher maÎtre!” Et jusqu’au milieu de la rue Jean Peyrol et sa femme l’accompagnent de leurs bÉnÉdictions. Or, savez vous quel est ce quelqu’un de la ville que le petit Chose veut voir avant de partir? C’est la fabrique, cette fabrique qu’il aimait tant et qu’il À tant pleurÉe!... c’est le jardin, les ateliers, les grands platanes, tous les amis de son enfance, toutes ses joies du premier jour.... Que voulez-vous? Lecoeur de l’homme a de ces faiblesses; il aime ce qu’il peut, mÊme du bois, mÊme des pierres, mÊme une fabrique.... D’ailleurs l’histoire est lÀ pour vous dire que le vieux Robinson, de retour en Angleterre, reprit la mer, et fit je ne sais combien de mille lieues pour revoir son Île dÉserte. Il n’est donc pas Étonnant que, pour revoir la sienne, le petit Chose fasse quelques pas. DÉjÀ les grands platanes, dont la tÊte empanachÉe regarde par-dessus les maisons, ont reconnu leur ancien [29] ami qui vient vers eux À toutes jambes. De loin ils lui font signe et se penchent les uns vers les autres, comme pour se dire: VoilÀ Daniel Eyssette! Daniel Eyssette est de retour! Et lui se dÉpÊche, se dÉpÊche; mais arrivÉ devant la fabrique, il s’arrÊte stupÉfait. De grandes murailles grises sans un bout de laurier-rose ou de grenadier qui dÉpasse.... Plus de fenÊtres, des lucarnes; plus d’ateliers, une chapelle. Au-dessus de la porte une grosse croix de grÈs rouge avec un peu de latin autour!... Ô douleur! la fabrique n’est plus la fabrique; c’est un couvent de CarmÉlites, oÙ les hommes n’entrent jamais. IVGAGNE TA VIESarlande est une petite ville des CÉvennes, bÂtie au fond d’une Étroite vallÉe que la montagne enserre de partout comme un grand mur. Quand le soleil y donne, c’est une fournaise; quand la tramontane souffle, une glaciÈre.... Lesoir de mon ArrivÉe, la tramontane faisait rage depuis le matin; et quoiqu’on fÛt au printemps, le petit Chose, perchÉ sur le haut de la diligence, sentit, en entrant dans la ville, le froid le saisir jusqu’au coeur. Les rues Étaient noires et dÉsertes.... Sur la place d’armes quelques personnes attendaient la voiture, [30] en se promenant de long en large devant le bureau mal Éclaire. A peine descendu de mon impÉriale, je me fis conduire au collÈge, sans perdre une minute. J’avais hÂte d’entrer en fonctions. LecollÈge n’Était pas loin de la place; aprÈs m’avoir fait traverser deux ou trois larges rues silencieuses, l’homme qui portait ma malle s’arrÊta devant une grande maison, oÙ tout semblait mort depuis des annÉes. — C’est ici, dit-il, en soulevant l’Énorme marteau de la porte.... Lemarteau retomba lourdement, lourdement.... Laporte s’ouvrit d’elle-mÊme.... Nous entrÂmes. J’attendis un moment sous le porche, dans l’ombre. L’homme posa sa malle par terre, je le payai, et il s’en alla bien vite.... DerriÈre lui l’Énorme porte se referma lourdement, lourdement.... BientÔt aprÈs, un portier somnolent, tenant À la main une grosse lanterne, s’approcha de moi. — Vous Êtes sans doute un nouveau? me dit-il d’un air endormi. Il me prenait pour un ÉlevÉ.... — Je ne suis pas un ÉlÈve du tout, je viens ici comme maÎtre d’Étude; conduisez-moi chez le principal.... Le portier parut surpris; il souleva sa casquette et m’engagea À entrer une minute dans sa loge. Pour le quart d’heure M.le principal Était À l’Église avec les enfants. Onme mÈnerait chez lui dÈs que la priÈre du soir serait terminÉe. [31] Dans la loge on achevait de souper. Un grand beau gaillard À moustaches blondes dÉgustait un verre d’eau-de-vie aux cÔtÉs d’une petite femme maigre, souffreteuse, jaune comme un coing et emmitouflÉe jusqu’aux oreilles dans un chÂle fane. — Qu’est-ce donc, monsieur Cassage? demanda l’homme aux moustaches. — C’est le nouveau maÎtre d’Étude, rÉpondit le concierge en me dÉsignant.... Monsieur est si petit que je l’avais d’abord pris pour un ÉlÈve. — Lefait est, dit l’homme aux moustaches en me regardant par-dessus son verre, que nous avons ici des ÉlÈves plus grands et mÊme plus ÂgÉs que monsieur.... Veillon l’aÎnÉ, par exemple. — Et Crouzat, ajouta le concierge. — Et Soubeyrol..., fit la femme. LÀ-dessus, ils se mirent À parler entre eux À voix basse, le nez dans leur vilaine eau-de-vie et me dÉvisageant du coin de l’oeil.... Au-dehors, on entendait la tramontane qui ronflait et les voix criardes des ÉlÈves rÉcitant les litanies À la chapelle. Tout À coup une cloche sonna; un grand bruit de pas se fit dans les vestibules. — La priÈre est finie, me dit M. Cassage en se levant; montons chez le principal. Il prit sa lanterne, et je le suivis. Le collÈge me sembla immense.... D’interminables corridors, de grands porches, de larges escaliers avec des rampes de fer ouvragÉ..., tout cela vieux, noir, enfumÉ.... Leportier m’apprit qu’avant 89 la maison Était une École de marine, et qu’elle avait comptÉ [32] jusqu’À huit cents ÉlÈves, tous de la plus grande noblesse. Comme il achevait de me donner ces prÉcieux renseignements, nous arrivions devant le cabinet du principal.... M.Cassage poussa doucement une double porte matelassÉe, et frappa deux fois contre la boiserie. Une voix rÉpondit: “Entrez!” Nous entrÂmes. C’Était un cabinet de travail trÈs vaste, À tapisserie verte. Tout au fond, devant une longue table, le principal Écrivait À la lueur pÂle d’une lampe dont l’abat-jour Était complÈtement baissÉ. — Monsieur le principal, dit le portier en me poussant devant lui, voici le nouveau maÎtre qui vient pour remplacer M.SerriÈres. — C’est bien, fit le principal sans se dÉranger. Le portier s’inclina et sortit. Je restai debout au milieu de la piÈce, en tortillant mon chapeau entre mes doigts. Quand il eut fini d’Écrire, le principal se tourna vers moi, et je pus examiner À mon aise sa petite face pÂlotte et sÈche, ÉclairÉe par deux yeux froids, sans couleur. Lui, de son cÔtÉ, releva, pour mieux me voir, l’abat-jour de la lampe et accrocha un lorgnon À son nez. — Mais c’est un enfant! s’Écria-t-il en bondissant sur son fauteuil. Que veut-on que je fasse d’un enfant? Pour le coup le petit Chose eut une peur terrible; il se voyait dÉjÀ dans la rue, sans ressources.... Ileut À peine la force de balbutier deux oÙ trois mots et de remettre au principal la lettre d’introduction qu’il avait pour lui. [33] Le principal prit la lettre, la lut, la relut, la plia, la dÉplia, la relut encore, puis il finit par me dire que, grÂce À la recommandation toute particuliÈre du recteur et À l’honorabilitÉ de ma famille, il consentait À me prendre chez lui, bien que ma grande jeunesse lui fit peur. Ilentama ensuite de longues dÉclamations sur la gravitÉ de mes nouveaux devoirs; mais je ne l’Écoutais plus. Pour moi, l’essentiel Était qu’on ne me renvoyÂt pas.... Onne me renvoyÂt pas; j’Étais heureux, follement heureux. J’aurais voulu que M.le principal eÛt mille mains et les lui embrasser toutes. Un formidable bruit de ferraille m’arrÊta dans mes effusions. Jeme retournai vivement et me trouvai en face d’un long personnage, À favoris rouges, qui venait d’entrer dans le cabinet sans qu’on l’eÛt entendu: c’Était le surveillant gÉnÉral. Sa tÊte penchÉe sur l’Épaule, il me regardait avec le plus doux des sourires, en secouant un trousseau de clefs de toutes dimensions, suspendu À son index. Lesourire m’aurait prÉvenu en sa faveur, mais les clefs grinÇaient avec un bruit terrible—frinc! frinc! frinc!—qui me fit peur. — Monsieur Viot, dit le principal, voici le remplaÇant de M.SerriÈres qui nous arrive. M. Viot s’inclina et me sourit le plus doucement du monde. Ses clefs, au contraire, s’agitÈrent d’un air ironique et mÉchant comme pour dire: “Cepetit homme-lÀ remplacer M.SerriÈres! allons donc! allons donc!” Le principal comprit aussi bien que moi ce que les clefs venaient de dire, et ajouta avec un soupir: “Je[34] sais qu’en perdant M.SerriÈres nous faisons une perte presque irrÉparable (ici les clefs poussÈrent un vÉritable sanglot...); mais je suis sÛr que si M.Viot veut bien prendre le nouveau maÎtre sous sa tutelle spÉciale, et lui inculquer ses prÉcieuses idÉes sur l’enseignement, l’ordre et la discipline de la maison n’auront pas trop À souffrir du dÉpart de M.SerriÈres.” Toujours souriant et doux, M. Viot rÉpondit que sa bienveillance m’Était acquise et qu’il m’aiderait volontiers de ses conseils, mais les clefs n’Étaient pas bienveillantes, elles. Ilfallait les entendre s’agiter et grincer avec frÉnÉsie: “Si tu bouges, petit drÔle, gare À toi.” — Monsieur Eyssette, conclut le principal, vous pouvez vous retirer. Pour ce soir encore, il faudra que vous couchiez À l’hÔtel.... Soyez ici demain À huit heures.... Allez.... Et il me congÉdia d’un geste digne. M. Viot, plus souriant et plus doux que jamais, m’accompagna jusqu’À la porte; mais, avant de me quitter, il me glissa dans la main un petit cahier. — C’est le rÈglement de la maison, me dit-il. Lisez et mÉditez.... Puis il ouvrit la porte et la referma sur moi, en agitant ses clefs d’une faÇon... frinc! frinc! frinc! Ces messieurs avaient oubliÉ de m’Éclairer.... J’errai un moment parmi les grands corridors tout noirs, tÂtant les murs pour essayer de retrouver mon chemin. De loin en loin, un peu de lune entrait par le grillage d’une fenÊtre haute et m’aidait À m’orienter. Tout À coup, dans la nuit des galeries, un point lumineux brilla, venant À ma rencontre.... Jefis encore quelques pas; [35] la lumiÈre grandit, s’approcha de moi, passa À mes cÔtÉs, s’Éloigna, disparut. Cefut comme une vision; mais, si rapide qu’elle eÛt ÉtÉ, je pus en saisir les moindres dÉtails. Figurez-vous deux femmes, non, deux ombres.... L’une vieille, ridÉe, ratatinÉe, pliÉe en deux, avec d’Énormes lunettes qui lui cachaient la moitiÉ du visage; l’autre, jeune, svelte, un peu grÊle comme tous les fantÔmes, mais ayant,—ce que les fantÔmes n’ont pas en gÉnÉral, —une paire d’yeux noirs, trÈs grands, et si noirs, si noirs.... Lavieille tenait À la main une petite lampe de cuivre; les yeux noirs, eux, ne portaient rien.... Les deux ombres passÈrent prÈs de moi, rapides, silencieuses, sans me voir, et depuis longtemps elles avaient disparu que j’Étais encore debout, À la mÊme place, sous une double impression de charme et de terreur. Je repris ma route À tÂtons, mais le coeur me battait bien fort, et j’avais toujours devant moi, dans l’ombre, l’horrible fÉe aux lunettes marchant À cÔtÉ des yeux noirs.... Il s’agissait cependant de dÉcouvrir un gÎte pour la nuit; ce n’Était pas une mince affaire. Heureusement l’homme aux moustaches, que je trouvai fumant sa pipe devant la loge du portier, se mit tout de suite À ma disposition et me proposa de me conduire dans un bon petit hÔtel point trop cher, oÙ je serais servi comme un prince. Vous pensez si j’acceptai de bon coeur. Cet homme À moustaches avait l’air trÈs bon enfant; chemin faisant, j’appris qu’il s’appelait Roger, qu’il Était professeur de danse, d’Équitation, d’escrime et de [36] gymnase au collÈge de Sarlande, et qu’il avait servi longtemps dans les chasseurs d’Afrique. Ceci acheva de me le rendre sympathique. Les enfants sont toujours portÉs À aimer les soldats. Nous nous sÉparÂmes À la porte de l’hÔtel avec force poignÉes de main, et la promesse formelle de devenir une paire d’amis. Et maintenant, lecteur, un aveu me reste À te faire. Quand le petit Chose se trouva seul dans cette chambre froide, devant ce lit d’auberge inconnu et banal, loin de ceux qu’il aimait, son coeur Éclata, et ce grand philosophe pleura comme un enfant. Lavie l’Épouvantait À prÉsent; il se sentait faible et dÉsarmÉ devant elle, et il pleurait, il pleurait.... Tout À coup, au milieu de ses larmes, l’image des siens passa devant ses yeux; il vit la maison dÉserte, la famille dispersÉe, la mÈre ici, le pÈre lÀ-bas.... Plus de toit! plus de foyer! et alors, oubliant sa propre dÉtresse pour ne songer qu’a la misÈre commune, le petit Chose prit une grande et belle rÉsolution: celle de reconstituer la maison Eyssette et de reconstruire le foyer À lui tout seul. Puis, fier d’avoir trouvÉ ce noble but À sa vie, il essuya ces larmes indignes d’un homme, d’un reconstructeur de foyer, et sans perdre une minute entama la lecture du rÈglement de M.Viot, pour se mettre au courant de ses nouveaux devoirs. Ce rÈglement, recopiÉ avec amour de la propre main de M. Viot, son auteur, Était un vÉritable traitÉ, divisÉ mÉthodiquement en trois parties: 1° Devoirs du maÎtre d’Étude envers ses supÉrieurs; 2° Devoirs du maÎtre d’Étude envers ses collÈges; [37] 3° Devoirs du maÎtre d’Étude envers les ÉlÈves. Tous les cas y Étaient prÉvus, depuis le carreau brisÉ jusqu’aux deux mains qui se lÈvent en mÊme temps À l’Étude; tous les dÉtails de la vie des maÎtres y Étaient consignÉs, depuis le chiffre de leurs appointements jusqu’À la demi-bouteille de vin À laquelle ils avaient droit À chaque repas. Le rÈglement se terminait par une belle piÈce d’Éloquence, un discours sur l’utilitÉ du rÈglement lui-mÊme; mais, malgrÉ son respect pour l’oeuvre de M.Viot, le petit Chose n’eut pas la force d’aller jusqu’au bout, et,—juste au plus beau passage du discours,—il s’endormit.... Cette nuit-lÀ, je dormis mal. Mille rÊves fantastiques troublÈrent mon sommeil.... TantÔt c’Était les terribles clefs de M.Viot que je croyais entendre, frinc! frinc! frinc! ou bien la fÉe aux lunettes qui venait s’asseoir À mon chevet et qui me rÉveillait en sursaut; d’autrefois aussi les yeux noirs,—oh! comme ils Étaient noirs!—s’installaient au pied de mon lit, me regardant avec une Étrange obstination.... Le lendemain, À huit heures, j’arrivai au collÈge. M.Viot, debout sur la porte, son trousseau de clefs À la main, surveillait l’entrÉe des externes. Ilm’accueillit avec son plus doux sourire. — Attendez sous le porche, me dit-il, quand les ÉlÈves seront rentrÉs, je vous prÉsenterai À vos collÈges. J’attendis sous le porche, me promenant de long en large, saluant jusqu’À terre MM.les professeurs qui [38] accouraient essoufflÉs. Un seul de ces messieurs me rendit mon salut; c’Était un prÊtre, le professeur de philosophie, “un original” me dit M.Viot.... Jel’aimai tout de suite, cet original-lÀ. La cloche sonna. Les classes se remplirent.... Quatre ou cinq grands garÇons de vingt-cinq À trente ans, mal vÊtus, figures communes, arrivÈrent en gambadant et s’arrÊtÈrent interdits À l’aspect de M.Viot. — Messieurs, leur dit le surveillant gÉnÉral en me dÉsignant, voici M.Daniel Eyssette, votre nouveau collÈgue. Ayant dit, il fit une longue rÉvÉrence et se retira, toujours souriant, toujours la tÊte sur l’Épaule, et toujours agitant les horribles clefs. Mes collÈges et moi nous nous regardÂmes un moment en silence. Le plus grand et le plus gros d’entre eux prit le premier la parole; c’Était M.SerriÈres, le fameux SerriÈres, que j’allais remplacer. — Parbleu! s’Écria-t-il d’un ton joyeux, c’est bien le cas de dire que les maÎtres se suivent, mais ne se ressemblent pas. Ceci Était une allusion À la prodigieuse diffÉrence de taille qui existait entre nous. Onen rit beaucoup, beaucoup, moi le premier; mais je vous assure qu’À ce moment-lÀ le petit Chose aurait volontiers vendu son Âme au diable pour avoir seulement quelques pouces de plus. — Ça ne fait rien, ajouta le gros SerriÈres en me tendant la main; quoiqu’on ne soit pas bÂti pour [39] passer sous la mÊme toise, on peut tout de mÊme vider quelques flacons ensemble. Venez avec nous, collÈgue..., je paye un punch d’adieu au cafÉ Barbette; je veux que vous en soyez...: on fera connaissance en trinquant. Sans me laisser le temps de rÉpondre, il prit mon bras sous le sien et m’entraÎna dehors. Le cafÉ Barbette, oÙ mes nouveaux collÈges me menÈrent, Était situÉ sur la place d’armes. Les sous-officiers de la garnison le frÉquentaient, et ce qui frappait en y entrant, c’Était la quantitÉ de shakos et de ceinturons pendus aux patÈres.... Ce jour-lÀ, le dÉpart de SerriÈres et son punch d’adieu avaient attirÉ le ban et l’arriÈre-ban des habituÉs.... Les sous-officiers, auxquels SerriÈres me prÉsenta en arrivant, m’accueillirent avec beaucoup de cordialitÉ. Adire vrai, pourtant, l’arrivÉe du petit Chose ne fit pas grande sensation, et je fus bien vite oubliÉ, dans le coin de la salle oÙ je m’Étais rÉfugiÉ timidement.... Pendant que les verres se remplissaient, le gros SerriÈres vint s’asseoir À cÔtÉ de moi; il avait quittÉ sa redingote et tenait aux dents une longue pipe de terre sur laquelle son nom Était en lettres de porcelaine. Tous les maÎtres d’Étude avaient, au cafÉ Barbette, une pipe comme cela. — Eh bien! collÈgue, me dit le gros SerriÈres, vous voyez qu’il y a encore de bons moments dans le mÉtier.... Ensomme, vous Êtes bien tombÉ en venant À Sarlande pour votre dÉbut. D’abord l’absinthe du cafÉ Barbette est excellente, et puis, lÀ-bas, À la boÎte, vous ne serez pas trop mal. [40] La boÎte, c’Était le collÈge. — Vous allez avoir l’Étude des petits, des gamins qu’on mÈne À la baguette. Ilfaut voir comme je les ai dressÉs! Leprincipal n’est pas mÉchant; les collÈges sont de bons garÇons: il n’y À que la vieille et le pÈre Viot.... — Quelle vieille? demandai-je en tressaillant. — Oh! vous la connaÎtrez bientÔt. A toute heure du jour et de la nuit, on la rencontre rÔdant par le collÈge, avec une Énorme paire de lunettes.... C’est une tante du principal, et elle remplit ici les fonctions d’Économe. Ah! la coquine! si nous ne mourons pas de faim, ce n’est pas de sa faute. Au signalement que me donnait SerriÈres, j’avais reconnu la fÉe aux lunettes et malgrÉ moi je me sentais rougir. Dix fois je fus sur le point d’interrompre mon collÈgue et de lui demander: “Et les yeux noirs?” Mais je n’osai pas. Parler des yeux noirs au cafÉ Barbette!... En attendant, le punch circulait, les verres vides s’emplissaient, les verres remplis se vidaient; c’Était des toasts, des oh! oh! des ah! ah! des queues de billard en l’air, des bousculades, de gros rires, des calembours, des confidences.... Peu À peu, le petit Chose se sentit moins timide. Ilavait quittÉ son encoignure et se promenait par le cafÉ, parlant haut, le verre À la main. A cette heure les sous-officiers Étaient ses amis; il raconta effrontÉment À l’un d’eux qu’il appartenait À une famille trÈs riche et qu’À la suite de quelques folies de jeune homme on l’avait chassÉ de la maison [41] paternelle; il s’Était fait maÎtre d’Étude pour vivre, mais il ne pensait pas rester au collÈge longtemps.... Vous comprenez, avec une famille tellement riche!.... Ah! si ceux de Lyon avaient pu l’entendre À ce moment-lÀ! Ce que c’est que de nous, pourtant! Quand on sut au cafÉ Barbette que j’Étais un fils de famille en rupture de ban, un polisson, un mauvais drÔle, et non point, comme on aurait pu le croire, un pauvre garÇon condamnÉ par la misÈre À la pÉdagogie, tout le monde me regarda d’un meilleur oeil. Les plus anciens sous-officiers ne dÉdaignÈrent pas de m’adresser la parole; on alla mÊme plus loin: au moment de partir, Roger, le maÎtre d’armes, mon ami de la veille, se leva et porta un toast À Daniel Eyssette. Vous pensez si le petit Chose fut fier! Le toast À Daniel Eyssette donna le signal du dÉpart. Il Était dix heures moins le quart, c’est-À-dire l’heure de retourner au collÈge. L’homme aux clefs nous attendait sur la porte. — Monsieur SerriÈres, dit-il À mon gros collÈgue, vous allez, pour la derniÈre fois, conduire vos ÉlÈves À l’Étude; dÈs qu’ils seront entres, M.le principal et moi nous viendrons installer le nouveau maÎtre. En effet, quelques minutes aprÈs, le principal, M. Viot et le nouveau maÎtre faisaient leur entrÉe solennelle À l’Étude. Tout le monde se leva. Le principal me prÉsenta aux ÉlÈves en un discours un peu long, mais plein de dignitÉ; puis il se retira, suivi du gros SerriÈres. [42] M. Viot resta le dernier. Il ne prononÇa pas de discours, mais ses clefs, frinc! frinc! frinc! parlÈrent pour lui d’une faÇon si terrible, frinc! frinc! frinc! si menaÇante, que toutes les tÊtes se cachÈrent sous les couvercles des pupitres et que le nouveau maÎtre lui-mÊme n’Était pas rassurÉ. AussitÔt que les terribles clefs furent dehors, un tas de figures malicieuses sortirent de derriÈre les pupitres; toutes les barbes de plumes se portÈrent aux lÈvres, tous ces petits yeux, brillants, moqueurs, effarÉs, se fixÈrent sur moi, tandis qu’un long chuchotement courait de table en table. Un peu troublÉ, je gravis lentement les degrÉs de ma chaise; j’essayai de promener un regard fÉroce autour de moi, puis, enflant ma voix, je criai entre deux grands coups secs frappÉs sur la table: — Travaillons, messieurs, travaillons! C’est ainsi que le petit Chose commenÇa sa premiÈre Étude. VLES PETITSCeux-lÀ n’Étaient pas mÉchants; c’Étaient les autres. Ceux-lÀ ne me firent jamais de mal, et moi je les aimais bien, parce qu’ils ne sentaient pas encore le collÈge et qu’on lisait toute leur Âme dans leurs yeux. Je ne les punissais jamais. A quoi bon? Est-ce qu’on punit les oiseaux?... Quand ils pÉpiaient trop [43] haut, je n’avais qu’À crier: “Silence!” AussitÔt ma voliÈre se taisait,—au moins pour cinq minutes. Le plus ÂgÉ de l’Étude avait onze ans. Onze ans, je vous demande! Et le gros SerriÈres qui se vantait de les mener À la baguette!... Moi, je ne les menai pas À la baguette. J’essayai d’Être toujours bon, voilÀ tout. Quelquefois, quand ils avaient ÉtÉ bien sages, je leur racontais une histoire.... Une histoire!... Quel bonheur! Vite, vite, on pliait les cahiers, on fermait les livres; encriers, rÈgles, porte-plume, on jetait tout pÊle-mÊle au fond des pupitres; puis, les bras croisÉs sur la table, on ouvrait de grands yeux et on Écoutait. J’avais compose À leur intention cinq ou six petits contes fantastiques: Les DÉbuts d’une cigale, Les Infortunes de Jean Lapin, etc. Cela amusait beaucoup mes petits, et moi aussi cela m’amusait beaucoup. Malheureusement M.Viot n’entendait pas qu’on s’amusÂt de la sorte. Trois ou quatre fois par semaine, le terrible homme aux clefs faisait une tournÉe d’inspection dans le collÈge, pour voir si tout s’y passait selon le rÈglement.... Or, un de ces jours-lÀ, il arriva dans notre Étude juste au moment le plus pathÉtique de l’histoire de Jean Lapin. Envoyant entrer M.Viot, toute l’Étude tressauta. Les petits, effarÉs, se regardÈrent. Lenarrateur s’arrÊta court. Jean Lapin, interdit, resta une patte en l’air, en dressant de frayeur ses grandes oreilles. Debout devant ma chaire, le souriant M. Viot promenait un long regard d’Étonnement sur les pupitres dÉgarnis. Ilne parlait pas, mais ses clefs s’agitaient [44] d’un air fÉroce: “Frinc! frinc! frinc! tas de drÔles, on ne travaille donc plus ici!” J’essayai, tout tremblant, d’apaiser les terribles clefs. — Ces messieurs ont beaucoup travaillÉ ces jours-ci, balbutiai-je.... J’ai voulu les rÉcompenser en leur racontant une petite histoire. M. Viot ne me rÉpondit pas. Il s’inclina en souriant, fit gronder ses clefs une derniÈre fois et sortit. Le soir, À la rÉcrÉation de quatre heures, il vint vers moi, et me remit, toujours souriant, toujours muet, le cahier du rÈglement ouvert À la page 12: Devoirs du maÎtre envers les ÉlÈves. Je compris qu’il ne fallait plus raconter d’histoires, et je n’en racontai plus jamais. Pendant quelques jours mes petits furent inconsolables. Jean Lapin leur manquait, et cela me crevait le coeur de ne pouvoir le leur rendre.... LecollÈge Était divisÉ en trois quartiers trÈs distincts: les grands, les moyens, les petits; chaque quartier avait sa cour, son dortoir, son Étude. Mes petits Étaient donc À moi, bien À moi. Ilme semblait que j’avais trente-cinq enfants. A part Ceux-lÀ, pas un ami. M. Viot avait beau me sourire, me prendre par le bras aux rÉcrÉations, me donner des conseils au sujet du rÈglement, je ne l’aimais pas, je ne pouvais pas l’aimer; ses clefs me faisaient trop peur. Leprincipal, je ne le voyais jamais. Les professeurs mÉprisaient le petit Chose et le regardaient du haut de leur toque. Quant À mes collÈges, la sympathie que l’homme aux clefs paraissait me tÉmoigner me les avait aliÉnÉs; d’ailleurs, depuis ma prÉsentation [45] aux sous-officiers, je n’Étais plus retournÉ au cafÉ Barbette, et ces braves gens ne me le pardonnaient pas. LemaÎtre d’armes surtout semblait m’en vouloir terriblement. Devant cette antipathie universelle j’avais pris bravement mon parti. LemaÎtre des moyens partageait avec moi une petite chambre, au troisiÈme Étage, sous les combles: c’est lÀ que je me rÉfugiais pendant les heures de classe. Comme mon collÈgue passait tout son temps au cafÉ Barbette, la chambre m’appartenait; c’Était ma chambre, mon chez moi. A peine rentrÉ, je m’enfermais À double tour, je traÎnais ma malle,—il n’y avait pas de chaise dans ma chambre,—devant un vieux bureau criblÉ de taches d’encre et d’inscriptions au canif, j’Étalais dessus tous mes livres!... et À ’ouvrage!... L’important pour le quart d’heure Était de faire beaucoup de thÈmes grecs, de passer licenciÉ, d’Être nommÉ professeur, et de reconstruire au plus vite un beau foyer tout neuf pour la famille Eyssette. Cette pensÉe que je travaillais pour la famille me donnait un grand courage et me rendait la vie plus douce. Si j’avais quelques bonnes heures, j’en avais de mauvaises aussi. Deux fois par semaine, le dimanche et le jeudi, il fallait mener les enfants en promenade. Cette promenade Était un supplice pour moi. D’habitude nous allions À la Prairie, une grande pelouse qui s’Étend comme un tapis au pied de la montagne, À une demi-lieue de la ville.... Les trois Études s’y rendaient sÉparÉment; une fois lÀ, on les rÉunissait sous la surveillance d’un seul maÎtre qui Était [46] toujours moi. J’avais tout le collÈge sur les bras. C’Était terrible.... Mais le plus terrible encore, ce n’Était pas de surveiller les ÉlÈves À la Prairie, c’Était de traverser la ville avec ma division, la division des petits. Les autres divisions emboÎtaient le pas À merveille. Mes petits, eux, n’allaient pas en rang, ils se tenaient par la main et jacassaient le long de la route. J’avais beau leur crier: “Gardez vos distances!” ils ne me comprenaient pas et marchaient tout de travers. J’Étais assez content de ma tÊte de colonne. J’y mettais les plus grands, les plus sÉrieux, ceux qui portaient la tunique, mais À la queue, quel dÉsordre! Une marmaille folle, des cheveux ÉbouriffÉs, des mains sales, des culottes en lambeaux! Jen’osais pas les regarder. Parmi tous ces diablotins ÉbouriffÉs que je promenais deux fois par semaine dans la ville, il y en avait un surtout, un demi-pensionnaire, qui me dÉsespÉrait par sa laideur et sa mauvaise tenue. Imaginez un horrible petit avorton, si petit que c’en Était ridicule; avec cela disgracieux, sale, mal peignÉ, mal vÊtu, sentant le ruisseau, et, pour que rien ne lui manquÂt, affreusement bancal. Bamban,—nous l’avions surnommÉ Bamban À cause de sa dÉmarche plus qu’irrÉguliÈre,—Bamban Était loin d’appartenir À une famille aristocratique. Cela se voyait sans peine À ses maniÈres, À ses faÇons de dire et surtout aux belles relations qu’il avait dans le pays. Tous les gamins de Sarlande Étaient ses amis. [47] GrÂce À lui, quand nous sortions, nous avions toujours À nos trousses une nuÉe de polissons qui faisaient la roue sur nos derriÈres, appelaient Bamban par son nom, le montraient du doigt, lui jetaient des peaux de chÂtaignes, et mille autres bonnes singeries. Mes petits s’en amusaient beaucoup, mais moi, je ne riais pas, et j’adressais chaque semaine au principal un rapport circonstanciÉ sur l’ÉlÈve Bamban et les nombreux dÉsordres que sa prÉsence entraÎnait. Malheureusement mes rapports restaient sans rÉponse, et j’Étais toujours obligÉ de me montrer dans les rues en compagnie de M.Bamban, plus sale et plus bancal que jamais. Un dimanche entre autres, un beau dimanche de fÊte et de grand soleil, il m’arriva pour la promenade dans un État de toilette tel que nous en fÛmes tous ÉpouvantÉs. Vous n’avez jamais rien rÊvÉ de semblable. Des mains noires, des souliers sans cordons, de la boue jusque dans les cheveux, presque plus de culotte... un monstre. Leplus risible, c’est qu’Évidemment on l’avait fait trÈs beau, ce jour-lÀ, avant de me l’envoyer. Sa tÊte, mieux peignÉe qu’a l’ordinaire, Était encore roide de pommade, et le noeud de cravate avait je ne sais quoi qui sentait les doigts maternels. Mais il y a tant de ruisseaux avant d’arriver au collÈge!... Bamban s’Était roulÉ dans tous. Quand je le vis prendre son rang parmi les autres, paisible et souriant comme si de rien n’Était, j’eus un mouvement d’horreur et d’indignation. Je lui criai: “Va-t’en!” [48] Bamban pensa que je plaisantais et continua de sourire. Ilse croyait trÈs beau, ce jour-lÀ! Je lui criai de nouveau: “Va-t’en! va-t’en!” Il me regarda d’un air triste et soumis, son oeil suppliait; mais je fus inexorable, et la division s’Ébranla, le laissant seul, immobile au milieu de la rue. Je me croyais dÉlivrÉ de lui pour toute la journÉe, lorsqu’au sortir de la ville des rires et des chuchotements À mon arriÈre-garde me firent retourner la tÊte. A quatre ou cinq pas derriÈre nous Bamban suivait la promenade gravement. — Doublez le pas, dis-je aux deux premiers. Les ÉlÈves comprirent qu’il s’agissait de faire une niche au bancal, et la division se mit À filer d’un train d’enfer. De temps en temps on se retournait pour voir si Bamban pouvait suivre, et on riait de l’apercevoir lÀ-bas, bien loin, gros comme le poing, trottant dans la poussiÈre de la route, au milieu des marchands de gÂteaux et de limonade. Cet enragÉ-lÀ arriva À la Prairie presque en mÊme temps que nous. Seulement il Était pÂle de fatigue et tirait la jambe À faire pitiÉ. J’en eus le coeur touchÉ, et, un peu honteux de ma cruautÉ, je l’appelai prÈs de moi doucement. Il avait une petite blouse fanÉe, À carreaux rouges, la blouse du petit Chose, au collÈge de Lyon. Je la reconnus tout de suite, cette blouse, et dans moi-mÊme je me disais: “MisÉrable, tu n’as pas honte? Mais c’est toi, c’est le petit Chose que tu t’amuses À martyriser ainsi.” Et, plein de larmes intÉrieures, je [49] me mis À aimer de tout mon coeur ce pauvre dÉshÉritÉ. Bamban s’Était assis par terre À cause de ses jambes qui lui faisaient mal. Jem’assis prÈs de lui. Jelui parlai.... Jelui achetai une orange.... A partir de ce jour Bamban devint mon ami. J’appris sur son compte des choses attendrissantes.... C’Était le fils d’un marÉchal-ferrant qui, entendant vanter partout les bienfaits de l’Éducation, se saignait les quatre membres, le pauvre homme! pour envoyer son enfant demi-pensionnaire au collÈge. Mais, HÉlas! Bamban n’Était pas fait pour le collÈge, et il n’y profitait guÈre. Lejour de son arrivÉe, on lui avait donnÉ un modÈle de bÂtons en lui disant: “Fais des bÂtons!” depuis un an Bamban faisait des bÂtons. Et quels bÂtons, grand Dieu!... Personne ne s’occupait de lui. Il ne faisait spÉcialement partie d’aucune classe; en gÉnÉral, il entrait dans celle qu’il voyait ouverte. Je le regardais quelquefois À l’Étude, courbÉ en deux sur son papier, suant, soufflant, tirant la langue, tenant sa plume À pleines mains et appuyant de toutes ses forces, comme s’il eÛt voulu traverser la table.... Achaque bÂton il reprenait de l’encre, et À la fin de chaque ligne il rentrait sa langue et se reposait en se frottant les mains. Bamban travaillait de meilleur coeur maintenant que nous Étions amis. Quand il avait terminÉ une page, il s’empressait de gravir ma chaire À quatre pattes et posait son chef-d’oeuvre devant moi, sans parler. [50] Je lui donnais une petite tape affectueuse en lui disant: “C’est trÈs bien!” C’Était hideux, mais je ne voulais pas le dÉcourager. De fait, peu À peu, les bÂtons commenÇaient À marcher plus droit, la plume crachait moins, et il y avait moins d’encre sur les cahiers.... Jecrois que je serais venu À bout de lui apprendre quelque chose; malheureusement la destinÉe nous sÉpara. LemaÎtre des moyens quittait le collÈge. Comme la fin de l’annÉe Était proche, le principal ne voulut pas prendre un nouveau maÎtre. Oninstalla un rhÉtoricien À barbe dans la chaire des petits, et c’est moi qui fus chargÉ de l’Étude des moyens. Je considÉrai cela comme une catastrophe. D’abord les moyens m’Épouvantaient. Je les avais vus À l’oeuvre les jours de Prairie, et la pensÉe que j’allais vivre sans cesse avec eux me serrait le coeur. Puis il fallait quitter mes petits, mes chers petits que j’aimais tant.... Comment serait pour eux le rhÉtoricien À barbe?... Qu’allait devenir Bamban? J’Étais rÉellement malheureux. Et mes petits aussi se dÉsolaient de me voir partir. Lejour oÙ je leur fis ma derniÈre Étude, il y eut un moment d’Émotion quand la cloche sonna.... Ils voulurent tous m’embrasser.... Quelques-uns mÊme, je vous assure, trouvÈrent des choses charmantes À me dire. Et Bamban?... Bamban ne parla pas. Seulement, au moment oÙ je sortais, il s’approcha de moi, tout rouge, et me mit dans [51] la main, avec solennitÉ, un superbe cahier de bÂtons qu’il avait dessinÉs À mon intention. Pauvre Bamban! VILE PIONJe pris donc possession de l’Étude des moyens. Je trouvai lÀ une cinquantaine de mÉchants drÔles, montagnards joufflus de douze À quatorze ans, fils de mÉtayers enrichis, que leurs parents envoyaient au collÈge pour en faire de petits bourgeois, À raison de cent vingt francs par trimestre. Grossiers, insolents, orgueilleux, parlant entre eux un rude patois cÉvenol auquel je n’entendais rien, ils me haÏrent tout de suite, sans me connaÎtre. J’Étais pour eux l’ennemi, le Pion; et du jour oÙ je m’assis dans ma chaire, ce fut la guerre entre nous, une guerre acharnÉe, sans trÊve, de tous les instants. Ah! les cruels enfants, comme ils me firent souffrir!... C’est si terrible de vivre entourÉ de malveillance, d’avoir toujours peur, d’Être toujours sur le qui-vive, toujours mÉchant, toujours armÉ, c’est si terrible de punir,—on fait des injustices malgrÉ soi,—si terrible de douter, de voir partout des piÉgÉs, de ne pas manger tranquille, de ne pas dormir en repos, de se dire toujours, mÊme aux minutes de trÊve: “Ah! mon Dieu!... Qu’est-ce qu’ils vont me faire maintenant?” [52] Non, vivrait-il cent ans, le pion Daniel Eyssette n’oubliera jamais tout ce qu’il souffrit au collÈge de Sarlande, depuis le triste jour oÙ il entra dans l’Étude des moyens. Et pourtant j’avais gagnÉ quelque chose À changer d’Étude: maintenant je voyais les yeux noirs. Deux fois par jour, aux heures de rÉcrÉation, je les apercevais de loin travaillant derriÈre une fenÊtre du premier ÉtagÉ qui donnait sur la cour des moyens.... Ils Étaient lÀ, plus noirs, plus grands que jamais, penchÉs du matin jusqu’au soir sur une couture interminable; car les yeux noirs cousaient, ils ne se lassaient pas de coudre. C’Était pour coudre, rien que pour coudre, que la vieille fÉe aux lunettes les avait pris aux enfants trouvÉs,—les yeux noirs ne connaissaient ni leur pÈre ni leur mÈre,—et, d’un bout À l’autre de l’annÉe, ils cousaient, cousaient sans relÂche, sous le regard implacable de l’horrible fÉe aux lunettes, filant sa quenouille À cÔtÉ d’eux. Il y avait encore l’abbÉ Germane que j’aimais bien.... Cet abbÉ Germane Était le professeur de philosophie. Ilpassait pour un original, et dans le collÈge tout le monde le craignait, mÊme le principal, mÊme M.Viot. Ilparlait peu, d’une voix brÈve et cassante, nous tutoyait tous, marchait À grands pas, la tÊte en arriÈre, la soutane relevÉe, faisant sonner,—comme un dragon,—les talons de ses souliers À boucles. IlÉtait grand et fort. Longtemps je l’avais cru trÈs beau; mais un jour, en le regardant de plus prÈs, je m’aperÇus que cette noble face de lion avait ÉtÉ horriblement dÉfigurÉe par la [53] petite vÉrole. Pas un coin du visage qui ne fÛt hachÉ, sabrÉ, couturÉ, un Mirabeau en soutane. L’abbÉ vivait sombre et seul, dans une petite chambre qu’il occupait À l’extrÉmitÉ de la maison, ce qu’on appelait le Vieux CollÈge. Personne n’entrait jamais chez lui, exceptÉ ses deux frÈres, deux mÉchants vauriens qui Étaient dans mon Étude et dont il payait l’Éducation.... Lesoir, quand on traversait les cours pour monter au dortoir, on apercevait, lÀ-haut, dans les bÂtiments noirs et ruinÉs du vieux collÈge, une petite lueur pÂle qui veillait: c’Était la lampe de l’abbÉ Germane. Bien des fois aussi, le matin, en descendant pour l’Étude de six heures, je voyais, À travers la brume, la lampe brÛler encore; l’abbÉ Germane ne s’Était pas couchÉ.... Ondisait qu’il travaillait À un grand ouvrage de philosophie. Pour ma part, mÊme avant de le connaÎtre, je me sentais une grande sympathie pour cet Étrange abbÉ. Son horrible et beau visage, tout resplendissant d’intelligence, m’attirait. Seulement on m’avait tant effrayÉ par le rÉcit de ses bizarreries et de ses brutalitÉs que je n’osais pas aller vers lui. J’y allai ependant, et pour mon bonheur. Voici dans quelles circonstances.... Il faut vous dire qu’en ce temps-lÀ j’Étais plongÉ jusqu’au cou dans l’histoire de la philosophie.... Un rude travail pour le petit Chose! Or, certain jour, l’envie me vint de lire Condillac. Ilme fallait un Condillac coÛte que coÛte. Malheureusement la bibliothÈque du collÈge en Était absolument dÉpourvue, et les libraires de Sarlande ne [54] tenaient pas cet article-lÀ. JerÉsolus de m’adresser À l’abbÉ Germane. Ses frÈres m’avaient dit que sa chambre contenait plus de deux mille volumes, et je ne doutais pas de trouver chez lui le livre de mes rÊves. Mais ce diable d’homme m’Épouvantait, et pour me dÉcider À monter À son rÉduit ce n’Était pas trop de tout mon amour pour M.de Condillac. En arrivant devant la porte, mes jambes tremblaient de peur.... Jefrappai deux fois trÈs doucement.... — Entrez! rÉpondit une voix de Titan. Le terrible abbÉ Germane Était assis À califourchon sur une chaise basse, les jambes Étendues, la soutane retroussÉe et laissant voir de gros muscles qui saillaient vigoureusement dans des bas de soie noire. AccoudÉ sur le dossier de sa chaise, il lisait un in-folio À tranches rouges, et fumait une petite pipe courte et brune, de celles qu’on appelle “brÛle-gueule”. — C’est toi! me dit-il en levant À peine les yeux de dessus son in-folio.... Bonjour! Comment vas-tu?... Qu’est-ce que tu veux? Le tranchant de sa voix, l’aspect sÉvÈre de cette chambre tapissÉe de livres, la faÇon cavaliÈre dont il Était assis, cette petite pipe qu’il tenait aux dents, tout cela m’intimidait beaucoup. Je parvins cependant À expliquer tant bien que mal l’objet de ma visite et À demander le fameux Condillac. — Condillac! tu veux lire Condillac! me rÉpondit l’abbÉ Germane en souriant. Quelle drÔle d’idÉe!... Est-ce que tu n’aimerais pas mieux fumer une pipe avec moi? DÉcroche-moi ce joli calumet qui est pendu lÀ-[55] bas, contre la muraille, et allume-le...; tu verras, c’est bien meilleur que tous les Condillac de la terre. Je m’excusai du geste, en rougissant. — Tu ne veux pas?... A ton aise, mon garÇon.... Ton Condillac est lÀ-haut, sur le troisiÈme rayon À gauche... tu peux l’emporter; je te le prÊte. Surtout ne le gÂte pas, ou je te coupe les oreilles. J’atteignis le Condillac sur le troisiÈme rayon À gauche, et je me disposais À me retirer; mais l’abbÉ me retint. — Tu t’occupes donc de philosophie? me dit-il en me regardant dans les yeux.... Est-ce que tu y croirais, par hasard?... Des histoires, mon cher, de pures histoires!... Et dire qu’ils ont voulu faire de moi un professeur de philosophie! Jevous demande un peu!... Enseigner quoi? zÉro, nÉant.... Ils auraient pu tout aussi bien, pendant qu’ils y Étaient, me nommer inspecteur gÉnÉral des Étoiles ou contrÔleur des fumÉes de pipe.... Ah! misÈre de moi! Ilfaut faire parfois de singuliers mÉtiers pour gagner sa vie.... Tu en connais quelque chose, toi aussi, n’est-ce pas?.... Oh! tu n’as pas besoin de rougir. Jesais que tu n’es pas heureux, mon pauvre petit pion, et que les enfants te font une rude existence. Ici l’abbÉ Germane s’interrompit un moment. Ilparaissait trÈs en colÈre et secouait sa pipe sur son ongle avec fureur. Moi, d’entendre ce digne homme s’apitoyer ainsi sur mon sort, je me sentais tout Ému, et j’avais mis le Condillac devant mes yeux, pour dissimuler les grosses larmes dont ils Étaient remplis. Presque AussitÔt l’abbÉ reprit: — A propos! j’oubliais de te demander.... Aimes-[56] tu le bon Dieu?... Ilfaut l’aimer, vois-tu! mon cher, et avoir confiance en lui, et le prier ferme; sans quoi tu ne t’en tireras jamais.... Aux grandes souffrances de la vie je ne connais que trois remÈdes: le travail, la priÈre et la pipe, la pipe de terre, trÈs courte, souviens-toi de cela.... Quant aux philosophes, n’y compte pas; ils ne te consoleront jamais de rien. J’ai passÉ par lÀ, tu peux m’en croire. — Je vous crois, monsieur l’abbÉ. — Maintenant, va-t’en, tu me fatigues.... Quand tu voudras des livres, tu n’auras qu’À venir en prendre. Laclef de ma chambre est toujours sur la porte, et les philosophes toujours sur le troisiÈme rayon À gauche.... Ne me parle plus.... Adieu! LÀ-dessus, il se remit À sa lecture et me laissa sortir, sans mÊme me regarder. A partir de ce jour j’eus tous les philosophes de l’univers À ma disposition; j’entrais chez l’abbÉ Germane sans frapper, comme chez moi. Leplus souvent, aux heures oÙ je venais, l’abbÉ faisait sa classe, et la chambre Était vide. Lapetite pipe dormait sur le bord de la table, au milieu des in-folio À tranches rouges et d’innombrables papiers couverts de pattes de mouches.... Quelquefois aussi l’abbÉ Germane Était lÀ. Jele trouvais lisant, Écrivant, marchant de long en large, À grandes enjambÉes. Enentrant, je disais d’une voix timide: — Bonjour, monsieur l’abbÉ! La plupart du temps il ne me rÉpondait pas.... Je prenais mon philosophe sur le troisiÈme rayon À gauche, et je m’en allais, sans qu’on eÛt seulement l’air de soupÇonner ma prÉsence.... Jusqu’À la fin de l’annÉe [57] nous n’ÉchangeÂmes pas vingt paroles; mais n’importe! quelque chose en moi-mÊme m’avertissait que nous Étions de grands amis.... Cependant les vacances approchaient. Enfin le grand jour arriva. Il Était temps; je n’y plus tenir. On distribua les prix dans ma cour, la cour des moyens.... Je la vois encore avec sa tente bariolÉe, ses murs couverts de draperies blanches, ses grands arbres verts pleins de drapeaux.... Au fond, une longue estrade oÙ Étaient installÉes les autoritÉs du collÈge dans des fauteuils en velours grenat.... Oh! L’abbÉ Germane Était sur l’estrade, lui aussi, mais il ne paraissait pas s’en douter. AllongÉ dans son fauteuil, la tÊte renversÉe, il Écoutait ses voisins d’une oreille distraite et semblait suivre de l’oeil, a travers le feuillage, la fumÉe d’une pipe imaginaire.... Au pied de l’estrade la musique, trombones et ophiclÉides, reluisant au soleil; les trois divisions entassÉes sur des bancs, avec les maÎtres en serre-file; puis, derriÈre, la cohue des parents, le professeur de seconde offrant le bras aux dames en criant: “Place! place!” et enfin, perdues au milieu de la foule, les clefs de M.Viot qui couraient d’un bout de la cour À l’autre et qu’on entendait—frinc! frinc! frinc!—À droite, À gauche, ici, partout en mÊme temps. La cÉrÉmonie commenÇa, il faisait chaud. Pas d’air sous la tente.... Ily avait de grosses dames cramoisies qui sommeillaient À l’ombre de leurs marabouts, et des messieurs chauves qui s’Épongeaient la tÊte avec des foulards ponceau. Tout Était rouge: les visages, [58] les tapis, les drapeaux, les fauteuils.... Nous eÛmes trois discours, qu’on applaudit beaucoup; mais moi, je ne les entendis pas. LÀ-haut, derriÈre la fenÊtre du premier ÉtagÉ, les yeux noirs cousaient À leur place habituelle, et mon Âme allait vers eux.... Pauvres yeux noirs! mÊme ce jour-lÀ, la fÉe aux lunettes ne les laissait pas chÔmer.... Quand le dernier nom du dernier accessit de la derniÈre classe eut ÉtÉ proclamÉ, la musique entama une marche triomphale et tout se dÉbanda. Tohu-bohu gÉnÉral. Les professeurs descendaient de l’estrade; les ÉlÈves sautaient par-dessus les bancs pour rejoindre leurs familles. Ons’embrassait, on s’appelait: “Par ici! par ici!” Les soeurs des laurÉats s’en allaient fiÈrement avec les couronnes de leurs frÈres. Les robes de soie faisaient froufrou À travers les chaises.... Immobile derriÈre un arbre, le petit Chose regardait passer les belles dames, tout malingre et tout honteux dans son habit rÂpÉ. Peu À peu la cour se dÉsemplit. A la grande porte le principal et M.Viot se tenaient debout, caressant les enfants au passage, saluant les parents jusqu’À terre. — A l’annÉe prochaine, À l’annÉe prochaine! disait le principal avec un sourire cÂlin.... Les clefs de M.Viot tintaient, pleines de caresses: “Frinc! frinc! frinc! Revenez-nous, petits amis, revenez-nous l’annÉe prochaine.” Les enfants se laissaient embrasser nÉgligemment et franchissaient l’escalier d’un bond. Ceux-lÀ montaient dans de belles voitures armoriÉes, oÙ les mÈres et les soeurs rangeaient leurs [59] grandes jupes pour faire place. Clic! clac!... Enroute vers le chÂteau!... Nous allons revoir nos parcs, nos pelouses, l’escarpolette sous les acacias, les voliÈres pleines d’oiseaux rares, la piÈce d’eau avec ses deux cygnes, et la grande terrasse À balustres oÙ l’on prend des sorbets le soir. D’autres grimpaient dans les chars À banc de famille, À cÔtÉ de jolies filles riant À belles dents sous leurs coiffes blanches. LafermiÈre conduisait avec sa chaÎne d’or autour du cou.... Fouette, Mathurine! Onretourne À la mÉtairie; on va manger des beurrÉes, boire du vin muscat, chasser À la pipÉe tout le jour et se rouler dans le foin qui sent bon! Heureux enfants! ils s’en allaient, ils partaient tous.... Ah! si j’avais pu partir moi aussi.... [Le Petit Chose breaks down owing to overstrain, and for five days is in a state of delirium. His farther, who happens to be in the neighbourhood on business, comes to see his son, and finding him in this precarious state, watches over him day and night till called away.] VIILES YEUX NOIRSAprÈs le dÉpart de son pÈre l’enfant reste seul, tout seul, dans l’infirmerie silencieuse. Ilpasse ses journÉes À lire, au fond d’un grand fauteuil roulÉ prÈs de la fenÊtre. Matin et soir la jaune Mme Cassage lui apporte ses repas. Lepetit Chose boit le bol [60] de bouillon, suce l’aileron de poulet et dit: “Merci, madame!” Rien de plus. Cette femme sent les fiÈvres et lui dÉplaÎt; il ne la regarde mÊme pas. Or, un matin qu’il vient de faire son: “Merci, madame!” tout sec comme À l’ordinaire, sans quitter son livre des yeux, il est bien ÉtonnÉ d’entendre une voix trÈs douce lui dire: “Comment cela va-t-il aujourd’hui, monsieur Daniel?” Le petit Chose lÈve la tÊte, et devinez ce qu’il voit.... Les yeux noirs, les yeux noirs en personne, immobiles et souriants devant lui!... Les yeux noirs annoncent À leur ami que la femme jaune est malade et qu’ils sont chargÉs de faire son service. Ils ajoutent en se baissant qu’ils Éprouvent beaucoup de joie À voir M.Daniel rÉtabli; puis ils se retirent avec une profonde rÉvÉrence, en disant qu’ils reviendront le mÊme soir. LemÊme soir, en effet, les yeux noirs sont revenus, et le lendemain matin aussi, et le lendemain soir encore. Lepetit Chose est ravi. IlbÉnit sa maladie, la maladie de la femme jaune, toutes les maladies du monde; si personne n’avait ÉtÉ malade, il n’aurait jamais eu de tÊte-À-tÊte avec les yeux noirs. Oh! bienheureuse infirmerie! Quelles heures charmantes le petit Chose passe dans son fauteuil de convalescent, roulÉ prÈs de la fenÊtre!... Lematin, les yeux noirs ont sous leurs grands cils un tas de paillettes d’or que le soleil fait reluire; le soir, ils resplendissent doucement et font, dans l’ombre autour d’eux, de la lumiÈre d’Étoile.... Lepetit Chose rÊvÉ aux yeux noirs toutes les nuits, il n’en dort plus. DÈs l’aube le voilÀ sur pied pour se prÉparer À les recevoir: il a tant [61] de confidences À leur faire!... Puis, quand les yeux noirs arrivent, il ne leur dit rien. Les yeux noirs ont l’air trÈs ÉtonnÉs de ce silence. Ils vont et viennent dans l’infirmerie, et trouvent mille prÉtextes pour rester prÈs du malade, espÉrant toujours qu’il se dÉcidera À parler; mais le petit Chose ne se dÉcidÉ pas. Quelquefois, cependant, il s’arme de tout son courage et commence ainsi bravement: “Mademoiselle!...” AussitÔt les yeux noirs s’allument et le regardent en souriant. Mais de les voir sourire ainsi, le malheureux perd la tÊte, et d’une voix tremblante il ajoute: “Jevous remercie de vos bontÉs pour moi.” Ou bien encore: “Lebouillon est excellent ce matin.” Alors les yeux noirs font une jolie petite moue qui signifie: “Quoi! ce n’est que cela?” Et ils s’en vont en soupirant. Quand ils sont partis, le petit Chose se dÉsespÉrÉ: “Oh! dÈs demain, dÈs demain sans faute, je leur parlerai.” Et puis, le lendemain, c’est encore À recommencer. Enfin, de guerre lasse et sentant bien qu’il n’aura jamais le courage de dire ce qu’il pense aux yeux noirs, le petit Chose se dÉcide À leur Écrire.... Un soir il demande de l’encre et du papier pour une lettre importante, oh! trÈs importante.... Les yeux noirs ont sans doute devinÉ quelle est la lettre dont il s’agit; ils sont si malins, les yeux noirs!... Vite, vite, ils courent chercher de l’encre et du papier, les posent devant le malade, et s’en vont en riant tout seuls. Le petit Chose se met À Écrire; il Écrit toute la nuit; [62] puis, quand le matin est venu, il s’aperÇoit que cette interminable lettre ne contient que trois mots, vous m’entendez bien; seulement ces trois mots sont les plus Éloquents du monde, et il compte qu’ils produiront un trÈs grand effet. Attention, maintenant!... Les yeux noirs vont venir.... Lepetit Chose est trÈs Ému; il a prÉparÉ sa lettre d’avance et se jure de la remettre dÈs qu’on arrivera.... Voici comment cela va se passer. Les yeux noirs entreront, ils poseront le bouillon et le poulet sur la table. “Bonjour, monsieur Daniel!...” Alors lui leur dira tout de suite, trÈs courageusement: “Gentils yeux noirs, voici une lettre pour vous.” Mais chut!... Un pas d’oiseau dans le corridor.... Les yeux noirs approchent.... Lepetit Chose tient la lettre À la main. Son coeur bat; il va mourir.... La porte s’ouvre.... Horreur!... A la place des yeux noirs parait la vieille fÉe, la terrible fÉe aux lunettes. Le petit Chose n’ose pas demander d’explications; mais il est consternÉ.... Pourquoi ne sont-ils pas revenus?... Ilattend le soir avec impatience.... HÉlas! le soir encore, les yeux noirs ne viennent pas, ni le lendemain non plus, ni les jours D’aprÈs, ni jamais. On a chassÉ les yeux noirs. On les a renvoyÉs aux Enfants trouvÉs, oÙ ils resteront enfermÉs pendant quatre ans, jusqu’À leur majoritÉ.... Les yeux noirs volaient du sucre!... Adieu les beaux jours de l’infirmerie! les yeux noirs s’en sont allÉs, et, pour comble de malheur, voilÀ les [63] ÉlÈves qui reviennent.... Eh, quoi! dÉjÀ la rentrÉe!... Oh! que ces vacances ont ÉtÉ courtes! Pour la premiÈre fois depuis six semaines le petit Chose descend dans les cours, pÂle, maigre, plus petit Chose que jamais.... Tout le collÈge se rÉveille. Onle lave du haut en bas. Les corridors ruissellent d’eau. FÉrocement, comme toujours, les clefs de M.Viot se dÉmÈnent. Terrible M.Viot, il a profitÉ des vacances pour ajouter quelques articles À son rÈglement et quelques clefs À son trousseau. Lepetit Chose n’a qu’À bien se tenir. Chaque jour il arrive des ÉlÈves.... Clic! clac! On revoit devant la porte les chars À bancs et les berlines de la distribution des prix.... Quelques anciens manquent À l’appel, mais des nouveaux les remplacent. Les divisions se reforment. Cette annÉe, comme l’an dernier, le petit Chose aura l’Étude des moyens. Lepauvre pion tremble dÉjÀ. AprÈs tout, qui sait? les enfants seront peut-Être moins mÉchants cette annÉe-ci. VIIIL’AFFAIRE BOUCOYRANPersonne ne se sentait en train, ni les maÎtres, ni les ÉlÈves. Ons’installait.... Apres deux grands mois de repos le collÈge avait peine À reprendre son va-et-vient habituel. Les rouages fonctionnaient mal, comme ceux d’une vieille horloge, qu’on aurait depuis longtemps [64] oubliÉ de remonter. Peu À peu, cependant, grÂce aux efforts de M.Viot, tout se rÉgularisa. Chaque jour, aux mÊmes heures, au son de la mÊme cloche, on vit de petites portes s’ouvrir dans les cours et des litanies d’enfants, roides comme des soldats de bois, dÉfiler deux par deux sous les arbres, puis la cloche sonnait encore,— ding! dong!—et les mÊmes enfants repassaient par les mÊmes petites portes! Ding! dong! Levez-vous. Ding! dong! Couchez-vous. Ding! dong! Instruisez-vous! Ding! dong! Amusez-vous. Et cela pour toute l’annÉe. Les terribles moyens m’Étaient revenus de leurs montagnes, plus laids, plus Âpres, plus fÉroces que jamais. De mon cÔtÉ j’Étais aigri; la maladie m’avait rendu nerveux et irritable; je ne pouvais plus rien supporter.... Trop doux l’annÉe prÉcÉdente, je fus trop sÉvÈre cette annÉe.... Mes punitions, À force d’Être prodiguÉes, se dÉprÉciÈrent.... Unjour je me sentis dÉbordÉ. Mon Étude Était en pleine rÉvolte, et je n’avais plus de munitions pour faire tÊte À l’Émeute. Jeme vois encore dans ma chaire, me dÉbattant au milieu des cris, des pleurs, des grognements, des sifflements: “Ala porte!... Cocorico!... kss!... kss!... Plus de tyrans!... C’est une injustice!...” Et les encriers pleuvaient, et les papiers mÂches s’Épataient sur mon pupitre, et tous ces petits monstres,—sous prÉtexte de rÉclamations,—se pendaient par grappes À ma chaire avec des hurlements de macaques. Quelquefois, en dÉsespoir de cause, j’appelais M.Viot À mon secours. Pensez quelle humiliation! [65] Quand il entrait dans l’Étude brusquement, ses clefs À la main, c’Était comme une pierre dans un Étang de grenouilles: en un clin d’oeil tout le monde se retrouvait À sa place, le nez sur les livres. Onaurait entendu voler une mouche. M.Viot se promenait un moment de long en large, agitant son trousseau de ferraille, au milieu du grand silence; puis il me regardait ironiquement et se retirait sans rien dire. J’Étais trÈs malheureux. Les maÎtres, mes collÈges, se moquaient de moi. Leprincipal, quand je le rencontrais, me faisait mauvais accueil. Pour m’achever survint l’affaire Boucoyran. Quinze ans, de gros pieds, de gros yeux, de grosses mains, pas de front, et l’allure d’un valet de ferme: tel Était M.le marquis de Boucoyran, terreur de la cour des moyens et seul Échantillon de la noblesse cÉvenole au collÈge de Sarlande. Leprincipal tenait beaucoup À cet ÉlÈve, en considÉration du vernis aristocratique que sa prÉsence donnait À l’Établissement. Dans le collÈge on ne l’appelait que “le marquis”. Tout le monde le craignait; moi-mÊme je subissais l’influence gÉnÉrale et je ne lui parlais qu’avec des mÉnagements. Pendant quelque temps nous vÉcÛmes en assez bons termes. M. le marquis avait bien par-ci par-lÀ certaines faÇons impertinentes de me regarder ou de me rÉpondre, mais j’affectais de n’y point prendre garde, sentant que j’avais affaire À forte partie. Un jour, cependant, ce faquin de marquis se permit de rÉpliquer, en pleine Étude, avec une insolence telle que je perdis toute patience. [66] — Monsieur de Boucoyran, lui dis-je en essayant de garder mon sang-froid, prenez vos livres et sortez sur-le-champ. C’Était un acte d’autoritÉ inouÏ pour ce drÔle. Il en resta stupÉfait et me regarda, sans bouger de sa place, avec des gros yeux. Je compris que je m’engageais dans une mÉchante affaire, mais j’Étais trop avancÉ pour reculer. — Sortez, monsieur de Boucoyran!... commandai-je de nouveau. Les ÉlÈves attendaient anxieux.... Pour la premiÈre fois j’avais du silence. A ma seconde injonction le marquis, revenu de sa surprise, me rÉpondÎt, il fallait voir de quel air:—“Jene sortirai pas!” Il y eut parmi toute l’Étude un murmure d’admiration. Je me levai dans ma chaire, indignÉ. — Vous ne sortirez pas, monsieur?... C’est ce que nous allons voir. Et je descendis.... Dieu m’est tÉmoin qu’a ce moment-lÀ toute idÉe de violence Était bien loin de moi; je voulais seulement intimider le marquis par la fermetÉ de mon attitude; mais, en me voyant descendre de ma chaire, il se mit À ricaner d’une faÇon si mÉprisante que j’eus le geste de le prendre au collet pour le faire sortir de son banc.... Le misÉrable tenait cachÉe sous sa tunique une Énorme rÈgle en fer. A peine eus-je levÉ la main qu’il m’assÉna sur le bras un coup terrible. Ladouleur m’arracha un cri. [67] Toute l’Étude battit des mains. — Bravo, marquis! Pour le coup je perdis la tÊte. D’un bond je fus sur la table, d’un autre, sur le marquis; et alors, le prenant À la gorge, je fis si bien, des pieds, des poings, des dents, de tout, que je l’arrachai de sa place et qu’il s’en alla rouler hors de l’Étude, jusqu’au milieu de la cour.... Cefut l’affaire d’une seconde; je ne me serais jamais cru tant de vigueur. Les ÉlÈves Étaient consternÉs. On ne criait plus: “Bravo, marquis!” Onavait peur. Boucoyran, le fort des forts, mis À la raison par ce gringalet de pion! Quelle aventure!... Jevenais de gagner en autoritÉ ce que le marquis venait de perdre en prestige. Quand je remontai dans ma chaire, pÂle encore et tremblant d’Émotion, tous les visages se penchÈrent vivement sur les pupitres. L’Étude Était matÉe. Mais le principal, M.Viot, qu’allaient-ils penser de cette affaire? Comment! j’avais osÉ lever la main sur un ÉlÈve! sur le marquis de Boucoyran! sur le noble du collÈge! Jevoulais donc me faire chasser! Ces rÉflexions, qui me venaient un peu tard, me troublÈrent dans mon triomphe. J’eus peur À mon tour. Jeme disais: “C’est sÛr, le marquis est allÉ se plaindre.” Et d’une minute À l’autre je m’attendais À voir entrer le principal. Jetremblai jusqu’À la fin de l’Étude; pourtant personne ne vint. A la rÉcrÉation je fus trÈs ÉtonnÉ de voir Boucoyran rire et jouer avec les autres. Cela me rassura un peu; et, comme toute la journÉe se passa sans encombres, je [68] m’imaginai que mon drÔle se tiendrait coi et que j’en serais quitte pour la peur. Par malheur le jeudi suivant Était jour de sortie. Lesoir M.le marquis ne rentra pas au dortoir. J’eus comme un pressentiment, et je ne dormis pas de toute la nuit. Le lendemain, À la premiÈre Étude, les ÉlÈves chuchotaient en regardant la place de Boucoyran qui restait vide. Sans en avoir l’air, je mourais d’inquiÉtude. Vers les sept heures, la porte s’ouvrit d’un coup sec. Tous les enfants se levÈrent. J’Étais perdu.... Le principal entra le premier, puis M. Viot derriÈre lui, puis enfin un grand vieux boutonnÉ jusqu’au menton dans une longue redingote, et cravatÉ d’un col de crin haut de quatre doigts. Celui-lÀ, je ne le connaissais pas, mais je compris tout de suite que c’Était M.de Boucoyran le pÈre. Iltortillait sa longue moustache et bougonnait entre ses dents. Je n’eus pas mÊme le courage de descendre de ma chaire pour faire honneur À ces messieurs; eux non plus, en entrant, ne me saluÈrent pas. Ils prirent position tous les trois au milieu de l’Étude, et, jusqu’À leur sortie, ne regardÈrent pas une seule fois de mon cÔtÉ. Ce fut le principal qui ouvrit le feu. — Messieurs, dit-il en s’adressant aux ÉlÈves, nous venons ici remplir une mission pÉnible, trÈs pÉnible. Un de vos maÎtres s’est rendu coupable d’une faute si grave qu’il est de notre devoir de lui infliger un blÂme public. [69] LÀ-dessus le voilÀ parti À m’infliger un blÂme qui dura au moins un grand quart d’heure. Tous les faits dÉnaturÉ: le marquis Était le meilleur ÉlÈve du collÈge; je l’avais brutalisÉ sans raison, sans excuse. Enfin j’avais manquÉ À tous mes devoirs. Que rÉpondre À ces accusations? De temps en temps j’essayais de me dÉfendre. “Pardon, monsieur le principal!...” Mais le principal ne m’Écoutait pas, et il m’infligea son blÂme jusqu’au bout. Apres lui M. de Boucoyran, le pÈre, prit la parole, et de quelle faÇon!... Un vÉritable rÉquisitoire. Malheureux pÈre! Onlui avait presque assassinÉ son enfant. Sur ce pauvre petit Être sans dÉfense on s’Était ruÉ comme...comme...comment dirait-il?... comme un buffle, comme un buffle sauvage. L’enfant gardait le lit depuis deux jours. Depuis deux jours sa mÈre, en larmes, le veillait.... Ah! s’il avait eu affaire À un homme, c’est lui, M.de Boucoyran le pÈre, qui se serait chargÉ de venger son enfant! Mais Onn’Était qu’un galopin dont il avait pitiÉ. Seulement qu’Onse le tint pour dit: si jamais On touchait encore À un cheveu de son fils, On se ferait couper les deux oreilles tout net.... Pendant ce beau discours les ÉlÈves riaient sous cape, et les clefs de M.Viot frÉtillaient de plaisir. Debout dans sa chaire, pÂle de rage, le pauvre On Écoutait toutes ces injures, dÉvorait toutes ces humiliations et se gardait bien de rÉpondre. SiOn avait rÉpondu, On aurait ÉtÉ chassÉ du collÈge; et alors oÙ aller? [70] Enfin, au bout d’une heure, quand ils furent À sec d’Éloquence, ces trois messieurs se retirement. DerriÈre eux il se fit dans l’Étude un grand brouhaha. J’essayai, mais vainement, d’obtenir un peu de silence; les enfants me riaient au nez. L’affaire Boucoyran avait achevÉ de tuer mon autoritÉ. Oh! ce fut une terrible affaire! Toute la ville s’en Émut.... Au Petit-Cercle, au Grand-Cercle, dans les cafÉs, À la musique, on ne parlait pas d’autre chose. Les gens bien informÉs donnaient des dÉtails À faire dresser les cheveux. Ilparait que ce maÎtre d’Étude Était un monstre, un ogre. Ilavait torturÉ l’enfant avec des raffinements inouÏs de cruautÉ. Enparlant de lui on ne disait plus que “le bourreau”. Quand le jeune Boucoyran s’ennuya de rester au lit, ses parents l’installÈrent sur une chaise longue, au plus bel endroit de leur salon, et pendant huit jours ce fut À travers ce salon une procession interminable. L’intÉressante victime Était l’objet de toutes les attentions. Vingt fois de suite on lui faisait raconter son histoire, et À chaque fois le misÉrable inventait quelque nouveau dÉtail. Les mÈres frÉmissaient; les vieilles demoiselles l’appelaient “pauvre ange”! et lui glissaient des bonbons. Lejournal de l’opposition profita de l’aventure et fulmina contre le collÈge un article terrible au profit d’un Établissement religieux des environs.... Le principal Était furieux, et, s’il ne me renvoya pas, je ne le dus qu’À la protection du recteur.... HÉlas! il eÛt mieux valu pour moi Être renvoyÉ tout de suite. [71] Ma vie dans le collÈge Était devenue impossible. Les enfants ne m’Écoutaient plus; au moindre mot, ils me menaÇaient de faire comme Boucoyran, d’aller se plaindre À leur pÈre. Jefinis par ne plus m’occuper d’eux. [In the terrible winter that followed, Le Petit Chose frequented a good deal the CafÉ Barbette. Hetook fencing lessons from Roger, who told him in confidence that he was deeply in love with a young lady, and asked him to write love-letters for him.] IXMON BON AMI LE MAÎTRE D’ARMESUn matin de ce triste hiver, comme il Était tombÉ beaucoup de neige pendant la nuit, les enfants n’avaient pas pu jouer dans les cours. AussitÔt l’Étude du matin finie, on les avait casernÉs tous pÊle-mÊle dans la salle, pour y prendre leur rÉcrÉation À l’abri du mauvais temps, en attendant l’heure des classes. C’Était moi qui les surveillais. Ce qu’on appelait la salle Était l’ancien gymnase du collÈge de la Marine. Imaginez quatre grands murs nus avec de petites fenÊtres grillÉes; ÇÀ et lÀ des crampons À moitiÉ arrachÉs, la trace encore visible des Échelles, et, se balanÇant À la maÎtresse poutre du plafond, un Énorme anneau en fer au bout d’une corde. [72] Les enfants avaient l’air de s’amuser beaucoup lÀ dedans. Ils couraient tout autour de la salle bruyamment, en faisant de la poussiÈre. Quelques-uns essayaient d’atteindre l’anneau; d’autres, suspendus par les mains, criaient; cinq ou six, de tempÉrament plus calme, mangeaient leur pain devant les fenÊtres, en regardant la neige qui remplissait les rues et les hommes armÉs de pelles qui l’emportaient dans des tombereaux. Mais tout ce tapage, je ne l’entendais pas. Seul, dans un coin, les larmes aux yeux, je lisais une lettre, et les enfants auraient À cet instant dÉmoli le gymnase de fond en comble que je ne m’en fusse pas aperÇu. C’Était une lettre de Jacques que je venais de recevoir; elle portait le timbre de Paris,—mon Dieu! oui, de Paris,—et voici ce qu’elle disait: “Cher Daniel, “Ma lettre va bien te surprendre. Tu ne te doutais pas, hein? que je fusse À Paris depuis quinze jours. J’ai quittÉ Lyon sans rien dire À personne, un coup de tÊte.... Que veux-tu? je m’ennuyais trop dans cette horrible ville, surtout depuis ton dÉpart. “Je suis arrivÉ ici avec trente francs et cinq ou six lettres de M.le curÉ de Saint-Nizier. Heureusement la Providence m’a protÈge tout de suite, et m’a fait rencontrer un vieux marquis chez lequel je suis entrÉ comme secrÉtaire. Nous mettons en ordre ses mÉmoires; je n’ai qu’À Écrire sous sa dictÉe, et je gagne À cela cent francs par mois. Cen’est pas brillant, comme tu vois; mais, tout compte fait, j’espÈre pouvoir envoyer de [73] temps en temps quelque chose À la maison sur mes Économies. “Ah! mon cher Daniel, la jolie ville que ce Paris! Ici,—du moins,—il ne fait pas toujours du brouillard; il pleut bien quelquefois, mais c’est une petite pluie gaie, mÊlÉe de soleil et comme je n’en ai jamais vu ailleurs. Aussi je suis tout changÉ, si tu savais! je ne pleure plus du tout, c’est incroyable.” J’en Étais lÀ de la lettre, quand tout À coup, sous les fenÊtres, retentit le bruit sourd d’une voiture roulant dans la neige. Lavoiture s’arrÊta devant la porte du collÈge, et j’entendis les enfants crier À tue-tÊte: “Lesous-prÉfet! le sous-prÉfet!” Une visite de M. le sous-prÉfet prÉsageait Évidemment quelque chose d’extraordinaire. Ilvenait À peine au collÈge de Sarlande une ou deux fois chaque annÉe, et c’Était alors comme un ÉvÉnement. Mais pour le quart d’heure ce qui m’intÉressait avant tout, ce qui me tenait À coeur plus que le sous-prÉfet de Sarlande et plus que Sarlande tout entier, c’Était la lettre de mon frÈre Jacques. Aussi, tandis que les ÉlÈves, mis en gaietÉ, se culbutaient devant les fenÊtres pour voir M.le sous-prÉfet descendre de voiture, je retournai dans mon coin, et je me remis À lire. “Tu sauras, mon bon Daniel, que notre pÈre est en Bretagne, oÙ il fait le commerce du cidre pour le compte d’une compagnie. Enapprenant que j’Étais le secrÉtaire du marquis, il a voulu que je place quelques tonneaux de cidre chez lui. Par malheur le marquis ne boit que du vin, et du vin d’Espagne, encore! J’ai [74] Écrit cela au pÈre; sais-tu ce qu’il m’a rÉpondu:—Jacques, tu es un Âne! — comme toujours. Mais c’est Égal, mon cher Daniel, je crois qu’au fond il m’aime beaucoup. “Quant À maman, tu sais qu’elle est seule maintenant. Tu devrais bien lui Écrire, elle se plaint de ton silence. “J’avais oubliÉ de te dire une chose qui, certainement, te fera le plus grand plaisir: j’ai ma chambre au Quartier latin ... au Quartier latin! pense un peu!... une vraie chambre de poÈte, comme dans les romans, avec une petite fenÊtre et des toits À perte de vue. Lelit n’est pas large, mais nous y tiendrons deux au besoin; et puis, il y a dans un coin une table de travail oÙ on serait trÈs bien pour faire des vers. “Je suis sÛr que, si tu voyais cela, tu voudrais venir me trouver au plus vite; moi aussi je te voudrais prÈs de moi, et je ne te dis pas que quelque jour je ne te ferai pas signe de venir. “En attendant, aime-moi toujours bien et ne travaille pas trop dans ton collÈge, de peur de tomber malade. “Je t’embrasse. Ton frÈre, JACQUES.” A ce moment la cloche sonna. Mes ÉlÈves se mirent en rang, ils causaient beaucoup du sous-prÉfet et se montraient en passant sa voiture stationnant devant la porte. Jeles remis entre les mains des professeurs; puis, une fois dÉbarrassÉ d’eux, je m’ÉlanÇai en courant dans l’escalier. Ilme tardait [75] tant d’Être seul dans ma chambre avec la lettre de mon frÈre Jacques! — Monsieur Daniel, on vous attend chez le principal. Chez le principal!... Que pouvait avoir À me dire le principal?... Leportier me regardait avec un drÔle d’air. Tout À coup l’idÉe du sous-prÉfet me revint. — Est-ce que M. le sous-prÉfet est lÀ-haut? demandai-je. Et le coeur palpitant d’espoir je me mis À gravir les degrÉs de l’escalier quatre À quatre. Il y a des jours oÙ l’on est comme fou. En apprenant que le sous-prÉfet m’attendait, savez-vous ce que j’imaginai? Jem’imaginai qu’il avait remarquÉ ma bonne mine À la distribution, et qu’il venait au collÈge tout exprÈs pour m’offrir d’Être son secrÉtaire. Cela me paraissait la chose la plus naturelle du monde. Lalettre de Jacques avec ses histoires de vieux marquis m’avait troublÉ la cervelle, À coup sur. Quoi qu’il en soit, À mesure que je montais l’escalier, ma certitude devenait plus grande: secrÉtaire du sous-prÉfet; je ne me sentais pas de joie.... En tournant le corridor, je rencontrai Roger. Il Était trÈs pÂle; il me regarda comme s’il voulait me parler; mais je ne m’arrÊtai pas: le sous-prÉfet n’avait pas le temps d’attendre. Quand j’arrivai devant le cabinet du principal, le coeur me battait bien fort, je vous jure. SecrÉtaire de M.le sous-prÉfet! Ilfallut m’arrÊter un instant pour reprendre haleine; je rajustai ma cravate, je donnai avec mes doigts un petit tour À mes cheveux et je tournai le bouton de la porte doucement. [76] Si j’avais su ce qui m’attendait! M. le sous-prÉfet Était debout, appuyÉ nÉgligemment au marbre de la cheminÉe et souriant dans ses favoris blonds. M.le principal, en robe de chambre, se tenait prÈs de lui humblement, son bonnet de velours À la main, et M.Viot, appelÉ en hÂte, se dissimulait dans un coin. DÈs que j’entrai, le sous-prÉfet prit la parole. — C’est donc Monsieur, dit-il en me dÉsignant, qui s’amuse À Écrire À nos femmes de chambre? Il avait prononcÉ cette phrase d’une voix claire, ironique et sans cesser de sourire. Jecrus d’abord qu’il voulait plaisanter et je ne rÉpondis rien, mais le sous-prÉfet ne plaisantait pas; aprÈs un moment de silence, il reprit en souriant toujours: — N’est-ce pas À monsieur Daniel Eyssette que j’ai l’honneur de parler, À monsieur Daniel Eyssette qui a Écrit À la femme de chambre de ma femme? Je ne savais de quoi il s’agissait; mais en entendant ce mot de femme de chambre, qu’on me jetait ainsi À la figure pour la seconde fois, je me sentis rouge de honte, et ce fut avec une vÉritable indignation que je m’Écriai: — Une femme de chambre, moi!... A cette rÉponse, je vis un Éclair de mÉpris jaillir des lunettes du principal, et j’entendis les clefs murmurer dans leur coin: “Quelle effronterie!” Le sous-prÉfet, lui, ne cessait pas de sourire; il prit sur la tablette de la cheminÉe un petit paquet de papiers que je n’avais pas aperÇus d’abord, puis se tournant vers moi et les agitant nÉgligemment: — Monsieur, dit-il, voici des tÉmoignages fort [77] graves qui vous accusent. Cesont des lettres qu’on a surprises chez la demoiselle en question. Elles ne sont pas signÉes, il est vrai, et, d’un autre cÔtÉ, la femme de chambre n’a voulu nommer personne. Seulement dans ces lettres il est souvent parlÉ du collÈge, et, malheureusement pour vous, M.Viot a reconnu votre Écriture et votre style.... Ici les clefs grincÈrent fÉrocement et le sous-prÉfet, souriant toujours, ajouta: — Tout le monde n’est pas poÈte au collÈge de Sarlande. A ces mots une idÉe fugitive me traversa l’esprit: je voulus voir de prÈs ces papiers, je m’ÉlanÇai; le principal eut peur d’un scandale et fit un geste pour me retenir. Mais le sous-prÉfet me tendit le dossier tranquillement. — Regardez! me dit-il. MisÉricorde! ma correspondance avec CÉcilia. — Eh bien! qu’en dites-vous, seigneur don Juan? ricana le sous-prÉfet, aprÈs un moment de silence. Est-ce que ces lettres sont de vous, oui ou non? Au lieu de rÉpondre, je baissai la tÊte. Un mot pouvait me disculper; mais ce mot, je ne le prononÇai pas. J’Étais prÊt À tout souffrir plutÔt que de dÉnoncer Roger.... Car remarquez bien qu’au milieu de cette catastrophe le petit Chose n’avait pas un seul instant soupÇonnÉ la loyautÉ de son ami. Enreconnaissant les lettres, il s’Était dit tout de suite: “Roger aura eu la paresse de ne pas les recopier; il a mieux aimÉ faire une partie de billard de plus et envoyer les miennes.” Quel innocent, ce petit Chose! [78] Quand le sous-prÉfet vit que je ne voulais pas rÉpondre, il remit les lettres dans sa poche, et, se tournant vers le principal et son acolyte: — Maintenant, messieurs, vous savez ce qui vous reste À faire. Sur quoi les clefs de M. Viot frÉtillÈrent d’un air lugubre, et le principal rÉpondit, en s’inclinant jusqu’À terre, “que M.Eyssette avait mÉritÉ d’Être chassÉ sur l’heure, mais qu’afin d’Éviter tout scandale, on le garderait au collÈge encore huit jours”. Juste le temps de faire venir un nouveau maÎtre. A ce terrible mot “chassÉ”, tout mon courage m’abandonna. Jesaluai sans rien dire, et je sortis prÉcipitamment. Apeine dehors, mes larmes ÉclatÈrent.... Jecourus d’un trait jusqu’À ma chambre, en Étouffant mes sanglots dans mon mouchoir.... Roger m’attendait; il avait l’air fort inquiet et se promenait À grands pas, de long en large. En me voyant entrer, il vint vers moi: — Monsieur Daniel!... me dit-il, et son oeil m’interrogeait. Jeme laissai tomber sur une chaise sans rÉpondre. — Des pleurs, des enfantillages! reprit le maÎtre d’armes d’un ton brutal, tout cela ne prouve rien. Voyons... vite!... Que s’est-il passÉ? Alors je lui racontai dans tous ses dÉtails toute l’horrible scÈne du cabinet. A mesure que je parlais, je voyais la physionomie de Roger s’Éclaircir; il ne me regardait plus du mÊme air rogue, et À la fin, quand il eut appris comment, pour ne pas le trahir, je m’Étais laissÉ chasser du [79] collÈge, il me tendit ses deux mains ouvertes et me dit simplement: — Daniel, vous Êtes un noble coeur. A ce moment nous entendÎmes dans la rue le roulement d’une voiture; c’Était le sous-prÉfet qui s’en allait. — Vous Êtes un noble coeur, reprit mon bon ami le maÎtre d’armes en me serrant les poignets À les briser, vous Êtes un noble coeur, je ne vous dis que Ça.... Mais vous devez comprendre que je ne permettrai À personne de se sacrifier pour moi. Tout en parlant, il s’Était rapprochÉ de la porte: — Ne pleurez pas, monsieur Daniel, je vais aller trouver le principal, et je vous jure bien que ce n’est pas vous qui serez chassÉ. Il fit encore un pas pour sortir; puis, revenant vers moi comme s’il oubliait quelque chose: — Seulement, me dit-il À voix basse, Écoutez bien ceci avant que je m’en aille.... Legrand Roger n’est pas seul au monde; il À quelque part une mÈre infirme, dans un coin.... Une mÈre!... pauvre sainte femme.... Promettez-moi de lui Écrire quand tout sera fini. C’Était dit gravement, tranquillement, d’un ton qui m’effraya. — Mais que voulez-vous faire? m’Écriai-je. Roger ne rÉpondit rien; seulement il entr’ouvrit sa veste et me laissa voir dans sa poche la crosse luisante d’un pistolet. Je m’ÉlanÇai vers lui, tout Ému: — Vous tuer, malheureux, vous voulez vous tuer? [80] Et lui, trÈs froidement: — Mon cher, quand j’Étais au service, je m’Étais promis que si jamais, par un coup de ma mauvaise tÊte, je venais À me faire dÉgrader, je ne survivrais pas À mon dÉshonneur. Lemoment est venu de me tenir parole.... En entendant cela, je me plantai rÉsolument devant la porte. — Eh bien, non! Roger, vous ne sortirez pas.... J’aime mieux perdre ma place que d’Être cause de votre mort. — Laissez-moi faire mon devoir, me dit-il d’un air farouche, et, malgrÉ mes efforts, il parvint À entrouvrir la porte. Alors j’eus l’idÉe de lui parler de sa mÈre, de cette pauvre mÈre qu’il avait quelque part, dans un coin. Jelui prouvai qu’il devait vivre pour elle, que moi j’Étais À mÊme de trouver facilement une autre place, que d’ailleurs, dans tous les cas, nous avions encore huit jours devant nous, et que c’Était bien le moins qu’on attendit jusqu’au dernier moment avant de prendre un parti si terrible.... Cette derniÈre rÉflexion parut le toucher. Ilconsentit À retarder de quelques heures sa visite au principal et ce qui devait s’ensuivre. Sur ces entrefaites la cloche sonna; nous nous embrassÂmes, et je descendis À l’École. Ce que c’est que de nous! J’Étais entrÉ dans ma chambre dÉsespÉrÉ, j’en sortis presque joyeux.... Lepetit Chose Était si fier d’avoir sauvÉ la vie À son bon ami le maÎtre d’armes! Pourtant, il faut bien le dire, une fois assis dans ma chaire et le premier [81] mouvement de l’enthousiasme passÉ, je me mis À faire des rÉflexions. Roger consentait À vivre, c’Était bien; mais moi-mÊme, qu’allais-je devenir aprÈs que mon beau dÉvouement m’aurait mis À la porte du collÈge? La situation n’Était pas gaie, je voyais dÉjÀ le foyer singuliÈrement compromis, ma mÈre en larmes, et M.Eyssette bien en colÈre. Heureusement je pensai À Jacques; quelle bonne idÉe sa lettre avait eue d’arriver prÉcisÉment le matin! C’Était bien simple, aprÈs tout; ne m’Écrivait-il pas que dans son lit il y avait place pour deux? D’ailleurs, À Paris, on trouve toujours de quoi vivre.... Ici, une pensÉe horrible m’arrÊta: pour partir il fallait de l’argent; celui du chemin de fer d’abord, puis cinquante-huit francs que je devais au portier, puis dix francs qu’un grand m’avait prÊtÉs, puis des sommes Énormes inscrites À mon nom sur le livre de compte du cafÉ Barbette. Lemoyen de se procurer tout cet argent? — Bah! me dis-je en y songeant, je me trouve bien naÏf de m’inquiÉter pour si peu; Roger n’est-il pas lÀ? Roger est riche, il donne des leÇons en ville, et il sera trop heureux de me procurer quelque cent francs, À moi qui viens de lui sauver la vie. Mes affaires ainsi rÉglÉes, j’oubliai toutes les catastrophes de la journÉe pour ne songer qu’À mon grand voyage de Paris. J’Étais trÈs joyeux, je ne tenais plus en place, et M.Viot, qui descendit À l’Étude pour savourer mon dÉsespoir, eut l’air fort dÉÇu en voyant ma mine rÉjouie. AdÎner, je mangeai vite et bien; dans la cour, [82] je pardonnai les arrÊts des ÉlÈves. Enfin l’heure de la classe sonna. Leplus pressant Était de voir Roger; d’un bond je fus À sa chambre; personne À sa chambre. “Bon! me dis-je en moi-mÊme, il sera allÉ faire un tour au cafÉ Barbette”, et cela ne m’Étonna pas dans des circonstances aussi dramatiques. Au cafÉ Barbette personne encore: “Roger, me dit-on, Était allÉ À la Prairie avec les sous-officiers.” Que diable pouvaient-ils faire lÀ-bas par un temps pareil? JecommenÇais À Être fort inquiet; aussi, sans vouloir accepter une partie de billard qu’on m’offrait, je relevai le bas de mon pantalon et je m’ÉlanÇai dans la neige, du cÔtÉ de la Prairie, À la recherche de mon bon ami le maÎtre d’armes. XL’ANNEAU DE FERDes portes de Sarlande À la Prairie il y À bien une bonne demi-lieue, mais, du train dont j’allais, je dus ce jour-lÀ faire le trajet en moins d’un quart d’heure. Jetremblais pour Roger. J’avais peur que le pauvre garÇon n’eÛt, malgrÉ sa promesse, tout racontÉ au principal pendant l’Étude; je croyais voir encore luire la crosse de son pistolet. Cette pensÉe lugubre me donnait des ailes. Pourtant, de distance en distance, j’apercevais sur la [83] neige la trace de pas nombreux allant vers la Prairie, et de songer que le maÎtre d’armes n’Était pas seul, cela me rassurait un peu. Alors, ralentissant ma course, je pensais À Paris, À Jacques, À mon dÉpart.... Mais au bout d’un instant mes terreurs recommenÇaient. — Roger va se tuer Évidemment. Que serait-il venu chercher, sans cela, dans cet endroit dÉsert, loin de la ville? S’il amÈne avec lui ses amis du cafÉ Barbette, c’est pour leur faire ses adieux, pour boire le coup de l’Étrier, comme ils disent.... Oh! ces militaires!... Et me voilÀ courant de nouveau À perdre haleine. Heureusement j’approchais de la Prairie dont j’apercevais dÉjÀ les grands arbres chargÉs de neige. “Pauvre ami, me disais-je, pourvu que j’arrive À temps!” La trace des pas me conduisit ainsi jusqu’À la guinguette d’EspÉron. Cette guinguette Était un endroit louche et de mauvais renom, oÙ les dÉbauchÉs de Sarlande faisaient leurs parties fines. J’y Étais venu plus d’une fois en compagnie des nobles coeurs, mais jamais je ne lui avais trouvÉ une physionomie aussi sinistre que ce jour-lÀ. Jaune et sale, au milieu de la blancheur immaculÉe de la plaine, elle se dÉrobait, avec sa porte basse, ses murs dÉcrÉpis et ses fenÊtres aux vitres mal lavÉes, derriÈre un taillis de petits ormes. Lamaisonnette avait l’air honteuse du vilain mÉtier qu’elle faisait. Comme j’approchais, j’entendis un bruit joyeux de voix, de rires et de verres choquÉs. — Grand Dieu! me dis-je en frÉmissant, c’est le [84] coup de l’Étrier. Et je m’arrÊtai pour reprendre haleine. Je me trouvais alors sur le DerriÈre de la guinguette; je poussai une porte À claire-voie, et j’entrai dans le jardin. Quel jardin! Une grande haie dÉpouillÉe, des massifs de lilas sans feuilles, des tas de balayures sur la neige, et des tonnelles toutes blanches qui ressemblaient À des huttes d’esquimaux. Cela Était d’un triste À faire pleurer. Le tapage venait de la salle du rez-de-chaussÉe, et la ripaille devait chauffer À ce moment, car, malgrÉ le froid, on avait ouvert toutes grandes les deux fenÊtres. Je posais dÉjÀ le pied sur la premiÈre marche du perron, lorsque j’entendis quelque chose qui m’arrÊta net et me glaÇa: c’Était mon nom prononcÉ au milieu de grands Éclats de rires. Roger parlait de moi, et, chose singuliÈre, chaque fois que le nom de Daniel Eyssette revenait, les autres riaient À se tordre. PoussÉ par une curiositÉ douloureuse, sentant bien que j’allais apprendre quelque chose d’extraordinaire, je me rejetai en arriÈre et, sans Être entendu de personne, grÂce À la neige qui assourdissait comme un tapis le bruit de mes pas, je me glissai dans une des tonnelles, qui se trouvait fort À propos juste au-dessous des fenÊtres. Je la reverrai toute ma vie, cette tonnelle; je reverrai toute ma vie la verdure morte qui la tapissait, son sol boueux et sale, sa petite table peinte en vert et ses bancs de bois tout ruisselants d’eau.... Atravers la neige dont elle Était chargÉe, le jour passait À peine; la [85] neige fondait lentement et tombait sur ma tÊte goutte À goutte. C’est lÀ, c’est dans cette tonnelle noire et froide comme un tombeau que j’ai appris combien les hommes peuvent Être mÉchants et lÂches; c’est lÀ que j’ai appris À douter, À mÉpriser, À haÏr.... Ô vous qui me lisez, Dieu vous garde d’entrer jamais dans cette tonnelle!... Debout, retenant mon souffle, rouge de colÈre et de honte, j’Écoutais ce qui se disait chez EspÉron. Mon bon ami le maÎtre d’armes avait toujours la parole.... Ilracontait l’aventure de CÉcilia, la correspondance amoureuse, la visite de M.le sous-prÉfet au collÈge, tout cela avec des enjolivements et des gestes qui devaient Être bien comiques, À en juger par les transports de l’auditoire. — Vous comprenez, mes petits amours, disait-il de sa voix goguenarde, qu’on n’a pas jouÉ pour rien la comÉdie pendant trois ans sur le thÉÂtre des zouaves. Vrai comme je vous parle! j’ai cru un moment la partie perdue, et je me suis dit que je ne viendrais plus boire avec vous le bon vin du pÈre EspÉron.... Lepetit Eyssette n’avait rien dit, c’est vrai; mais il Était temps de parler encore, et, entre nous, je crois qu’il voulait seulement me laisser l’honneur de me dÉnoncer moi-mÊme. Alors je me suis dit: “Ayons l’oeil, Roger, et en avant la grande scÈne!” LÀ-dessus mon bon ami le maÎtre d’armes se mit À jouer ce qu’il appelait la grande scÈne, c’est-À-dire ce qui s’Était passÉ le matin dans ma chambre entre lui et moi. Ah! le misÉrable! il n’oublia rien.... Ilcriait: Ma mÈre! ma pauvre mÈre! avec des intonations de [86] thÉÂtre. Puis il imitait ma voix: “Non, Roger! non! vous ne sortirez pas!...” Lagrande scÈne Était rÉellement d’un haut comique, et tout l’auditoire se roulait. Moi, je sentais de grosses larmes ruisseler le long de mes joues, j’avais le frisson, les oreilles me tintaient, je devinais toute l’odieuse comÉdie du matin, je comprenais vaguement que Roger avait fait exprÈs d’envoyer mes lettres pour se mettre À l’abri de toute mÉsaventure, que depuis vingt ans sa mÈre, sa pauvre mÈre, Était morte, et que j’avais pris l’Étui de sa pipe pour une crosse de pistolet. — Et la belle CÉcilia? dit un noble coeur. — CÉcilia n’a pas parlÉ, elle a fait ses malles, c’est une bonne fille. — Et le petit Daniel, que va-t-il devenir? — Bah! rÉpondit Roger. Ici, un geste qui fit rire tout le monde. Cet Éclat de rire me mit hors de moi. J’eus envie de sortir de la tonnelle et d’apparaÎtre soudainement au milieu d’eux comme un spectre. Mais je me contins: j’avais dÉjÀ ÉtÉ assez ridicule. Le rÔti arrivait, les verres se choquÈrent: — A Roger! À Roger! criait-on. Je n’y tins plus, je souffrais trop. Sans m’inquiÉter si quelqu’un pouvait me voir, je m’ÉlanÇai À travers le jardin. D’un bond je franchis la porte À claire-voie et je me mis À courir devant moi comme un fou. La nuit tombait, silencieuse; et cet immense champ de neige prenait dans la demi-obscuritÉ du crÉpuscule je ne sais quel aspect de profonde mÉlancolie. Je courus ainsi quelque temps comme un cabri [87] blessÉ; et si les coeurs qui se brisent et qui saignent Étaient autre chose que des faÇons de parler, À l’usage des poÈtes, je vous jure qu’on aurait pu trouver derriÈre moi, sur la plaine blanche, une longue trace de sang. Je me sentais perdu. OÙ trouver de l’argent? Comment m’en aller? Comment rejoindre mon frÈre Jacques? DÉnoncer Roger ne m’aurait mÊme servi de rien.... Ilpouvait nier, maintenant que CÉcilia Était partie. Enfin accablÉ, ÉpuisÉ de fatigue et de douleur, je me laissai tomber dans la neige au pied d’un chÂtaignier. Jeserais restÉ lÀ jusqu’au lendemain peut-Être, pleurant et n’ayant pas la force de penser, quand tout À coup, bien loin, bien loin, du cÔtÉ de Sarlande, j’entendis une cloche sonner. C’Était la cloche du collÈge. J’avais tout oubliÉ; cette cloche me rappela À la vie: il me fallait rentrer et surveiller la rÉcrÉation des ÉlÈves dans la salle.... Enpensant À la salle, une idÉe subite me vint. Sur-le-champ mes larmes s’arrÊtÈrent; je me sentis plus fort, plus calme. Jeme levai, et, de ce pas dÉlibÉrÉ de l’homme qui vient de prendre une irrÉvocable dÉcision, je repris le chemin de Sarlande. Si vous voulez savoir quelle irrÉvocable dÉcision vient de prendre le petit Chose, suivez-le jusqu’À Sarlande, À travers cette grande plaine blanche; suivez-le dans les rues sombres et boueuses de la ville; suivez-le sous le porche du collÈge; suivez-le dans la salle pendant la rÉcrÉation, et remarquez avec quelle singuliÈre persistance il regarde le gros anneau de fer qui se balance au milieu; la rÉcrÉation finie, suivez-le encore [88] jusqu’À l’Étude, montez avec lui dans sa chaire, et lisez par-dessus son Épaule cette lettre douloureuse qu’il est en train d’Écrire au milieu du vacarme et des enfants ameutes: “Monsieur Jacques Eyssette, rue Bonaparte, À Paris. “Pardonne-moi, mon bien-aimÉ Jacques, la douleur que je viens te causer. Toi qui ne pleurais plus, je vais te faire pleurer encore une fois; ce sera la derniÈre, par exemple.... Quand tu recevras cette lettre, ton pauvre Daniel sera mort....” Ici le vacarme de l’Étude redouble; le petit Chose s’interrompt et distribue quelques punitions de droite et de gauche, mais gravement, sans colÈre. Puis il continue: “Vois-tu, Jacques, j’Étais trop malheureux. Je ne pouvais pas faire autrement que de me tuer. Mon avenir est perdu: on m’a chassÉ du collÈge; puis, j’ai fait des dettes, je ne sais plus travailler, j’ai honte, je m’ennuie, j’ai le dÉgoÛt, la vie me fait peur.... J’aime mieux m’en aller.... “Adieu, Jacques! J’en aurais encore long À te dire, mais je sens que je vais pleurer, et les ÉlÈves me regardent. Dis À maman que j’ai glissÉ du haut d’un rocher, en promenade, ou bien que je me suis noyÉ en patinant. Enfin, invente une histoire, mais que la pauvre femme ignore toujours la vÉritÉ!... Embrasse-la bien pour moi, cette chÈre mÈre; embrasse aussi notre pÈre, et tÂche de leur reconstruire vite un beau foyer.... Adieu! je t’aime. Souviens-toi de Daniel.” [89] Cette lettre terminÉe, le petit Chose en commence tout de suite une autre ainsi conÇue: “Monsieur l’abbÉ, je vous prie de faire parvenir À mon frÈre Jacques la lettre que je laisse pour lui. EnmÊme temps vous couperez de mes cheveux, et vous en ferez un petit paquet pour ma mÈre. “Je vous demande pardon du mal que je vous donne. Je me suis tuÉ parce que j’Étais trop malheureux ici. Vous seul, monsieur l’abbÉ, vous Êtes toujours montrÉ trÈs bon pour moi. Jevous en remercie. DANIEL EYSSETTE.” AprÈs quoi le petit Chose met cette lettre et celle de Jacques sous une mÊme grande enveloppe, avec cette suscription: “Lapersonne qui trouvera la premiÈre mon cadavre est priÉe de remettre ce pli entre les mains de l’abbÉ Germane.” Puis, toutes ses affaires terminÉes, il attend tranquillement la fin de l’Étude. L’Étude est finie. On soupe, on fait la priÈre, on monte au dortoir. Les ÉlÈves se couchent; le petit Chose se promÈne de long en large, attendant qu’ils soient endormis. Voici maintenant M.Viot qui fait sa ronde; on entend le cliquetis mystÉrieux de ses clefs et le bruit sourd de ses chaussons sur le parquet.—“Bonsoir, monsieur Viot!” murmure le petit Chose.—“Bonsoir, monsieur!” rÉpond À voix basse le surveillant; puis il s’Éloigne, ses pas se perdent dans le corridor. Le petit Chose est seul. Il ouvre la porte doucement et s’arrÊte un instant sur le palier pour voir si les [90] ÉlÈves ne se rÉveillent pas; mais tout est tranquille dans le dortoir. Alors il descend, il se glisse À petits pas dans l’ombre des murs. Latramontane souffle tristement par-dessous les portes. Au bas de l’escalier, en passant devant le pÉristyle, il aperÇoit la cour blanche de neige, entre ses quatre grands corps de logis tout sombres. LÀ-haut, prÈs des toits, veille une lumiÈre: c’est l’abbÉ Germane qui travaille À son grand ouvrage. Du fond de son coeur le petit Chose envoie un dernier adieu, bien sincÈre À ce bon abbÉ; puis il entre dans la salle.... Le vieux gymnase de l’École de marine est plein d’une ombre froide et sinistre. Par les grillages d’une fenÊtre un peu de lune descend et vient donner en plein sur le gros anneau de fer,—oh! cet anneau, le petit Chose ne fait qu’y penser depuis des heures,—sur le gros anneau de fer qui reluit comme de l’argent.... Dans un coin de la salle un vieil escabeau dormait. Lepetit Chose va le prendre, le porte sous l’anneau, et monte dessus; il ne s’est pas trompÉ, c’est juste À la hauteur qu’il faut. Alors il dÉtache sa cravate, une longue cravate en soie violette qu’il porte chiffonnÉe autour de son cou, comme un ruban. Ilattache la cravate À l’anneau et fait un noeud coulant.... Une heure sonne. Allons! il faut mourir.... Avec des mains qui tremblent le petit Chose ouvre le noeud coulant. Une sorte de fiÈvre le transporte. Adieu, Jacques! Adieu, Mme Eyssette!... Tout À coup un poignet de fer s’abat sur lui. Ilse sent saisi par le milieu du corps et plantÉ debout sur ses pieds, au bas de l’escabeau. EnmÊme temps une voix [91] rude et narquoise, qu’il connaÎt bien, lui dit: “EnvoilÀ une idÉe, de faire du trapÈze À cette heure!” Le petit Chose se retourne, stupÉfait. C’est l’abbÉ Germane, l’abbÉ Germane sans sa soutane, en culotte courte, avec son rabat flottant sur son gilet. Sa belle figure laide sourit tristement, À demi ÉclairÉe par la lune.... Une seule main lui À suffi pour mettre le suicidÉ par terre; de l’autre main il tient encore sa carafe, qu’il vient de remplir À la fontaine de la cour. De voir la tÊte effarÉe et les yeux pleins de larmes du petit Chose, l’abbÉ Germane À cessÉ de sourire, et il rÉpÈte, mais cette fois d’une voix douce et presque attendrie: — Quelle drÔle d’idÉe, mon cher Daniel, de faire du trapÈze À cette heure! Le petit Chose est tout rouge, tout interdit. — Je ne fais pas du trapÈze, monsieur l’abbÉ, je veux mourir. — Comment!... mourir?... Tu as donc bien du chagrin? — Oh!... rÉpond le petit Chose avec de grosses larmes brÛlantes qui roulent sur ses joues. — Daniel, tu vas venir avec moi, dit l’abbÉ. Le petit Daniel fait signe que non et montre l’anneau de fer avec la cravate.... L’abbÉ Germane le prend par la main: “Voyons! monte dans ma chambre; si tu veux te tuer, eh bien! tu te tueras lÀ-haut: il y À du feu, il fait bon.” Mais le petit Chose rÉsiste: “Laissez-moi mourir, monsieur l’abbÉ. Vous n’avez pas le droit de m’empÊcher de mourir.” [92] Un Éclair de colÈre passe dans les yeux du prÊtre: “Ah! c’est comme cela!” dit-il. Et prenant brusquement le petit Chose par la ceinture, il l’emporte sous son bras comme un paquet, malgrÉ sa rÉsistance et ses supplications.... Nous voici maintenant chez l’abbÉ Germane: un grand feu brille dans la cheminÉe; prÈs du feu, il y a une table avec une lampe allumÉe, des pipes et des tas de papier chargÉs de pattes de mouche. Le petit Chose est assis au coin de la cheminÉe. Ilest trÈs agitÉ, il parle beaucoup, il raconte sa vie, ses malheurs et pourquoi il a voulu en finir. L’abbÉ l’Écoute en souriant; puis, quand l’enfant a bien parlÉ, bien pleurÉ, bien dÉgonflÉ son pauvre coeur malade, le brave homme lui prend les mains et lui dit trÈs tranquillement: — Tout cela n’est rien, mon garÇon, et tu aurais ÉtÉ joliment bÊte de te mettre À mort pour si peu. Ton histoire est fort simple: on t’a chassÉ du collÈge,—ce qui, par parenthÈse, est un grand bonheur pour toi.... —eh bien! il faut partir, partir tout de suite, sans attendre tes huit jours.... Ton voyage, tes dettes, ne t’en inquiÈte pas! je m’en charge.... L’argent que tu voulais emprunter À ce coquin, c’est moi qui te le prÊterai. Nous rÈglerons tout cela demain.... AprÉsent plus un mot! j’ai besoin de travailler, et tu as besoin de dormir.... Seulement je ne veux pas que tu retournes dans ton affreux dortoir: tu aurais froid, tu aurais peur; tu vas te coucher dans mon lit de beaux draps blancs de ce matin!... Moi, j’Écrirai toute la nuit, et si le sommeil me prend, je m’Étendrai sur le canapÉ.... Bonsoir! ne me parle plus. [93] Le petit Chose se couche, il ne rÉsiste pas.... Tout ce qui lui arrive lui fait l’effet d’un rÊve. Que d’ÉvÉnements dans une journÉe! Avoir ÉtÉ si prÈs de la mort, et se retrouver au fond d’un bon lit, dans cette chambre tranquille et tiÈde!... Comme le petit Chose est bien!... De temps en temps, en ouvrant les yeux, il voit sous la clartÉ douce de l’abat-jour le bon abbÉ Germane qui, tout en fumant, fait courir sa plume, À petit bruit, du haut en bas des feuilles blanches.... ...Je fus rÉveillÉ le lendemain matin par l’abbÉ qui me frappait sur l’Épaule. J’avais tout oubliÉ en dormant.... Cala fit beaucoup rire mon sauveur. — Allons! mon garÇon, me dit-il, la cloche sonne, dÉpÊche-toi; personne ne se sera aperÇu de rien, va prendre tes ÉlÈves comme À l’ordinaire; pendant la rÉcrÉation du dÉjeuner je t’attendrai ici pour causer. La mÉmoire me revint tout d’un coup. Je voulais le remercier; mais positivement le bon abbÉ me mit À la porte. Si l’Étude me parut longue, je n’ai pas besoin de vous le dire.... Les ÉlÈves n’Étaient pas encore dans la cour, que dÉjÀ je frappais chez l’abbÉ Germane. Jele retrouvai devant son bureau, les tiroirs grands ouverts, occupÉ À compter des piÈces d’or, qu’il alignait soigneusement par petits tas. Au bruit que je fis en rentrant il retourna la tÊte, puis se remit À son travail, sans rien me dire; quand il eut fini, il referma ses tiroirs, et me faisant signe de la main avec un bon sourire: — Tout ceci est pour toi, me dit-il. J’ai fait ton compte. Voici pour le voyage, voici pour le portier, voici pour le cafÉ Barbette, [94] voici pour l’ÉlÈve qui t’a prÊtÉ dix francs.... J’avais mis cet argent de cÔtÉ pour faire un remplaÇant À Cadet; mais Cadet ne tire au sort que dans six ans, et d’ici lÀ nous nous serons revus. Je voulus parler, mais ce diable d’homme ne m’en laissa pas le temps: “A prÉsent, mon garÇon, fais-moi tes adieux... voilÀ ma classe qui sonne, et quand j’en sortirai, je ne veux plus te retrouver ici. L’air de cette Bastille ne te vaut rien.... File vite À Paris, travaille bien, prie le Bon Dieu, fume des pipes, et tÂche d’Être un homme. —Tu m’entends, tÂche d’Être un homme. —Car vois-tu! mon petit Daniel, tu n’es encore qu’un enfant, et mÊme j’ai bien peur que tu ne sois un enfant toute ta vie.” LÀ-dessus il m’ouvrit les bras avec un sourire divin; mais, moi, je me jetai À ses genoux en sanglotant. Ilme releva et m’embrassa sur les deux joues. La cloche sonnait le dernier coup. — Bon! voilÀ que je suis en retard, dit-il en rassemblant À la hÂte ses livres et ses cahiers. Comme il allait sortir, il se retourna encore vers moi: — J’ai bien un frÈre À Paris, moi aussi, un brave homme de prÊtre, que tu pourrais aller voir.... Mais, bah! À moitiÉ fou comme tu l’es, tu n’aurais qu’À oublier son adresse....—Et, sans en dire davantage, il se mit À descendre l’escalier À grands pas. Sa soutane flottait derriÈre lui; de la main droite il tenait sa calotte, et, sous le bras gauche, il portait un gros paquet de papiers et de bouquins.... Bon abbÉ Germane! Avant de m’en aller, je jetai un dernier regard autour de sa chambre; je contemplai une derniÈre fois la grande [95] bibliothÈque, la petite table, le feu À demi Éteint, le fauteuil oÙ j’avais tant pleurÉ, le lit oÙ j’avais dormi si bien; et, songeant À cette existence mystÉrieuse dans laquelle je devinais tant de courage, de bontÉ cachÉe, de dÉvouement et de rÉsignation, je ne pus m’empÊcher de rougir de mes lÂchetÉs, et je me fis le serment de me rappeler toujours l’abbÉ Germane. En attendant, le temps passait.... J’avais ma malle À faire, mes dettes À payer, ma place À retenir À la diligence.... Au moment de sortir, j’aperÇus sur un coin de la cheminÉe plusieurs vieilles pipes toutes noires. Jepris la plus vieille, la plus noire, la plus courte, et je la mis dans ma poche comme une relique; puis je descendis. En bas, la porte du vieux gymnase Était encore entr’ouverte. Jene pus m’empÊcher d’y jeter un regard en passant, et ce que je vis me fit frissonner. Je vis la grande salle sombre et froide, l’anneau de fer qui reluisait, et ma cravate violette, avec son noeud coulant, qui se balanÇait dans le courant d’air au-dessus de l’escabeau renversÉ. XILES CLEFS DE M. VIOTComme je sortais du collÈge À grandes enjambÉes, encore tout Ému de l’horrible spectacle que je venais d’avoir, la loge du portier s’ouvrit brusquement, et j’entendis qu’on m’appelait: [96] — Monsieur Eyssette! monsieur Eyssette! C’Était le maÎtre du cafÉ Barbette et son digne ami M.Cassagne, l’air effarÉ, presque insolents. Le cafetier parla le premier. — Est-ce vrai que vous partez, monsieur Eyssette? — Oui, monsieur Barbette, rÉpondis-je tranquillement, je pars aujourd’hui mÊme. M. Barbette fit un bond, M. Cassagne en fit un autre; mais le bond de M.Barbette fut bien plus fort que celui de M.Cassagne, parce que je lui devais beaucoup d’argent. — Comment! aujourd’hui mÊme! — Aujourd’hui mÊme, et je cours de ce pas retenir ma place À la diligence. Je crus qu’ils allaient me sauter À la gorge. — Et mon argent? dit M. Barbette. — Et le mien? hurla M. Cassagne. Sans rÉpondre, j’entrai dans la loge, et tirant gravement, À pleines mains, les belles piÈces d’or de l’abbÉ Germane, je me mis À leur compter sur le bout de la table ce que je leur devais À tous les deux. Ce fut un coup de thÉÂtre! Les deux figures renfrognÉes se dÉridÈrent, comme par magie.... Quand ils eurent empochÉ leur argent, un peu honteux des craintes qu’ils m’avaient montrÉes, et tout joyeux d’Être payÉs, ils s’ÉpanchÈrent en compliments de condolÉance et en protestations d’amitiÉ: — Vraiment, monsieur Eyssette, vous nous quittez? Oh! quel dommage! Quelle perte pour la maison! Et puis des oh! des ah! des hÉlas! des soupirs, des poignÉes de main, des larmes ÉtoffÉes.... [97] La veille encore j’aurais pu me laisser prendre À ces dehors d’amitiÉ, mais maintenant j’Étais ferrÉ À glace sur les questions de sentiment. Le quart d’heure passÉ sous la tonnelle m’avait appris À connaÎtre les hommes,—du moins je le croyais ainsi,—et plus ces affreux gargotiers se montraient affables, plus ils m’inspiraient de dÉgoÛt. Aussi, coupant court À leurs effusions ridicules, je sortis du collÈge et m’en allai bien vite retenir ma place À la bienheureuse diligence qui devait m’emporter loin de tous ces monstres. En revenant du bureau des messageries, je passai devant le cafÉ Barbette, mais je n’entrai pas; l’endroit me faisait horreur. Seulement, poussÉ par je ne sais quelle curiositÉ malsaine, je regardai À travers les vitres.... LecafÉ Était plein de monde. Les nobles coeurs Étaient au complet, il ne manquait que le maÎtre d’armes. Je regardai un moment ces grosses faces rouges je m’enfuis.... Or, comme je m’acheminais vers le collÈge, suivi d’un homme de la diligence pour emporter ma malle, je vis venir sur la place le maÎtre d’armes, sÉmillant, une badine À la main, le feutre sur l’oreille, mirant sa moustache fine dans ses belles bottes vernies.... De loin je le regardais avec admiration en me disant: “Quel dommage qu’un si bel homme porte une si vilaine Âme!...” Lui, de son cÔtÉ, m’avait aperÇu et venait vers moi avec un bon sourire bien loyal et deux grands bras ouverts.... — Je vous cherchais, me dit-il.... Qu’est-ce que j’apprends? Vous... [98] Il s’arrÊta net. Mon regard lui cloua ses phrases menteuses sur les lÈvres. Et dans ce regard qui le fixait d’aplomb, en face, le misÉrable dut lire bien des choses, car je le vis tout À coup pÂlir, balbutier, perdre contenance; mais ce ne fut que l’affaire d’un instant: il reprit aussitÔt son air flambant, planta dans mes yeux deux yeux froids et brillants comme l’acier, et, fourrant ses mains au fond de ses poches d’un air rÉsolu, il s’Éloigna en murmurant que ceux qui nÉ seraient pas contents n’auraient qu’À venir le lui dire.... Bandit, va! Quand je rentrai au collÈge, les ÉlÈves Étaient en classe. Nous montÂmes dans ma mansarde. L’homme chargea la malle sur ses Épaules et descendit. Moi, je restai encore quelques instants dans cette chambre glaciale, regardant les murs nus et salis, le pupitre noir tout dÉchiquetÉ, et, par la fenÊtre Étroite, les platanes des cours qui montraient leurs tÊtes couvertes de neige.... Enmoi-mÊme je disais adieu À tout ce monde. A ce moment j’entendis une voix de tonnerre qui grondait dans les classes: c’Était la voix de l’abbÉ Germane. Elle me rÉchauffa le coeur et fit venir au bord des cils quelques bonnes larmes. AprÈs quoi je descendis lentement, regardant attentif autour de moi, comme pour emporter dans mes yeux l’image, toute l’image, de ces lieux que je ne devais plus jamais revoir. C’est ainsi que je traversai les longs corridors À hautes fenÊtres grillagÉes oÙ les yeux noirs m’Étaient apparus pour la premiÈre fois. Dieu vous protÈge, mes chers yeux noirs!... Jepassai aussi [99] devant le cabinet du principal, avec sa double porte mystÉrieuse; puis, À quelques pas plus loin, devant le cabinet de M.Viot.... LÀ je m’arrÊtai subitement.... Ô joie, Ô dÉlices! les clefs, les terribles clefs pendaient À la serrure, et le vent les faisait doucement frÉtiller. Jeles regardai avec une sorte de terreur religieuse; puis, tout À coup, une idÉe de vengeance me vint. TraÎtreusement, d’une main sacrilÈge, je retirai le trousseau de la serrure, et, le cachant sous ma redingote, je descendis l’escalier quatre À quatre. Il y avait au bout de la cour des moyens un puits trÈs profond. J’y courus d’une haleine.... A cette heure la cour Était dÉserte; la fÉe aux lunettes n’avait pas encore relevÉ son rideau. Tout favorisait mon crime. Alors, tirant les clefs de dessous mon habit, ces misÉrables clefs qui m’avaient tant fait souffrir, je les jetai dans le puits de toutes mes forces.... Frinc! frinc! frinc! Jeles entendis dÉgringoler, rebondir contre les parois, et tomber lourdement dans l’eau qui se referma sur elles; ce forfait commis, je m’Éloignai souriant. Sous le porche, en sortant du collÈge, la derniÈre personne que je rencontrai fut M.Viot, mais un M.Viot sans ses clefs, hagard, effarÉ, courant de droite et de gauche. Quand il passa prÈs de moi, il me regarda un moment avec angoisse. Lemalheureux avait envie de me demander si je ne les avais pas vues. Mais il n’osa pas.... Ace moment le portier lui criait du haut de l’escalier, en se penchant: — Monsieur Viot, je ne les trouve pas! J’entendis l’homme aux clefs faire tout bas: [100] — Oh! mon Dieu! Et il partit comme un fou À la dÉcouverte. J’aurais ÉtÉ heureux de jouir plus longtemps de ce spectacle, mais le clairon de la diligence sonnait sur la place d’Armes, et je ne voulais pas qu’on partit sans moi. Et maintenant, adieu pour toujours, grand collÈge enfumÉ, fait de vieux fer et de pierres noires; adieu, vilains enfants! adieu, rÈglement fÉroce! Lepetit Chose s’envole et ne reviendra plus. Et vous, marquis de Boucoyran, estimez-vous heureux: on s’en va, sans vous allonger ce fameux coup d’ÉpÉe, si longtemps mÉditÉ avec les nobles coeurs du cafÉ Barbette.... Fouette, cocher! Sonne, trompette! Bonne vieille diligence, fais feu de tes quatre roues, emporte le petit Chose au galop de tes trois chevaux.... Emporte-le bien vite dans sa ville natale, pour qu’il embrasse sa mÈre chez l’oncle Baptiste, et qu’ensuite il mette le cap sur Paris et rejoigne au plus vite Eyssette (Jacques) dans sa chambre du Quartier latin!... XIIL’ONCLE BAPTISTEUn singulier type d’homme que cet oncle Baptiste, le frÈre de Mme Eyssette! Ni bon ni mÉchant, mariÉ de bonne heure À un grand gendarme de femme avare et maigre qui lui faisait peur, ce vieil enfant n’avait [101] qu’une passion au monde: la passion du coloriage. Depuis quelque quarante ans il vivait entourÉ de godets, de pinceaux, de couleurs, et passait son temps À colorier des images de journaux illustrÉs. Lamaison Était pleine de vieilles Illustrations! de vieux Charivaris! de vieux Magasins pittoresques! de cartes gÉographiques! tout cela fortement enluminÉ. MÊme dans ses jours de disette, quand la tante lui refusait de l’argent pour acheter des journaux À images, il arrivait À mon oncle de colorier des livres. Ceci est historique: j’ai tenu dans mes mains une grammaire espagnole que mon oncle avait mis en couleurs d’un bout À l’autre, les adjectifs en bleu, les substantifs en rose, etc.... C’est entre ce vieux maniaque et sa fÉroce moitiÉ que Mme Eyssette Était obligÉe de vivre depuis six mois. Lamalheureuse femme passait toutes ses journÉes dans la chambre de son frÈre, assise À cÔtÉ de lui et s’ingÉniait À Être utile. Elle essuyait les pinceaux, mettait de l’eau dans les godets.... Leplus triste, c’est que, depuis notre ruine, l’oncle Baptiste avait un profond mÉpris pour M.Eyssette, et que du matin au soir la pauvre mÈre Était condamnÉe À entendre dire: “Eyssette n’est pas sÉrieux! Eyssette n’est pas sÉrieux!” Ah! le vieil imbÉcile! il fallait voir de quel air sentencieux et convaincu il disait cela, en coloriant sa grammaire espagnole! Depuis j’en ai souvent rencontrÉ dans la vie, de ces hommes soi-disant trÈs graves, qui passaient leur temps À colorier des grammaires espagnoles et trouvaient que les autres n’Étaient pas sÉrieux. Tous ces dÉtails sur l’oncle Baptiste et l’existence lugubre que Mme Eyssette menait chez lui, je ne les [102] connus que plus tard; pourtant, dÈs mon arrivÉe dans la maison, je compris que, quoi qu’elle en dit, ma mÈre ne devait pas Être heureuse.... Quand j’entrai, on venait de se mettre À table pour le dÎner. Mme Eyssette bondit de joie en me voyant, et, comme vous pensez, elle embrassa son petit Chose de toutes ses forces. Cependant la pauvre mÈre avait l’air gÊnÉe; elle parlait peu,—toujours sa petite voix douce et tremblante, les yeux dans son assiette. Elle faisait peine À voir avec sa robe ÉtriquÉe et toute noire. L’accueil de mon oncle et de ma tante fut trÈs froid. Ma tante me demanda d’un air effrayÉ si j’avais dÎnÉ. Jeme hÂtai de rÉpondre que oui.... Latante respira; elle avait tremblÉ un instant pour son dÎner. Joli, le dÎner! des pois chiches et de la morue. L’oncle Baptiste, lui, me demanda si nous Étions en vacances.... JerÉpondis que je quittais l’UniversitÉ, et que j’allais À Paris rejoindre mon frÈre Jacques, qui m’avait trouvÉ une bonne place. J’inventai ce mensonge pour rassurer la pauvre Mme Eyssette sur mon avenir, et puis aussi pour avoir l’air sÉrieux aux yeux de mon oncle. En apprenant que le petit Chose avait une bonne place, la tante Baptiste ouvrit de grands yeux. — Daniel, dit-elle, il faudra faire venir ta mÈre À Paris.... Lapauvre chÈre femme s’ennuie loin de ses enfants; et puis, tu comprends! c’est une charge pour nous, et ton oncle ne peut pas toujours Être la vache À lait de la famille. — Le fait est, dit l’oncle Baptiste, la bouche pleine, que je suis la vache À lait.... [103] Cette expression de vache À lait l’avait ravi, et il la rÉpÉta plusieurs fois avec la mÊme gravitÉ.... Le dÎner fut long, comme entre vieilles gens. Ma mÈre mangeait peu, m’adressait quelques paroles et me regardait À la dÉrobÉe; ma tante la surveillait. — Vois ta soeur! disait-elle À son mari, la joie de retrouver Daniel lui coupe l’appÉtit. Hier elle a pris deux fois du pain, aujourd’hui une fois seulement. Ah! chÈre madame Eyssette! comme j’aurais voulu vous emporter ce soir-lÀ, comme j’aurais voulu vous arracher À cette impitoyable vache À lait, et À son Épouse; mais, hÉlas! je m’en allais au hasard moi-mÊme, ayant juste de quoi payer ma route, et je pensais bien que la chambre de Jacques n’Était pas assez grande pour nous tenir tous les trois. Encore si j’avais pu vous parler, vous embrasser À mon aise; mais non! On ne nous laissa pas seuls une minute.... Rappelez-vous: tout de suite aprÈs dÎner l’oncle se remit À sa grammaire espagnole, la tante essuyait son argenterie, et tous deux ils nous Épiaient du coin de l’oeil.... L’heure du dÉpart arriva, sans que nous eussions rien pu nous dire. Aussi le petit Chose avait le coeur bien gros, quand il sortit de chez l’oncle Baptiste; et en s’en allant, tout seul, dans l’ombre de la grande avenue qui mÈne au chemin de fer, il se jura deux ou trois fois trÈs solennellement de se conduire dÉsormais comme un homme et de ne plus songer qu’À reconstruire le foyer. NOTES
(chapter i. full=i) oupÉ ‘the seat facing thehorses,’ and hence the most expensive; (2) l’intÉrieur, the seat inside’; (3) la rotonde, ‘the back seat’; (4) l’impÉriale, a word now used for the top of an omnibus or tramway. 29. pour le quart d’heure, ‘at present,’ just now.’ M. le principal. ‘the headmaster.’ In French it is usual to prefix monsieur, madame, mademoiselle, etc., when speaking of a person to whom respect is due. Thus Monsieur votre pÈre, Madame votre mÈre, but of course you would not say Monsieur mon pÈre. 11. le fait est que: see note, p. 14 l. 31. 14. Veillon l’aÎnÉ, ‘Veillon major.’ 30. avant 89: i.e. before the French Revolution of 1789. 10. tout au fond, ‘right at the end.’ 22. pÂlotte et sÈche, ‘rather pale and wizen.’ 27. pour le coup: see note, p. 5 l. 19. 16. surveillant gÉnÉral: the duty of this official is not to teach but to supervise, i.e. to go round the school and see that masters and boys are doing their respective duties. 21. grinÇaient, ‘jingled.’ Lit. grincer=‘to grind,’ ‘gnash.’ frinc! ‘clink!’ 26. s’agitÈrent, ‘rattled.’ 28. allons donc! ‘nonsense!’ 4. tutelle, ‘protection.’ Tuteur, tutrice=‘guardian’; ‘tutor’=prÉcepteur. 8. sa bienveillance m’Était acquise, ‘Icould certainly rely upon his kindness.’ 11. il fallait les entendre, ‘you should have heard them.’ avec frÉnÉsie, ‘frantically.’ 15. couchiez: note coucher, ‘to spend the night’; se coucher, ‘to go to bed.’ 21. le rÈglement de la maison, ‘a copy of the school rules.’ 28. un peu de lune, ‘a moonbeam.’ 29. s’orienter, ‘to find one’s bearings’; lit. to find out where you are in relation to the ‘orient’ or ‘east’ and the other cardinal points. 3. si rapide qu’elle eÛt ÉtÉ: note this use of si . . que instead of quelque . . que, ‘however.’ In all such concessive sentences the subjunctive is necessary. 7. lunettes, ‘spectacles’; la lunette=telescope.’ 23. mince affaire, ‘easy matter.’ 26. disposition, ‘disposal,’ not ‘disposition,’ which in French is generally rendered by le caractÈre or le naturel. 29. avait l’air trÈs bon enfant, ‘looked a very good fellow.’ Distinguish— il a l’air bon, ‘he looks kind.’ il a bon air, ‘he looks gentlemanly.’ 30. chemin faisant, ‘on the way.’ acheva de: trans. by an adverb, ‘completely.’ 5. force poignÉes de main, ‘a good deal of hand-shaking.’ What part of speech is force? 16. plus de toit . . plus do foyer: see note, p. 13 l. 9. Foyer=‘hearth,’ and in some phrases is used for ‘home.’ 18. misÈre: not ‘misery.’ 20. À lui tout seul, ‘all by himself.’ 24. se mettre au courant de, ‘to post himself up in.’ 26. de la propre main de M. Viot, ‘in M. Viot’s own hand-writing.’ servants and professional men. 17. ou bien, ‘or else.’ 21. parbleu! c’est bien le cas de dire . . ‘by Jove! one may indeed say . .’ 25. en rit: rire and sourire with À imply greeting, with de derision. 28. pour avoir seulement quelques pouces de plus, ‘to have been so much as a few inches taller.’ 30. Ça ne fait rien, ‘never mind,’ ‘no matter.’ 31. pour passer sous la mÊme toise, ‘to be measured by the same standard.’ Toise ‘fathom,’ an old length measure about 6 ft. 5 in., used for measuring the height of conscripts. from an Indian word meaning ‘five,’ so called from its five ingredients, viz. spirit, water, lemon, sugar and spice. It is also called ‘contradiction,’ because it is composed of spirit to make it strong, water to make it weak, lemon juice to make it sour, and sugar to make it sweet. 4. je veux que vous en soyez: cf. Êtes-vous des nÔtres? ‘are you one of our party?’ or ‘won’t you join us?’ 14. le ban et l’arriÈre-ban des habituÉs, ‘the whole body of the frequenters.’ The ban in the Middle Ages=the immediate vassals of the king, i.e. those under his banner; the arriÈre-ban=the reserve force, composed of older citizens, who did not take up arms except in moments of peril. 17. À dire vrai, ‘to tell the truth.’ Cf. À tout prendre, ‘upon the whole’; À bien regarder, ‘on close consideration.’ 28. en somme, vous Êtes bien tombÉ, ‘on the whole you have fallen on your feet.’ 29. absinthe: a plant having a somewhat strong smell and bitter taste. It is used for medicinal purposes, and also for the preparation of the liqueur known as ‘absinthe.’ 30. À la boÎte: cf. baraque, p. 25 l. 9. 31. vous ne serez pas trop mal, ‘you will not be too badly off.’ ‘the middle school.’ 3. qu’on mÈne À la baguette, ‘that you can rule with a rod of iron.’ 4. mÉchant. Note— un mÉchant homme, ‘a bad or wicked man.’ un homme mÉchant, ‘a mischievous or spiteful man.’ Cf. note, p. 24 l. 23. 6. pÈre Viot, ‘old Viot.’ 11. les fonctions d’Économe, ‘the duties of a bursar.’ 15. fÉe, ‘old hag’ or ‘old witch.’ 24. confidences, ‘secrets.’ 27. parlant haut: see note, p. 17 l. 16. 7. un file de famille en rupture de ban, ‘a youth of good family, who had gone the pace a bit’; lit. ‘escaped from banishment.’< s!’ 8. sur l’heure: see note, p. 8 l. 10. 15. d’un trait, lit. ‘at a stretch,’ i.e. ‘without stopping.’ 8. me serrant les poignets À les briser: see note, p. 70 l. 11. 9. je ne vous dis que Ça, ‘that is all I have to say.’ of military service. Distinguish from Être de service, ‘to be on duty,’ ‘be in attendance’; se mettre en service, ‘to go into service.’ 3. par un coup de ma mauvaise tÊte, ‘by any quick-tempered act of mine.’ 17. Être À mÊme de, ‘to be in a position to,’ ‘be able to.’ 20. c’Était bien le moins qu’on attendit, ‘the least one could do was to wait.’ 27. ce que c’est que de nous! see note, p. 41 l. 6. j’ai de quoi payer le voyage, ‘Ihave enough to pay for the journey.’ il n’y a pas de quoi rire, ‘it is no laughing matter.’ il n’y a pas de quoi! ‘don’t mention it!’ 19. le moyen de: see note, p. 13 l. 10. 10. que diable pouvaient-ils faire? ‘whatever could they be doing?’ (chapter x. full=xii) 18. du train dont j’allais, ‘judging from the rate at which I was walking’; cf.— À fond de train ‘at full speed.’ il nous a menÉs bon train, ‘he brought us along at a great rate.’ je dus faire le trajet, ‘I must have covered the ground.’ Highlands to a guest on leaving, when his feet are already in the stirrups. It is sometimes called the ‘parting cup,’ or in the north of the Highlands ‘the cup at the door.’ 12. et me voilÀ courant, ‘and I started to run.’ À perdre haleine: see note, p. 99 l. 12. 15. pourvu que: see note, p. 15 l. 30. 17. conduisit: remember that to ‘take’ a person somewhere is conduire or mener, not prendre. 19. louche, ‘of doubtful reputation.’ 11. la ripaille devait chauffer, ‘the revelry must have reached its climax.’ 12. toutes grandes, ‘quite wide.’ When is the adverb tout variable? 19. riaient À se tordre, ‘were splitting with laughter’; see note, p. 70 l. 11. 25. fort À propos: see note, p. 55 l. 31. 15. auditoire, ‘audience’; the French audience=‘official reception,’ e.g. le roi lui a donnÉ audience. 18. des zouaves: the Zouaves are a body of French infantry serving in Algeria. They are famous for their fearless courage. 19. la partie perdue, ‘the game was up.’ 25. ayons l’oeil, Roger, et en avant la grands scÈne! ‘come, Roger, bestir yourself; now is the time for the grand scene.’ 7. avait fait exprÈs d’envoyer . . ., ‘had purposely sent . . .’ 18. me mit hors de moi, ‘enraged me.’ 24. je n’y tins plus: see note, p. 57 l. 5. 29. je ne sais quel: see note, p. 47 l. 24. 21. j’en aurais encore long À te dire, ‘there is a good deal more I could say to you.’ 24. ou bien, ‘or else.’ 26. ignorer: not ‘to ignore,’ which in French is mÉconnaÎtre or faire semblant de ne pas connaÎtre. j’ai de vos livres, ‘Ihave some of your books.’ 22. attendant qu’ils soient...: note the subjunctive and the use of que instead of jusqu’À ce que after attendre. under cover of the walls.’ 6. pÉristyle: a range of pillars surrounding a courtyard or an edifice. 14. un peu de lune descend et vient donner en plein sur . . ., ‘a moonbeam comes down and shines full upon . . .’ 16. ne fait qu’y penser depuis des heures, ‘has done nothing but think about it for hours past’; note— il ne fit que le toucher, ‘he only touched it.’ il ne fait que manger, ‘he does nothing but eat.’ il ne fait que de sortir, ‘he has just gone out.’ il n’a que faire de sortir, ‘he has no occasion to go out.’ on the trapeze’; en is redundant, cf. note, p. 3 l. 31. 8. suicidÉ, ‘would-be suicide.’ 12. en finir, ‘to put an end to himself.’ 13. a bien parlÉ, bien pleurÉ, bien dÉgonflÉ son pauvre coeur malade, ‘has sobbed and told all and unburdened his poor aching heart.’ 19. un grand bonheur, ‘a great stroke of luck.’ 20. sans attendre tes huit jours, ‘without waiting till your week’s notice is up.’ 30. J’ai fait ton compte, ‘Ihave portioned it out for you.’ 3. faire un remplaÇant, ‘to provide a substitute.’ Formerly recruits were taken by lot from the conscription-list, and anyone who drew a losing number could pay another, who was called a remplaÇant, to take his place. Under the present law, however, every able-bodied Frenchman must serve as a soldier. ne tire au sort que dans six ans, ‘has not to draw lots for six years.’ 4. d’ici lÀ, ‘before that time.’ 8. l’air de cette Bastille ne te vaut rien, ‘the air of this prison is not good for you.’ The Bastille, the famous State prison in Paris, was stormed on July 14, 1789, by the Revolutionists and razed to the ground. (chapter xi. full=xiii) 23. À grandes enjambÉes: cf. À grands pas. What does the suffix -Ée APPENDIX I.—WORDS AND PHRASES FOR VIVA VOCE DRILL I. WORDS AND PHRASESFOR VIVA VOCE DRILLNote.—This Appendix gives primary and ordinary meaning of words,and therefore does not in every case supply the best term to be used in the translation of the text. Some words and phrases are intentionally inserted several times. It is suggested that the phrases should be said in different persons and tenses, to insure variety and practice. All nouns to be given with definite or indefinite article to show the gender. Abbreviation.—sg.=‘something.’
II. QUESTIONNAIREI (pp. 1—4)1. OÙ et quand suis-je nÉ? II (pp. 5—8)1. Quelle Était la singularitÉ de mon frÈre Jacques? III (pp. 9—12)1. OÙ courus-je À leur dÉpart et À quoi passai-je le reste du jour? IV (pp. 13—16)1. Que criait le capitaine, et que me dit M. Eyssette? 3. Pourquoi la vieille Annou poussa-t-elle un cri de dÉtresse en s’installant dans la cuisine? 4. Que fit-on pour se dÉbarrasser des babarottes? 5. Dites quelques mots sur les promenades de la famille Eyssette le dimanche. 6. Quand et pourquoi dut-on renvoyer Annou? 7. Que fit la pauvre fille en arrivant dans le Midi? 8. Qui s’occupa du mÉnage aprÈs son dÉpart? 9. Pourquoi M. Eyssette abreuvait-il Jacques de taloches? 10. Que lui disait-il tout le temps? 11. Racontez la scÈne de la cruche en faisant parler les personnages. 12. A quelle Époque nos parents songÈrent-ils À nos Études? 13. De qui M. Eyssette reÇut-il un jour une lettre? 14. Que lui Écrivait son ami? 15. Pourquoi mon pÈre garda-t-il Jacques avec lui? 16. Qu’est-ce qui me frappa À mon arrivÉe au collÈge? V (pp. 17—20)1. Que dirent les ÉlÈves quand j’entrai dans la classe? VI (pp. 21—24)1. Donnez quelques dÉtails sur la vie de la famille Eyssette pendant les quatre on cinq annÉes suivantes. 2. DÉcrivez le petit Chose au moment oÙ il achevait sa philosophie. 3. Qu’arriva-t-il un matin qu’il se disposait À aller en classe? 4. Quelle mauvaise nouvelle lui apprit son pÈre? 5. Par quoi fut-il interrompu? 6. Qu’expliqua-t-il au petit Chose? 7. Qu’est-ce qu’il avait dÉcidÉ? 8. Que lui avait Écrit le recteur? 9. Que dit le petit Chose aprÈs avoir lu la lettre? 10. Par quel bateau partit-il? 11. Qu’est-ce qui Égaya un peu son dÉpart? 12. Pourquoi ne pleura-t-il pas? 13. Quel fut son premier soin en arrivant dans sa villa natale? 14. DÉcrivez le recteur. 15. Quelle exclamation poussa-t-il en voyant son protÉgÉ? 16. Que pensa celui-ci? VII (pp. 25—28)1. Que lui dit aussitÔt le recteur? VIII (pp. 29—32)1. Pourquoi fut-il stupÉfait en arrivant devant la fabrique? IX (pp. 33—36)1. Que finit par me dire la principal, aprÈs avoir lu et relu la lettre que je lui ramis? 15. Quels furent les sentiments du petit Chose en se trouvant seul dans sa chambre d’hÔtel? 16. Quelle rÉsolution prit-il? X (pp. 37—40)1. Que contenait le rÈglement de M. Viot? XI (pp. 41—44)1. Quel fut l’effet de cette histoire? XII (pp. 45—48)1. OÙ se trouvait ma chambre? XIII (pp. 49—52)1. Que fis-je alors? XIV (pp. 53—56)1. OÙ et comment vivait-il? XV (pp. 57—60)1. Comment la cour des moyens Était-elle ornÉe le jour de la distribution des prix? XVI (pp. 61—64)1. Dans quel espoir les yeux noirs s’attardent-ils souvent dans l’infirmerie? XVII (pp. 65—68)1. Qu’arrivait-il lorsque M. Viot y entrait? 5. Pourquoi vÉcÛmes-nous, le marquis et moi, en assez bons termes pendant quelque temps? 6. Que lui dis-je un jour qu’il se montra par trop insolent? 7. Comment reÇut-il cet acte d’autoritÉ? 8. Que rÉpondit-il À ma seconde injonction, et que fis-je alors? 9. Quelle Était mon intention? 10. Que fit-il lorsque j’eus le geste de le prendre au collet? 11. De quelle faÇon rÉpondis-je À son attaque? 12. Quelles rÉflexions me troublÈrent dans mon triomphe? 13. Qu’est-ce qui me rassura un peu? 14. Pourquoi eus-je un triste pressentiment le jeudi suivant? 15. Qui entra dans mon Étude le lendemain? 16. Que dit le principal aux ÉlÈves? XVIII (pp. 69—72)1. Que me dit-il ensuite, À moi? 15. Pourquoi ne me serais-je aperÇu de rien s’ils avaient dÉmoli le gymnase de fond en comble? 16. Que m’apprenait Jacques dans sa lettre? XIX (pp. 73—76)1. Que ma disait-il de Paris? XX (pp. 77—80)1. Qu’est-ce qu’avait dÉclarÉ M. Viot? XXI (pp. 81—84)1. Quelles furent mes rÉflexions, une fois le premier mouvement d’enthousiasme passÉ? XXII (pp. 85—88)1. Qu’ai-je appris dans la tonnelle oÙ je me dissimulais? XXIII (pp. 89—92)1. Qu’Écrivis-je tout de suite aprÈs À l’abbÉ Germane? XXIV (pp. 93—96)1. OÙ passai-je la nuit? XXV (pp. 97—100)1. Pourquoi ne me laissai-je pas prendre À leurs protestations d’amitiÉ? 9. Pourquoi restai-je quelques instants dans ma mansarde avant de la quitter pour toujours? 10. Qu’est-ce qui me rÉchauffa le coeur? 11. Que fis-je en passant devant le cabinet de M. Viot? 12. OÙ courus-je alors, et pourquoi? 13. Que faisait M. Viot lorsque je le rencontrai en sortant du collÈge? 14. Pourquoi le marquis de Boucoyran devait-il s’estimer heureux de mon dÉpart? 15. OÙ devais-je m’arrÊter en route, et pourquoi? 16. Qu’Était-ce que l’oncle Baptiste, et qui avait-il ÉpousÉ? XXVI (pp. 101—103)1. Comment vivait-il depuis quarante ans? 8. Que rÉpondis-je À l’oncle Baptiste, lorsqu’il me demanda si nous Étions en vacances? 9. Pourquoi inventai-je cette histoire? 10. Que me dit alors ma tante? 11. Que dit-elle À son mari en voyant que ma mÈre mangeait À peine? 12. Qu’aurais-je voulu faire ce soir-lÀ? 13. Pourquoi avais-je le coeur gros en sortant de chez l’oncle Baptiste? 14. Qu’est-ce que je me jurai solennellement? III. SENTENCES ON SYNTAX AND IDIOMSFOR VIVA VOCE PRACTICEI (pp. 1—5)1. There it was that I came into the world and spent the first years of my life. II (pp. 6—10)1. All that occurred on that day I still remember as if it had happened yesterday. 3. Although he played his part very well, if he had been asked what Robinson was, he would have been at a loss to answer. 4. My first business, on coming in, was to tell him that he must henceforth keep at home. 5. The richer one is, the more cares one has. 6. I tried in vain to make him say what was the matter with him. 7. The parrot, which my uncle had given me to be rid of its incessant talking, persisted in not speaking as soon as it was mine. 8. I had barely time to throw myself flat on my face behind a clump of oleanders. 9. I thought I recognized the porter’s voice, which reassured me a little. 10. We were greatly afraid that they might chance to discover our hiding-place. 11. What would have become of us if they had remained a few minutes longer? 12. Luckily for him, nothing of the sort happened. 13. At the end of half an hour they retired without even suspecting that the island was inhabited. 14. As soon as they had gone, I ran and shut myself up in my hut. 15. My father, who had gone on before, had already been in Lyons for a week. III (pp. 11—15)1. I should have liked that day to have lasted for ever. 7. The poor girl, who loved my mother passionately, could not make up her mind to leave us. 8. We had to put her on board by force, and as soon as she arrived in the south, she married there from sheer despair. 9. My parents did not take another servant, which seemed to me the depth of poverty. 10. If you are not happy, I assure you that I am not either. 11. Everybody had at length taken a dislike to him. 12. It is no use your telling him not to do it, he will do it all the same. 13. Why do you not want me to go with them? 14. I hope (use a conjunction instead of a verb) nothing has happened to him! IV (pp. 16—20)1. Where are the children? Go and see what has become of them. 2. We had been in Lyons for about two months when our parents thought of our studies. 3. What struck me most on my arrival was that I was the only one that wore a blouse. 4. The master at once took a violent dislike to me. 5. When he spoke to him, it was always in a most off-hand manner. 6. What do you call these flowers? How nice they smell! 7. The covers of his books were always torn, and sometimes there were pages missing. 8. Nobody will blame you if you really do your best. 9. I have just received your favour of the eighth instant. 10. From time to time the door was gently opened, and she entered on tiptoe. 11. Having double-locked the door, he came to me with a mysterious air. 12. By way of answer he took a red copy-book from under his jacket. 13. How gladly I would have fallen upon his neck, had Idared! 14. The first four lines only were done so far. 15. The rest, which he said was but a matter of time, he was never able to manage. 16. Do what he would, the poet never got farther than these four lines. V (pp. 21—25)1. Let us talk of something else, if you have no objection. 3. If I pass over in silence this portion of my life, the reader will lose nothing by not knowing it. 4. It was always the same story, business not prospering, the rent in arrears, the plate in pawn. 5. Having said this, M. Eyssette senior began to walk with big strides without speaking. 6. I have only succeeded in getting us over head and ears in debt. 7. To get out of it, you have only one decision to come to. 8. From what I see, there is no time to be lost. 9. “Are you not acquainted with what is going on?” he asked, heaving a deep sigh. 10. It was not without difficulty that he at length tore himself away from his friends’ embraces. 11. Travelling by himself and earning his living, he felt a grown-up man. 12. His father’s friend was a fine old man, with nothing about him savouring of the pedant. 13. If you wish to please me, you will not lose sight of him. 14. Thereupon he ran down the stairs four steps at a time. 15. This first duty accomplished, he went in quest of a public-house within his means. VI (pp. 26—30)1. “This is just what I want,” said he to himself. 12. A few people were waiting for the coach on the parade-ground, walking to and fro in front of the office. 13. The whole town seemed to have been asleep for years. 14. As soon as I knocked, the door opened of its own accord. 15. A porter, holding a big lantern in his hand, came up to me with a sleepy look. 16. He had promised us that he would come as soon as he had finished what he was doing. VII (pp. 31—35)1. A tall handsome fellow with a fair moustache was sipping a glass of brandy by the side of a short thin woman as yellow as a quince. 2. “The gentleman is so short,” said he, pointing to me, “that I mistook him at first for a pupil.” 3. Thereupon they began to speak in a low voice, casting sidelong glances at me. 4. Right at the back of the study a man was writing by the pale light of a lamp. 5. When he had finished his work, the headmaster turned to me. 6. “Why! this is a child!” he exclaimed; “what do they want me to do with a child?” 7. After reading the letter he told me that he consented to keep me, although he had fears as to my inexperience. 8. The main point is that the thing should be done at once. 9. I could have wished him to have had a thousand hands in order to kiss them all. 10. A man with red whiskers had just entered the room without anyone having heard him. 11. “If you stir, little scamp,” said he, “beware!” 12. I was wandering in the dark, trying to find my bearings, when Iheard some one coming to meet me. 13. However powerful they may be, we do not fear them. 14. I continued to group along, but my heart was beating fast. 15. On the way I heard that that man, who looked a very good fellow, was a fencing-master. VIII (pp. 36—40)1. We parted at the door with a good deal of hand-shaking. 3. I immediately began to read the document in order to post myself up in my new duties. 4. The ushers had a right to half a bottle of wine at every meal. 5. I had scarcely gone to sleep when Iwoke up with a start. 6. When your colleagues come back, Iwill introduce you to them. 7. The tallest of them, the one Iwas going to replace, spoke first. 8. “By Jove!” he exclaimed cheerfully, “you may well say so” (use the word ‘cas’). 9. I would have given anything in the world to have been only a few inches taller. 10. “Never mind,” he added, stretching out his hand to me; “although we are not built to be measured by the same standard, we can all the same empty a few flasks together.” 11. I want you to be one of our party. 12. What struck you on entering was the number of shakos hanging on the pegs. 13. On the whole you have fallen on your feet in coming here you will not be so badly off. 14. All my colleagues ruled their pupils with a rod of iron. 15. Little by little he felt less timid and soon rose with his glass in his hand. IX (pp. 41—45)1. My neighbour was a youth of good family who had gone the pace a bit. 7. It is for you especially (use the word “intention”) that Ihave composed this little tale. 8. Remember that I do not want you to speak in this way. 9. The narrator stopped short with one hand in the air. 10. Do you not miss your friend a good deal? 11. The college was divided into three departments: the Senior School, the Middle School and the Junior School. 12. As for him, he might smile at me as much as he liked, I could not like him. 13. When you see them, tell them I owe them no grudge. 14. As soon as he was in, he double-locked the door. 15. Twice a week we went to that spot, half a league from the town. X (pp. 51—55)1. Usually on those occasions I had the whole college on my hands. 4. The poor fellow was ridiculously short, badly dressed, redolent of the gutter, and, to crown all, dreadfully bandy-legged. 5. We always had at our heels a swarm of ragamuffins turning cart-wheels behind us. 6. The little imp was smiling as if nothing were the matter. 7. The whole division began to go off at a frightful pace. 8. He was the son of a farrier, who was working himself to death for his education. 9. We have been waiting for you for more than twenty minutes. 10. I often looked at him, putting out his tongue and leaning on his pen with all his might. 11. As soon as he had finished his work, he used to go out. 12. On that day he went out as soon as he had finished his work. 13. The grotto was so low that we were obliged to go in on all fours. 14. I wonder whether I shall ever succeed in teaching him anything. 15. Do you know what has become of my letter? XI (pp. 51—55)1. How can you hope to find anything good at the rate of seventy-five francs a term? 10. I had been told that his library contained more than two thousand volumes, andIhad no doubt but that Ishould find there the book Iwanted. 11. My neighbour was sitting astride a low chair, with his legs stretched out. 12. I at length succeeded in explaining as well as I could the object of my visit. 13. Mind you don’t spoil my book, or I’ll cut off your ears! 14. They might just as well have finished whilst they were at it. XII (pp. 56—60)1. You must redouble your efforts, or else you will never pull through. 7. Stretched out in his arm-chair, he was listening to his neighbours with an absent-minded air. 8. A few bald gentlemen were mopping their heads with flame-coloured silk handkerchiefs. 9. As soon as he had finished his speech, there was a general uproar. 10. “Which way must we go?”—“Come this way.” 11. Do not allow yourself to be so easily discouraged. 12. The children had gone bird-catching with a bird-call. 13. Being quite alone, I spent nearly all my time reading. 14. As usual he answered “Thank you!” without taking his eyes off his book. 15. The little patient dreamt of it every night, he could sleep no longer for it. XIII (pp. 61—65)1. He lost his head, and added in a trembling voice: “I thank you for all your kindness to me.” 2. I promise you that it shall be done without fail not later than to-morrow. 3. At last, in utter despair, he made up his mind to write to them. 4. Prepare your letter beforehand and hand it over to him as soon as he arrives. 5. Nobody came on that day, or on the next either. 6. To crown our misfortunes, it soon began to snow. 7. How short the holidays have been this summer! 8. The whole house was being repaired from top to bottom. 9. Here he comes; you must mind your p’s and q’s. 10. Neither the masters nor the pupils felt in the mood for working. 11. After two whole months’ rest, the college found it difficult to resume its ordinary routine. 12. For my own part illness had made me unable to bear anything. 13. We no longer had any ammunition to fight the rioters with. 14. Sometimes, as a last resource, I called my neighbour to my aid. 15. They were all so quiet that you could have heard a pin drop. 16. It was evident that I had an awkward customer to deal with. XIV (pp. 66—70)1. I soon saw that I was getting involved in a nasty business. XV (pp. 71—75)1. I should pity him more if he did not complain so often. 3. Even if (do not use ‘si’) they had utterly demolished the house Ishould not have noticed it. 4. I was far from suspecting that they had been in England for the last fortnight. 5. Taking everything into account, I hope I shall be able to send you something from time to time out of my savings. 6. What a beautiful town Paris is! 7. Here at any rate it is not always foggy as in Lyons. 8. I had come to that part of the letter when I suddenly heard a dull noise. 9. In the playground the children were shouting at the top of their voices. 10. Why do you not want us to mention it to them? 11. A monotonous plain stretched as far as the eye could see. 12. I was longing to be alone in my room. 13. We have not seen them yet, but they will not be long in coming. 14. I began to go up the stairs four steps at a time. 15. The new secretary was beside himself with joy. XVI (pp. 76—80)1. Before going in, I stopped an instant to recover my breath. 2. The head master in his dressing-gown was standing near him, with his velvet cap in his hand. 3. I did not know what it was all about, but on hearing these words Iblushed for shame. 4. Turning to me, he took from the mantel-piece a little bundle of papers Ihad not yet noticed. 5. Instead of answering him, he hung down his head and remained silent. 6. One word might have exculpated me, but that word Idid not utter. 7. I was ready to suffer anything rather than betray my friend. 8. It is half-past ten already; they must have missed the train. 9. All my courage suddenly failed me, and, without saying a word, Ihurriedly went out. 10. I saw his face brighten as I spoke. 11. “Listen to this before I go,” said he in a low voice. 12. You must promise me to write to them when everything is over. 13. When I was in the army, I vowed that, if ever I came to be drummed out, Iwould not survive my dishonour. 14. I would rather lose my situation than be the cause of his death. 15. The very least we can do is to wait till the last moment before coming to such a decision. XVII (pp. 81—85)1. If the poor man happened to die, what would become of his children? 8. Considering the rate at which he was walking, he must have covered the ground in less than a quarter of an hour. 9. I was afraid that, in spite of his promise, he had already gone out. 10. Let us drink the stirrup-cup before you go. 11. I hope (use a conjunction instead of a verb) that you will arrive in time! 12. It was sad enough (do not use ‘assez’) to make one weep. 13. When I approached, they were all dying with laughter. 14. Feeling he was going to hear something extraordinary, he advanced without being seen by anybody. 15. Then it was that I learnt what cowards men can be! 16. The orator’s gestures must have been very comical, judging by the transports of the audience. XVIII (pp. 86—90)1. I shuddered, and my ears tingled. 3. I could stand it no longer, and, without caring whether anyone could see me, Irushed through the garden. 4. Where was he to find the money he wanted? He felt he was done for. 5. I got up, and, with the resolute step of a man who has just come to an irrevocable decision, Iwent back to the station. 6. When you receive this letter your poor brother will be dead. 7. There is a good deal more I could say to you, but Ihave no time. 8. Tell them that he fell from the top of a cliff, or else that he was drowned whilst skating. 9. I beg your pardon for all the trouble Iam giving you. 10. When you come to the bridge, apply to the first person you meet. 11. The usher walked up and down until everybody was asleep. 12. Some one was stealing slowly along under cover of the walls. 13. A moonbeam was shining full upon the big iron ring. 14. I have been doing nothing but think of it for hours. 15. Taking the old stool, he got up on it and made a slip knot. XIX (pp. 91—95)1. That’s a queer idea, to practise on the trapeze at this time of night! 4. If you take my advice, you will start at once, without waiting till your week’s notice is up. 5. I myself will lend you the money that you wanted to borrow from that scoundrel. 6. Now not one word more! I do not want you to thank me. 7. “How comfortable I am here!” he said, opening his eyes. 8. As soon as I began to thank him, he literally turned me out of doors. 9. The boys were not yet in the playground by the time I was already working hard in my room. 10. The good man was busy counting gold coins, which he carefully put in a row in little heaps. 11. My brother has not to draw lots for six years, and who knows what may happen between now and then? 12. I am much afraid you will be a child all your life. 13. What confidence can you have in him, half mad as he is? 14. Have you not your seat to book? Make haste, or you will be late. 15. The abbÉ could not help casting a glance round the room, and what he saw made him shudder. XX (pp. 96—103)1. I really thought that they were going to seize me by the throat. 3. When they had pocketed my money, they launched out into protestations of friendship. 4. Do not allow yourself to be taken in by those compliments. 5. The more affable they showed themselves, the more they disgusted me. 6. What a pity you did not arrive in time to see them! 7. Those who are not satisfied will only have to come and tell me. 8. I looked around me for a long time, as if to carry away in my mind the image of the place Iwas never to see again. 9. Drawing the keys out from under my coat, Ithrew them down the well with all my might. 10. I should have liked to enjoy the sight a little longer, but I did not want the coach to start without me. 11. It is still too early for you to receive an answer. 12. For about twenty years he had been spending his time colouring illustrated newspapers. 13. Ah! the old fool! You should have seen with what a confident look he used to say that! 14. All these details about his uncle I only learnt afterwards. 15. As soon as I went into the house, I saw that, whatever she might say, my mother was not happy. 16. On hearing that I had a good situation, he opened his eyes wide. 17. The joy of seeing her son again had taken away the poor woman’s appetite. 18. It is said that they have barely enough to live upon. 19. If only (do not use ‘seulement’) I could have spoken to him unreservedly! but we were not left alone one minute. 20. The moment for his departure came without their having been able to say anything to each other. IV. PASSAGES FOR TRANSLATION INTO FRENCHIWhen I think over my own expensive education, Ican see quite clearly that the years which came between my departure from the school-room at home and the time Igot into the top form at school were elaborately wasted. My time was mainly taken up with grammar, endless Latin proses, and verses that were not poetry; none of which exercises did me the slightest good. Iforgot the grammar as soon as Iconveniently could; Icould never do Latin prose till Ihad read great chunks of Latin authors, or verses till Ihad studied the poets; and these accomplishments came to me by imitation and not by rules. Mean-while my imagination was simply starved. And yet there is so much in English literature to stimulate the imagination of children!—Iknow that from my pre-school experience; and Ibelieve nearly all children have some imagination to start with, before it is smothered under the verbs in -µi. Fortunately Iwas not a conscientious or hard-working boy, and so Iescaped the mental paralysis which overtook some of my worthier companions.—From G. F. BRADLY’S Dick. IIDaudet is naturally an optimist, and that spontaneous optimism is his distinctive mark among all the novelists of the contemporary school. There are characters in his works quite as depraved as those in Flaubert and in Zola. But from the way in which he describes them one feels that he despises their ignominy, and that he is indignant at their baseness. Now the pessimist, in whose eyes baseness and ignominy are the very essence of man, is no longer capable of indignation or contempt. Nearly always Daudet’s books present to us, if only incidentally, some favourite character which does credit to humanity. Out-and-out pessimists accuse him of distorting human nature by attributing to it imaginary graces and virtues: but does not their unbending pessimism distort it in another direction by showing to us, under the pretext of being truthful, only its meannesses and its horrors?—From PELLISSIER, LeMouvement littÉraire au XIXe siÈcle. IIIDoctor Strong’s was an excellent school: as different from Mr. Creakle’s as good is from evil. It was very gravely and decorously ordered, and on a sound system with an appeal, in everything, to the honour and good faith of the boys, and an avowed intention to rely on their possession of those qualities, unless they proved unworthy of it, which worked wonders. We all felt we had a part in the management of the place, and in sustaining its character and dignity. Hence we soon became warmly attached to it, and learned with a good will, desiring to do it credit. We had noble games out of hours, and plenty of liberty; but even then, as Iremember, we were well spoken of in the town, and rarely did any disgrace, by our appearance or manner, to the reputation of Doctor Strong and Doctor Strong’s boys. The Doctor himself was the idol of the whole school; and it must have been a badly composed school if he had been anything else, for he was the kindest of men; with a simple faith in him that might have touched the stone hearts of the very urns upon the wall.—From DICKENS’S David Copperfield. IVHis style, created from moment to moment, subordinates the form of the language to the need of expressing the immediate sensation in its original vividness. Hemultiplies ellipses, anastrophes, words unexpectedly connected; he takes from every vocabulary its most expressive terms; he models himself upon the very appearance of things as they are; he knows no other rhythm than that of successive impressions. Heis perpetually on the move. His agility occasionally seems a little feverish. We feel some anxiety; we are afraid that the sentence may not find its balance. Afew lines from his works can be recognized at a glance, for he has only had clumsy imitators, his style being, moreover, in the language of Montaigne, of one substance with the author, being the author himself. And yet one could hardly say that this style breaks with tradition. Hestops short just at the point at which his idiosyncrasies would degenerate into faults.—From PETIT DE JULLEVILLE, Histoire de la littÉrature franÇaise, vol. viii. VBut the pupils — the young noblemen! Pale and haggard faces, lank and bony figures, children with countenances of old men, deformities with irons upon their limbs, boys of stunted growth, and others whose long meagre legs would hardly bear the stooping bodies, all crowded on the view together. There was every ugliness or distortion that told of unnatural aversion conceived by parents for their offspring, or of young lives which, from the earliest dawn of infancy, had been one horrible endurance of cruelty and neglect. There were little faces which should have been handsome, darkened with the scowl of sullen, dogged suffering. There was childhood with the light of its eye quenched, its beauty gone, and its helplessness alone remaining; there were vicious-faced boys, brooding, with leaden eyes, like malefactors in jail; and there were young creatures on whom the sins of their frail parents had descended, weeping even for the mercenary nurses they had known, and lonesome even in their loneliness. With every kindly sympathy and affection blasted in its birth, with every young and healthy feeling flogged and starved down, with every revengeful passion that can fester in swollen hearts, eating its evil way to their core in silence, what an incipient Hell was breeding here!—From DICKENS’S Nicholas Nickleby. VIIt is not only his nerves which are sensitive, it is also his heart, and the keenness of his sensations is equalled by that of his sympathies. Heis interested in his characters, and it is by loving them that he makes us love them. If the figures he paints give us a life-like impression, it is because they lived not only in his imagination but also in his heart.... Daudet can feel in his heart that love which Dickens felt towards those who are ill-favoured or poor. His favourite heroes are especially those who are sensitive, and who are made wretched by their sensitiveness. In order to create Jack he left the Nabab, which he had already begun, and wrote in less than a year that book which is at the same time tender and cruel, but in which cruelty is only another form of tenderness, and which so oppressed the heart of George Sand that after reading it she, the indefatigable worker, remained for three whole days without being able to produce anything at all.—From PELLISSIER, LeMouvement littÉraire au XIXe siÈcle. VIIIt was not very large certainly, being about six feet long by four broad. It could not be called light, as there were bars and a grating to the window. But it was uncommonly comfortable to look at. The space under the window at the farther end was occupied by a square table covered with a reasonably clean and whole red and blue tablecloth; a hard-seated sofa covered with red stuff occupied one side; and a good stout wooden chair afforded a seat for another boy, so that three could sit and work together. Over the door were a row of hat-pegs, and on each side book-cases with cupboards at the bottom; shelves and cupboards being filled indiscriminately with school-books, a cup or two, a mouse-trap and brass candlesticks, leather straps, and some curious-looking articles which puzzled Tom not a little, until his friend explained that they were climbing-irons, and showed their use. Acricket-bat and small fishing-rod stood up in one corner.—From HUGHES’S Tom Brown’s School-days. VIIIDaudet’s imagination does not consist in the invention of facts or characters: he pictures to himself with extraordinary vividness what has passed before his eyes. Though they are marvellously real, his scenes have not that precise and strict perfection which Flaubert used to give to his. Hecatches in mid-flight the faintest details and holds fast their very movement. The vibration is still there, and one can feel the tremor in the air and the play of the light. As to his human figures, I question whether Daudet has ever had his equal in the picturesque truthfulness of his portraits, in the capacity of reproducing the expression of a face, an attitude or dress. And it does not follow that, as certain “psychological” writers have hinted, Daudet was deficient in “psychology.” We cannot find in him that cold, pedantic psychology which consists of the authors’s own reflections; and if, to be a “psychologist,” it is necessary to explain minutely every step and every gesture, or to put wearisome commentaries in the place of action, Daudet does not deserve the name. But perhaps there is a distinction to be made between a novel and an anatomical treatise.—From PETIT DE JULLEVILLE, Hist. de la litt. fr. vol. viii. IXThe founders and arbiters of the public-school system who ordained that life in these institutions should be one incessant round of activity from the beginning of term to its end have perhaps proved to be the children of wisdom. To a healthy boy who can manage to keep his place in the crowd without undue straining, there is a tonic effect in the absence of leisure; and the sense of being a lively part in a great and ever-moving body is an admirable enemy to stagnation of mind. It is only the special case, the variant from the type, who suffers when he is included in masses that move by rule; and if we are inclined to admit the dangerous premise that any suffering can be good for a young soul, we may cheerfully conclude that the rough process is justified if it turns the variant into a solid, ordinary person; or, if he is a hopeless rebel, at least teaches him that the thorns of life are not tender to him who kicks.—From The First Round, by ST. JOHN LUCAS. XMuch of the influence he gained over his scholars was attributable to his knowledge of the individual characteristics of boys. Heis said to have known every boy in the school, his appearance, his habits, and his companions. It cannot be said that he was always genial in manner; the youngest boys especially regarded him with awe, and his own sense of the intense seriousness of life and duty gave a sternness and austerity to his aspect which made many of his pupils afraid of him. His conception of a school was that it should be first of all a place for the formation of character, and next a place for learning and study, as a means for the attainment of this higher end. Discipline and guidance were in his view still more prominently the business of a schoolmaster than the impartation of knowledge. His influence was stimulative rather than formative, the secret of his power consisting not so much in the novelty of his ideas or methods as in his commanding and magnetic ersonality.—From Thomas Arnold, by SIR JOSHUA FITCH. XIHe was contented, in a dull kind of way, with the even monotony of his days. Life at school, he felt, would be always the same; he would attain no distinctions, but at least he would suffer no violent agonies. If you could not be brilliant and wonderful it was as well to be completely insignificant. Defiant eccentricity led to much discomfort, unless you possessed invincible contempt for ordinary popularity; and the way of the harmless imbecile was hard at a public school. When you were at school all the old standards did seem to alter most strangely. After all, why bother about standards? Why think at all? School was really pleasanter when you did not think but just drifted. Yet, could a place where it was better not to think except about everyday events be really right? All boys were either beasts or worms or geese. The geese were most numerous, and usually followed and applauded the beasts. Oh monstrous, stale, unprofitable world!—From The First Round, by ST. JOHN LUCAS. XIIAt present those who pursue philosophy at all are mere striplings just emerged from boyhood, who take it up in the intervals of business; and, after just dipping into the most abstruse part of the study, abandon the pursuit altogether. And pray what is the right plan? Just the opposite. In youth and boyhood they ought to be put through a course of instruction carefully suited to their years; and while their bodies are growing up to manhood, especial attention should be paid to them, as a serviceable acquisition in the cause of philosophy. At the approach of that period during which the mind begins to attain its maturity, the mental exercises ought to be rendered more severe. Finally, when their bodily powers begin to fail, and they are released from public duties and military service, from that time forward they ought to consecrate themselves altogether to the study of philosophy, if they are to live happily on earth, and after death to crown the life they have led with a corresponding destiny in another world.—From PLATO’S Republic, bk. vi. V. SUJETS DE RÉDACTIONILe soir, aprÈs souper, je relisais mon Robinson, je l’apprenais par coeur; le jour, je le jouais, je le jouais avec rage, et tout ce qui m’entourait, je l’enrÔlais dans ma comÉdie (voir p. 6). 1. Un matin, il aperÇoit de loin une trentaine de sauvages, qui dÉbarquent dans son Île et allument un grand feu. Ils ont avec eux deux prisonniers, et, pendant qu’ils en tuent un et le dÉcoupent pour le faire rÔtir, l’autre s’Échappe. (Placer le rÉcit dans la bouche de Robinson.)
II — Mon perroquet, criai-je, mon perroquet! LES CAMBRIOLEURS ET LE PERROQUET 1. Dans une villa isolÉe aux environs de Paris (en faire la description) demeure un vieillard fantasque, qu’on dit fort riche, bien qu’il n’ait pas de domestique. IIIC’est toujours la mÊme chanson, des larmes et de la misÈre! les affaires qui ne vont pas, des loyers en retard, des crÉanciers qui font des scÈnes, les diamants de la mÈre vendus, l’argenterie au mont-de-piÉtÉ (voir p. 21). DAVID COPPERFIELD CHEZ LES MICAWBER 1. DolÉances de Mrs. Micawber À l’arrivÉe de David dans la maison. Elie Était bien loin de se douter, avant son mariage, qu’il lui faudrait jamais prendre un locataire, mais que faire dans sa position? Et elle lui explique les difficultÉs du mÉnage.
IV— Monsieur Eyssette, conclut le principal, vous pouvez vous retirer. Pour ce soir encore, il faudra que vous couchiez À l’hÔtel.... Soyez ici demain À huit heures (voir p. 34). LE PETIT CHOSE ÉCRIT À SA MÈRE 1. Il vient de voir le principal, qui l’a trouvÉ bien jeune, mais qui a pourtant consenti À le prendre, grÂce À la chaude recommandation du recteur.
VQuelquefois, quand ils avaient ÉtÉ bien sages, je leur racontais une histoire.... J’avais composÉ À leur intention cinq ou six petits contes fantastiques: Les DÉbuts d’une cigale, Les Infortunes de Jean Lapin, etc. (voir p. 43).
LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN Raconter À votre faÇon la fable suivante de La Fontaine.
VILe petit Chose rÊve aux yeux noirs toutes les nuits, il n’en dort plus (voir p. 60). UN RÊVE 1. Les yeux noirs habitent, libres et heureux, dans un grand chÂteau avec leurs parents, dont ils sont toute la joie.
VIIQuand il entrait dans l’Étude brusquement, ses clefs À la main, c’Était comme une pierre dans un Étang de grenouilles (voir p. 65). LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES 1. Une belle matinÉe d’ÉtÉ À la campagne. Sur la lisiÈre d’un bois s’arrÊte un liÈvre, l’oreille au guet.
VIIIVingt fois de suite on lui faisait raconter son histoire, et À chaque fois le misÉrable inventait quelque nouveau dÉtail (voir p. 70). BOUCOYRAN RACONTE SON HISTOIRE 1. Portrait fantaisiste du petit Chose.
IXHeureusement je pensai À Jacques; quelle bonne idÉe sa lettre avait eue d’arriver prÉcisÉment le matin! (voir p. 81). MADAME EYSSETTE AU PETIT CHOSE Vous supposerez que l’aprÈs-midi le petit Chose reÇoit une autre lettre, cette fois de sa mÈre.
XSi l’Étude me parut longue, je n’ai pas besoin de vous le dire (voir p. 93). LE PETIT CHOSE À SON FRÈRE Pour abrÉger la longueur de l’Étude, le petit Chose Écrit À son frÈre Jacques. |