“18 septembre, Kensington Square. “My Lord, “J’ai l’honneur de vous informer que je suis arrivÉ en Angleterre il y a deux jours. Les rapports que j’ai eu l’avantage d’avoir avec vous pendant mon sÉjour À Londres m’en font un devoir. “Je me reprocherais de ne pas m’en acquitter promptement et de ne pas offrir mes premiers hommages au ministre dont l’esprit m’a paru au niveau des grands ÉvÉnements de cette Époque, et qui a toujours manifestÉ des vues si pures, et un amour ÉclairÉ de la vraie libertÉ. “A mes premiers voyages j’Étais chargÉ par le roi d’une mission À laquelle j’attachais le plus grand prix. Je voulais hÂter le moment de la prospÉritÉ de la France, et par consÉquent l’attacher, s’il Était possible, À l’Angleterre. “J’osais À peine, il est vrai, espÉrer tant de bonheur dans nos circonstances, mais je ne pouvais me rÉsoudre À ne pas faire des efforts pour y parvenir. “L’assurance que vos daignÂtes nous donner de la neutralitÉ de votre gouvernement À l’Époque de la guerre me parut un prÉsage trÈs-heureux. “Depuis ce moment tout est cruellement changÉ parmi nous, et quoique rien ne puisse jamais dÉtacher mon coeur ni mes voeux de la France, et que mon espoir soit d’y retourner aussitÔt que les lois y auront repris leur empire, je dois vous dire, mylord, et je tiens beaucoup À ce que vous sachiez que je n’ai absolument aucune espÈce de mission en Angleterre, que j’y suis venu uniquement pour y chercher la paix et pour y jouir de la libertÉ au milieu de ses vÉritables amis. “Si pourtant mylord Grenville dÉsirait connaÎtre ce que c’est que la France en ce moment, quels sont les diffÉrents partis qui l’agitent, et quel est le nouveau pouvoir exÉcutif provisoire, et enfin ce qu’il est permis de conjecturer des terribles et Épouvantables ÉvÉnements dont j’ai ÉtÉ presque le tÉmoin oculaire, je serais charmÉ de le lui apprendre et de trouver cette occasion de lui renouveler l’assurance des sentiments de respect avec lesquels je suis, mylord, votre trÈs-humble, et trÈs-obÉissant serviteur, “Talleyrand-PÉrigord.” “DÉclaration de Monsieur de Talleyrand. “Mon respect pour le conseil du roi, et ma confiance en sa justice m’engagent À lui prÉsenter une dÉclaration personnelle plus dÉtaillÉe que celle que je vois comme Étranger prÉsenter au magistrat. “Je suis venu À Londres vers la fin de janvier 1792, chargÉ par le gouvernement franÇais d’une mission auprÈs du gouvernement d’Angleterre. Cette mission avait pour objet, dans un moment oÙ toute l’Europe paraissait se dÉclarer contre la France, d’engager le gouvernement d’Angleterre de ne point renoncer aux sentiments d’amitiÉ et de bon voisinage qu’il avait montrÉ constamment en faveur de la France pendant le cours de la RÉvolution. Le roi surtout, dont le voeux le plus ardent Était le maintien d’une paix qui lui paraissait aussi utile À l’Europe en gÉnÉral qu’À la France en particulier, le roi attachait un grand prix À la neutralitÉ et À l’amitiÉ de l’Angleterre, et il avait chargÉ Monsieur de Montmorin qui conservait sa confiance, et Monsieur de Laporte, de me tÉmoigner son dÉsir À ce sujet. J’Étais chargÉ de plus par les ministres du roi de faire au gouvernement d’Angleterre des propositions relatives À l’intÉrÊt commercial des deux nations. La constitution n’avait pas permis au roi en me chargeant de ses ordres, de me revÊtir d’un caractÈre public. Ce dÉfaut de titre officiel me fut opposÉ par mylord Grenville comme un obstacle À toute confÉrence politique. Je demandai en consÉquence mon rappel À Monsieur de Laporte, et je retournai en France. Un ministre plÉnipotentiaire fut envoyÉ quelque temps aprÈs; le roi me chargea d’en seconder les travaux, et en fit part À S. M. Britannique par une lettre particuliÈre. Je suis restÉ attachÉ au devoir que le roi m’avait imposÉ jusqu’À l’Époque du 10 aoÛt, 1792. J’Étais alors À Paris oÙ j’avais ÉtÉ appelÉ par le ministre des affaires ÉtrangÈres. AprÈs avoir ÉtÉ plus d’un mois sans pouvoir obtenir de passeport et Être restÉ exposÉ pendant tout ce temps, et comme administrateur du dÉpartement de Paris, et comme membre de l’AssemblÉe Constituante À tous les dangers qui peuvent menacer la vie et la libertÉ, j’ai pu enfin sortir de Paris vers le milieu de septembre, et je suis venu en Angleterre jouir de la paix et de la sÛretÉ personnelle À l’abri d’une constitution protectrice de la libertÉ et de la propriÉtÉ. J’y existe, comme je l’ai toujours ÉtÉ, Étranger À toutes les discussions et À tous les intÉrÊts de parti; et n’ayant pas plus À redouter devant les hommes justes la publicitÉ d’une seule de mes opinions politiques que la connaissance d’une seule de mes actions. Outre les motifs de sÛretÉ et de libertÉ qui m’ont ramenÉ en Angleterre, il est une autre raison, trÈs-lÉgitime sans doute, c’est la suite de quelques affaires personnelles et la vente prochaine d’une bibliothÈque assez considÉrable que j’avais À Paris, et que j’ai transportÉe À Londres. “Je dois ajouter que devenu en quelque sorte Étranger À la France, oÙ je n’ai conservÉ d’autres rapports que ceux de mes affaires personnelles, et d’une ancienne amitiÉ je ne puis me rapprocher de ma patrie que par les voeux ardents que je fais pour le rÉtablissement de sa libertÉ et de son bonheur. “J’ai cru que dans des circonstances oÙ la malveillance pouvait se servir de quelques prÉventions pour les faire tourner au profit d’inimitiÉs dues aux premiÈres Époques de notre RÉvolution, c’Était remplir les vues du conseil du roi que de lui offrir dans une dÉclaration prÉcise un exposÉ des motifs de mon sÉjour en Angleterre, et un garant assurÉ et irrÉvocable de mon respect pour la constitution et pour les lois. “Talleyrand. “1er janvier, 1793.” “‘Citoyen Consul,’ lui dit-il, ‘vous m’avez confiÉ le ministÈre des relations extÉrieures, et je justifierai votre confiance; mais je dois vous dÉclarer dÈs À prÉsent que je ne veux travailler qu’avec vous. Il n’y a point lÀ de vaine fiertÉ de ma part; je vous parle seulement dans l’intÉrÊt de la France. Pour qu’elle soit bien gouvernÉe, pour qu’il y ait unitÉ d’action, il faut que vous soyez le premier consul, et que le premier consul ait dans sa main tout ce qui tient directement À la politique, c’est-À-dire les ministÈres de l’intÉrieur et de la police, pour les affaires du dehors; ensuite les deux grands moyens d’exÉcution, la guerre et la marine. Il serait donc de toute convenance que les ministres de ces cinq dÉpartements travaillassent avec vous seul. L’administration de la justice et le bon ordre dans les finances tiennent sans doute À la politique par une foule de liens: mais ces liens sont moins sacrÉs. Si vous me permettez de le dire, gÉnÉral, j’ajouterai qu’il conviendrait de donner au deuxiÈme consul, trÈs-habile jurisconsulte, la haute main sur la justice, et au troisiÈme consul, Également bien versÉ dans la connaissance des lois financiÈres, la haute main sur les finances. Cela les occupera, les amusera; et vous, gÉnÉral, ayant À votre disposition les parties vitales du gouvernement, vous arriverez au noble but que vous vous proposez—la rÉgÉnÉration de la France.’” “Qui ne reconnaÎt lÀ le premier germe de l’archichancellerie et de l’architrÉsorerie de l’empire?” Bourrienne, MÉmoires, vol. iii., pp. 324, 325. “A notre TrÈs-cher Fils, Charles Maurice Talleyrand. “Nous avons ÉtÉ touchÉ de joie quand nous avons appris l’ardent dÉsir que vous avez de vous rÉconcilier avec nous et avec l’Eglise catholique. Dilatant donc À votre Égard les entrailles de notre charitÉ paternelle, nous vous dÉgageons par la plÉnitude de notre puissance du lien de toutes les excommunications. Nous vous imposons par suite de votre reconciliation avec nous et avec l’Eglise, des distributions d’aumÔnes pour le soulagement surtout des pauvres de l’Église d’Autun que vous avez gouvernÉe. Nous vous accordons le pouvoir de porter l’habit sÉculier, et de gÉrer toutes les affaires civiles, soit qu’il vous plaise de demeurer dans la charge que vous exercez maintenant, soit que vous passiez À d’autres auxquelles votre gouvernement pourrait vous appeler.” I cannot but believe that M. Thiers’s authority has been incorrect. Count MolÉ could not be mistaken as to dates and facts, for he was present at the scene I have related, and stated to me all the details, as I have given them, without touching on the Duc d’Enghien, which he certainly would have spoken of had Napoleon himself done so. The Emperor’s reproaches were, according to Count MolÉ, entirely confined to what he considered were M. de Talleyrand’s intrigues at that particular time—intrigues which were not, however, then further advanced than in clearing away the obstacles which might interfere with his defection, if Napoleon was ultimately defeated. “L’Empereur, au lieu de me dire des injures, aurait mieux fait de juger ceux qui lui inspiraient des prÉventions; il aurait vu que des amis comme ceux-lÀ sont plus À craindre que des ennemis. Que dirait-il d’un autre s’il s’Était laissÉ mettre dans cet État?”—MÉmoires du Duc de Rovigo, citÉs par M. Thiers. “Nous avons entendu depuis, le mÊme prince rÉpondre avec de la prÉsence d’esprit et du bonheur aux harangues qu’on lui faisait, mais, pour ceux qui l’ont vu et qui l’ont entendu À son entrÉe À Paris, il ne fut jamais aussi Éloquent que ce jour-lÀ. Le cortÈge se mit en marche pour Notre-Dame, suivant l’antique usage d’aller porter À Dieu, dans la premiÈre Église de Paris, les hommages solennels des FranÇais pour chaque ÉvÉnement heureux. La garde nationale formait le fond du cortÈge, mais il se composait aussi d’officiers russes, prussiens, autrichiens, espagnols, portugais, À la tÊte desquels le prince apparaissait comme un ange de paix descendu au milieu de la grande famille europÉenne. Depuis la BarriÈre de Bondy jusqu’au Parvis Notre-Dame, il n’y avait pas une fenÊtre qui ne fÛt garnie de figures rayonnantes de joie. Le peuple, rÉpandu dans les rues, poursuivait le prince de ses applaudissements et de ses cris. A peine pouvait-il avancer au milieu de l’ivresse gÉnÉrale, et il rÉpondit À quelqu’un qui voulait Écarter de si douces entraves: ‘Laissez, Monsieur, laissez, j’arriverai toujours trop tÔt.’ “C’est ainsi que le prince fut, s’il est permis de le dire, portÉ jusqu’À Notre-Dame sur les coeurs des FranÇais; et À son entrÉe dans le sanctuaire, lorsqu’il se prosterna aux pieds de l’autel, qui avait, durant tant de siÈcles, reÇu les priÈres de ses pÈres, un rayon de lumiÈre trÈs-vive vint frapper sur sa figure et lui imprima je ne sais quoi de cÉleste. Il priait avec ardeur; tous priaient avec lui. Des larmes mouillaient nos yeux; il en Échappait aux Étrangers eux-mÊmes. Oh! avec quelle vÉritÉ, avec quelle ardeur, chaque strophe de l’hymne de la reconnaissance Était poussÉe vers les cieux! A la fin de la cÉrÉmonie, de vieux serviteurs du prince qui avaient pleurÉ trente ans son absence embrassaient ses genoux, et il les relevait avec cette grÂce du coeur si touchante et qui lui est si naturelle. Le retour, de Notre-Dame aux Tuileries ne fut pas moins animÉ, moins heureux, et, parvenu dans la cour du palais, le prince descendit le cheval et adressa À la garde nationale une allocution parfaitement appliquÉe À la situation. Il prit la main À plusieurs officiers et soldats, les pria de se souvenir de ce beau jour, et leur protesta que lui-mÊme ne l’oublierait jamais. Je fis ouvrir devant le prince les portes du palais et j’eus l’honneur de l’introduire dans l’aile qu’il devait habiter. “Je lui demandai ses ordres pour le reste de la journÉe, et l’heure À laquelle je devais me prÉsenter le lendemain pour le travail. Le prince paraissait hÉsiter s’il me laisserait partir ou me retiendrait. Je crus m’apercevoir que c’Était indulgence de sa part, et je lui dis que je craindrais de l’occuper une minute de plus, parce que je le supposais fatiguÉ, et c’est À moi qu’il rÉpondit:—‘Comment voulez-vous que je sois fatiguÉ? C’est le seul jour de bonheur que j’ai goÛtÉ depuis trente ans. Ah! monsieur, quelle belle journÉe! Dites que je suis heureux et satisfait de tout le monde. VoilÀ mes ordres pour aujourd’hui—À demain, À neuf heures du matin.’ “En quittant le prince, je repris mon travail ordinaire et je le quittai sur les onze heures du soir pour aller chez M. de Talleyrand. Je le trouvai s’entretenant de la journÉe avec MM. Pasquier, Dupont de NÉmours, et AnglÈs. On s’accordait À la trouver parfaite. M. de Talleyrand rappela qu’il fallait un article au Moniteur. Dupont s’offrit de le faire. ‘Non pas,’ reprit M. de Talleyrand, ‘vous y mettriez de la poÉsie; je vous connais. Beugnot suffit pour cela; qu’il passe dans la bibliothÈque et qu’il broche bien vite un article pour que nous l’envoyions À Sauvo.’ “Je me mets À la besogne qui n’Était pas fort Épineuse, mais parvenu À la mention de la rÉponse du prince À M. de Talleyrand, j’y suis embarrassÉ. Quelques mots ÉchappÉs À un sentiment profond produisent de l’effet par le ton dont ils sont prononcÉs, par la prÉsence des objets qui les ont provoquÉs, mais quand il s’agit de les traduire sur le papier, dÉpouillÉs de ces entours, ils ne sont plus que froids, et trop heureux s’ils ne sont pas ridicules. Je reviens À M. de Talleyrand, et je lui fais part de la difficultÉ.—‘Voyons,’ me rÉpondit-il, ‘qu’a dit Monsieur? Je n’ai pas entendu grand’chose; il me paraissait Ému et fort curieux de continuer sa route; mais si ce qu’il a dit ne vous convient pas, faites-lui une rÉponse.’ ‘Mais comment faire un discours que Monsieur n’a pas tenu?’ ‘La difficultÉ n’est pas lÀ: faites-le bon, convenable À la personne et au moment, et je vous promets que Monsieur l’acceptera, et si bien, qu’au bout de deux jours il croira l’avoir fait, et il l’aura fait; vous n’y serez plus pour rien.’ A la bonne heure! Je rentre, j’essaye une premiÈre version, et je l’apporte À la censure. ‘Ce n’est pas cela,’ dit M. de Talleyrand, ‘Monsieur ne fait pas d’antithÈses et pas la plus petite fleur de rhÉtorique. Soyez court, soyez simple, et dites ce qui convient davantage À celui qui parle et À ceux qui Écoutent; voilÀ tout.’ ‘Il me semble,’ reprit M. Pasquier, ‘que ce qui agite bon nombre d’esprits est la crainte des changements que doit occasionner le retour des princes de la maison de Bourbon; il faudrait peut-Être toucher ce point, mais avec dÉlicatesse.’ ‘Bien! et je le recommande,’ dit M. de Talleyrand. ‘J’essaye une nouvelle version et je suis renvoyÉ une seconde fois, parce que j’ai ÉtÉ trop long et que le style est apprÊtÉ. Enfin j’accouche de celle qui est au Moniteur, et oÙ je fais dire au prince: ‘Plus de divisions: la paix et la France; je la revois enfin; et rien n’y est changÉ, si ce n’est qu’il s’y trouve un FranÇais de plus.’ ‘Pour cette fois je me rends!’ reprit enfin le grand censeur, ‘c’est bien lÀ le discours de Monsieur, et je vous rÉponds que c’est lui qui l’a fait; vous pouvez Être tranquille À prÉsent.’ Et en effet le mot fit fortune: les journaux s’en emparÈrent comme d’un À propos heureux; on le reproduisit aussi comme un engagement pris par le prince, et le mot, ‘un FranÇais de plus!’ devint le passeport obligÉ des harangues qui vinrent pleuvoir de toutes parts. Le prince ne dÉdaigna pas de le commenter dans ses rÉponses, et la prophÉtie de M. de Talleyrand fut complÈtement rÉalisÉe.” “‘Le SÉnat,’ disait-il, ‘a provoquÉ le retour de votre auguste maison au trÔne de France. Trop instruit par le prÉsent et le passÉ, il dÉsire avec la nation affermir pour jamais l’autoritÉ royale sur une juste division des pouvoirs, et sur la libertÉ publique, seules garanties du bonheur et des intÉrÊts de tous. “‘Le SÉnat, persuadÉ que les principes de la constitution nouvelle sont dans votre coeur, vous dÉfÈre, par le dÉcret que j’ai l’honneur de vous prÉsenter le titre de lieutenant-gÉnÉral du royaume jusqu’À l’arrivÉe du Roi, votre auguste frÈre. Notre respectueuse confiance ne peut mieux honorer l’antique loyautÉ qui vous fut transmise par vos ancÊtres. “‘Monseigneur, le SÉnat, en ces moments d’allÉgresse publique, obligÉ de rester en apparence plus calme sur la limite de ses devoirs, n’en est pas moins pÉnÉtrÉ des sentiments universels. Votre Altesse Royale lira dans nos coeurs À travers la retenue mÊme de notre langage.’” M. de Talleyrand joignit À ces paroles fermes et respectueuses les protestations de dÉvouement qui Étaient alors dans toutes les bouches; il y mit de moins la banalitÉ et la bassesse qui se rencontraient dans presque toutes. “Le Prince rÉpondit par le texte de la dÉclaration convenue. ‘Messieurs,’ dit-il, ‘j’ai pris connaissance de l’acte constitutionnel qui rappelle au trÔne de France le Roi, mon auguste frÈre. Je n’ai point reÇu de lui le pouvoir d’accepter la Constitution, mais je connais ses sentiments et ses principes, et je ne crains pas d’Être dÉsavouÉ en assurant en son nom qu’il en admettra les bases.’ “AprÈs cet engagement explicite, la dÉclaration ÉnumÉrait les bases elles-mÊmes, c’est-À-dire la division des pouvoirs, le partage du gouvernement entre le Roi et les Chambres, la responsabilitÉ des ministres, le vote de l’impÔt par la nation, la libertÉ de la presse, la libertÉ individuelle, la libertÉ des cultes, l’inamovibilitÉ des juges, le maintien de la dette publique, des ventes, dites nationales, de la LÉgion d’Honneur, des grades et dotations de l’armÉe, l’oubli des votes et actes antÉrieurs, etc. ‘J’espÈre ajouta le Prince, que l’ÉnumÉration de ces conditions vous suffit, et comprend toutes les garanties qui peuvent assurer la libertÉ et le repos de la France.’” “M. de Liancourt Était en effet parti, et partageant l’illusion de M. de Talleyrand il croyait aller reprendre sans difficultÉ auprÈs du roi l’exercice de son ancienne charge de maÎtre de la garderobe. Tous deux avaient notablement comptÉ sans leur hÔte. M. de Liancourt ne vit point le roi, mais seulement M. de Blacas, qui le congÉdia avec la politesse froide qui ne lui manque jamais. Le hasard me fit rencontrer M. de Liancourt au retour, et avant qu’il eÛt pu voir M. de Talleyrand, je lui demandai comment il avait ÉtÉ reÇu. Il me rÉpondit: ‘Mal, trÈs-mal, ou, pour mieux dire, pas du tout. Il y a lÀ un certain M. de Blacas qui garde les avenues et vous croyez bien que je ne me suis pas abaissÉ À lutter contre; au reste, je crains fort que M. de Talleyrand n’ait donnÉ dans un piÈge: les princes vont nous revenir les mÊmes que lorsqu’ils nous ont quittÉs.’ “Le roi nous fut bientÔt annoncÉ; les affaires se pressaient les unes sur les autres de telle sorte qu’À peine l’insuccÈs de M. de Liancourt put effleurer l’attention. Il fallait, toutefois, qu’il eÛt donnÉ beaucoup À penser À M. de Talleyrand, car il n’en parlait À personne.” “AprÈs deux mots de M. de Talleyrand sur ce dont le Roi a permis que le Conseil s’occupÂt, je commence la lecture du projet de la proclamation tel que les corrections l’avaient ajustÉ. Le Roi me laisse aller jusqu’au bout; puis, et non sans quelque Émotion que trahit sa figure, m’ordonne de relire. Quand j’ai fini cette seconde lecture, Monsieur prend la parole; il se plaint avec vivacitÉ des termes dans lesquels cette proclamation est rÉdigÉe. On y fait demander pardon au Roi des fautes qu’il a commises; on lui fait dire qu’il s’est laissÉ entraÎner À ses affections, et promettre qu’il aura dans l’avenir une conduite toute diffÉrente. De pareilles expressions n’ont qu’un tort, celui d’avilir la royautÉ; car du reste elles disent trop ou ne disent rien du tout. M. de Talleyrand rÉpond: “‘Monsieur, pardonnera si je diffÈre de sentiments avec lui. Je trouve ces expressions nÉcessaires, et pourtant bien placÉes; le Roi a fait des fautes; ses affections l’ont ÉgarÉ; il n’y a rien lÀ de trop.’ “‘Est-ce moi,’ reprend Monsieur, ‘qu’on veut indirectement dÉsigner?’ “‘Oui, puisque Monsieur a placÉ la discussion sur ce terrain, Monsieur a fait beaucoup de mal.’ “‘Le prince de Talleyrand s’oublie!…’ “‘Je le crains, mais la vÉritÉ m’emporte.…’ “M. le Duc de Berry, avec l’accent d’une colÈre pÉniblement contrainte: ‘Il ne faut rien moins que la prÉsence du Roi pour que je permette À qui que ce soit de traiter ainsi mon pÈre devant moi, et je voudrais bien savoir.…’ “A ces mots, prononcÉs d’un ton encore plus ÉlevÉ que le reste, le Roi fait signe À M. le Duc de Berry, et dit: ‘Assez, mon neveu: c’est À moi seul À faire justice de ce qui se dit en ma prÉsence et dans mon Conseil. Messieurs, je ne peux approuver ni les termes de la proclamation, ni la discussion dont elle a ÉtÉ le sujet. Le rÉdacteur retouchera son oeuvre et ne perdra pas de vue les hautes convenances qu’il faut savoir garder quand on me fait parler.’ “M. le Duc de Berry, en me dÉsignant: ‘Mais ce n’est pas lui qui a enfilÉ toutes ces sottises lÀ.’ “Le Roi: ‘Mon neveu, cessez d’interrompre, s’il vous plaÎt. Messieurs, je rÉpÈte que j’ai entendu cette discussion avec beaucoup de regrets. Passons À un autre sujet.…’”—MÉmoires du Comte Beugnot, tom. ii. p. 274. “Voulez-vous que je dise que le Roi va se faire porter de sa personne sur le pont, pour sauter de compagnie si le marÉchal ne se rend pas? “Non pas prÉcisÉment: on ne nous croit pas faits pour un tel hÉroÏsme; mais quelque chose de bon et de fort: vous entendez bien, quelque chose de fort. “Je cours À l’hÔtel dÛ marÉchal. Il Était absent, mais j’y trouve les officiers de son État-major rÉunis. Je me fais annoncer de la part du Roi de France, et je suis reÇu avec une politesse respectueuse; j’explique le sujet de ma mission À celui des officiers que je devais supposer le chef de l’État-major. Il me rÉpond par des regrets sur l’absence de M. le marÉchal, et s’excuse sur l’impuissance oÙ il est de donner des ordres sans avoir pris les siens. J’insiste, on prend le parti d’aller chercher le marÉchal qu’on Était sur de trouver dans le lieu confident de ses plus chers plaisirs, au Palais-Royal, No. 113. Il arrive avec sa mauvaise humeur naturelle À laquelle se joignit le chagrin d’avoir ÉtÉ dÉrangÉ de sa partie de trente-et-un. Il m’Écoute impatiemment, et comme il m’avait fort mal compris, il me rÉpond de telle sorte qu’À mon tour je n’y comprends rien du tout. Le chef d’État-major reprend avec lui la conversation en allemand. Elle dure quelque temps, et j’entendais assez la langue pour m’apercevoir que le marÉchal rejetait avec violence les observations fort raisonnables que faisait l’officier. Enfin, ce dernier me dit que M. le marÉchal n’avait pas donnÉ l’ordre pour la destruction du pont, que je concevais sans peine comment le nom qu’il avait reÇu importunait des soldats prussiens; mais que du moment que le Roi de France avait fait justice de ce nom, il ne doutait pas que les entreprises commencÉes contre ce pont ne cessassent À l’instant mÊme, et que l’ordre allait en Être donnÉ. Je lui demandai la permission d’attendre que l’ordre fÛt parti pour que j’eusse le droit de rassurer complÈtement Sa MajestÉ. Il le trouva bon. Le marÉchal Était retournÉ bien vite À son cher No. 113; l’ordre partit en effet. Je suivis l’officier jusque sur la place, et quand je vis que les ouvriers avaient cessÉ et se retiraient avec leurs outils, je vins rendre compte À M. de Talleyrand de cette triste victoire. Cela lui rendit un peu de bonne humeur. ‘Puisque les choses se sont passÉes de la sorte, dit le prince, on pourrait tirer parti de votre idÉe de ce matin, que le Roi avait menacÉ de se faire porter sur le pont pour sauter de compagnie: il y a lÀ matiÈre d’un bon article de journal. Arrangez cela.’ “Je l’arrangeai en effet; l’article parut dans les feuilles du surlendemain. Louis XVIII. dÛt Être bien effrayÉ d’un pareil coup de tÊte de sa part; mais ensuite il en accepta de bonne grÂce la renommÉe. Je l’ai entendu complimenter de cet admirable trait de courage, et il rÉpendait avec une assurance parfaite.…” “Mais il est deux points de vue sous lesquels la question ne me paraÎt pas avoir ÉtÉ suffisamment examinÉe et que je rÉduis À ces deux propositions: “1?. La libertÉ de la presse est une nÉcessitÉ du temps. “2?. Un gouvernement s’expose quand il se refuse obstinÉment et trop longtemps À ce que le temps a proclamÉ nÉcessaire. “L’esprit humain n’est jamais complÈtement stationnaire. La dÉcouverte de la veille n’est pour lui qu’un moyen de plus d’arriver À des dÉcouvertes nouvelles. Il est pourtant vrai de dire qu’il semble procÉder par crises, parce-qu’il y a des Époques oÙ il est plus particuliÈrement tourmentÉ du besoin d’enfanter et de produire, d’autres, au contraire, oÙ, satisfait de ses conquÊtes, il paraÎt se reposer sur lui-mÊme, et plus occupÉ de mettre ordre À ses richesses que d’en acquÉrir de nouvelles: le dix-septiÈme siÈcle fut une de ces Époques fortunÉes. L’esprit humain, ÉtonnÉ des richesses immenses dont l’imprimerie l’avait mis complÈtement en possession, s’arrÊta d’admiration pour jouir de ce magnifique hÉritage. Tout entier aux jouissances des lettres, des sciences et des arts, il mit sa gloire et son bonheur À produire des chefs-d’oeuvre. Tous les grands gÉnies du siÈcle de Louis XIV. travaillÈrent a l’envi À embellir un ordre social au-delÀ duquel ils ne voyaient rien, ils ne dÉsiraient rien, et qui leur paraissait devoir durer autant que la gloire du grand Roi, objet de leurs respects et de leur enthousiasme. Mais quand on eut ÉpuisÉ cette mine fÉconde de l’antiquitÉ, l’activitÉ de l’esprit humain se trouva presque forcÉe de chercher ailleurs, et il ne trouva de choses nouvelles que dans les Études spÉculatives qui embrassent tout l’avenir, et dont les limites sont inconnues. Ce fut dans ces dispositions que s’ouvrit le dix-huitiÈme siÈcle, qui devait si peu ressembler au prÉcÉdent. Aux leÇons poÉtiques de TÉlÉmaque succÉdÈrent les thÉories de l’esprit des lois, et Port-Royal fut remplacÉ par l’EncyclopÉdie. “Je vous prie de remarquer, Messieurs, que je ne blÂme ni n’approuve: je raconte. “En nous rappelant tous les maux versÉs sur la France pendant la rÉvolution, il ne faut cependant pas Être tout-À-fait injuste envers les gÉnies supÉrieurs qui l’ont amenÉe; et nous ne devons pas oublier que si dans leurs Écrits ils n’ont pas toujours su se prÉserver de l’erreur, nous leur devons aussi la rÉvÉlation de quelques grandes vÉritÉs. N’oublions pas surtout que nous ne devons pas les rendre responsables de la prÉcipitation inconsidÉrÉe avec laquelle la France, presque tout entiÈre, s’est lancÉe dans la carriÈre qu’ils s’Étaient contentÉs d’indiquer. On a mis en pratique des aperÇus, et toujours on a pu dire: ‘malheur À celui qui dans son fol orgueil veut aller au-delÀ des nÉcessitÉs du temps, l’abÎme ou quelque rÉvolution l’attendent.’ Mais quand on ne fait que ce que le temps commande, on est sÛr de ne pas s’Égarer. “Or, Messieurs, voulez-vous savoir quelles Étaient en 1789 les vÉritables nÉcessitÉs du temps? ouvrez les cahiers des diffÉrents ordres. Tout ce qui Était alors le voeu rÉflÉchi des hommes ÉclairÉs, voilÀ ce que j’appelle des nÉcessitÉs. L’AssemblÉe Constituante n’en fut que l’interprÈte lorsqu’elle proclama la libertÉ des cultes, l’ÉgalitÉ devant la loi, la libertÉ individuelle, le droit des jurisdictions (nul ne peut Être distrait de ses juges naturels), la libertÉ de la presse. “Elle fut peu d’accord avec le temps lorsqu’elle institua une Chambre unique, lorsqu’elle dÉtruisit le sanction royale, lorsqu’elle tortura les consciences, etc. etc. Et cependant, malgrÉ ses erreurs, dont je n’ai citÉ qu’un petit nombre, erreurs suivies de si grandes calamitÉs, la postÉritÉ qui a commencÉ pour elle, lui reconnaÎt la gloire d’avoir Établi les bases de notre nouveau droit public. “Tenons donc pour certain que ce qui est voulu, que ce qui est proclamÉ bon et utile par tous les hommes ÉclairÉs d’un pays, sans variation pendant une suite d’annÉes diversement remplies, est une nÉcessitÉ du temps. Telle est, Messieurs, la libertÉ de la presse. Je m’adresse À tous ceux d’entre vous qui sont plus particuliÈrement mes contemporains, n’Était-elle pas l’objet des voeux de tous ces hommes excellents que nous avons admirÉs dans notre jeunesse,—des Malesherbes, des Trudaines,—qui certes valaient biens les hommes d’État que nous avons depuis? La place que les hommes que j’ai nommÉs occupent dans nos souvenirs prouve bien que la libertÉ de la presse consolide les renommÉes lÉgitimes; et si elle ruine les rÉputations usurpÉes, oÙ donc est le mal? “AprÈs avoir prouvÉ que la libertÉ de la presse est en France le rÉsultat nÉcessaire de l’État actuel de la sociÉtÉ, il me reste À Établir ma seconde proposition, qu’un gouvernement s’expose quand il se refuse obstinÉment À ce que le temps a proclamÉ une nÉcessitÉ. “Les sociÉtÉs les plus tranquilles et qui devraient Être les plus heureuses, renferment toujours dans leur sein un certain nombre d’hommes qui aspirent À conquÉrir, À la faveur du dÉsordre, les richesses qu’ils n’ont pas et l’importance qu’ils ne devraient jamais avoir. Est-il prudent de mettre aux mains de ces ennemis de l’ordre social, des motifs de mÉcontentement sans lesquels leur perversitÉ serait Éternellement impuissante? “La sociÉtÉ, dans sa marche progressive, est destinÉe À subir de nouvelles nÉcessitÉs; je comprends que les gouvernements ne doivent pas se hÂter de les reconnaÎtre et d’y faire droit; mais quand il les ont reconnues, reprendre ce qu’on a donnÉ, ou, ce qui revient au mÊme, le suspendre sans cesse, c’est une tÉmÉritÉ dont, plus que personne, je desire que n’aient pas À se repentir ceux qui en conÇoivent la commode et funeste pensÉe. Il ne faut jamais compromettre la bonne foi d’un gouvernement. De nos jours, il n’est pas facile de tromper longtemps. Il y a quelqu’un qui a plus d’esprit que Voltaire, plus d’esprit que Bonaparte, plus d’esprit que chacun des directeurs, que chacun des ministres passÉs, prÉsents, À venir, c’est tout le monde. S’engager, ou du moins persister dans une lutte oÙ tout le monde se croit intÉresse, c’est une faute, et aujourd’hui toutes les fautes politiques sont dangereuses. “Quand la presse est libre, lorsque chacun peut savoir que ses intÉrÊts sont ou seront dÉfendus, on attend du temps une justice plus ou moins tardive; l’espÉrance soutient, et avec raison, car cette espÉrance ne peut Être longtemps trompÉe; mais quand la presse est asservie, quand nulle voix ne peut s’Élever, les mÉcontentements exigent bientÔt de la part du gouvernement, ou trop de faiblesse ou trop de rÉpression.” “Messieurs,— “J’Étais en AmÉrique, lorsque l’on eut la bontÉ de me nommer Membre de l’Institut, et de m’attacher À la classe des sciences morales et politique, À la quelle j’ai depuis son origine, l’honneur d’appartenir. “A mon retour en France, mon premier soin fut de me rendre À ses sÉances, et de tÉmoigner aux personnes qui la composaient alors, et dont plusieurs nous ont laissÉ de justes regrets, le plaisir que j’avais de me trouver un de leurs collÈgues. A la premiÈre sÉance À laquelle j’assistai, on renouvelait le bureau et on me fit l’honneur de me nommer secrÉtaire. Le procÈs-verbal que je rÉdigeai pendant six mois avec autant de soin que je le pouvais, portait, peut-Être un peu trop, le caractÈre de ma dÉfÉrence; car j’y rendais compte d’un travail qui m’Était fort Étranger. Ce travail, qui sans doute avait coÛtÉ bien des recherches, bien des veilles À un de nos plus savants collÈgues, avait pour titre ‘Dissertation sur les Lois Ripuaires.’ Je fis aussi, À la mÊme Époque, dans nos assemblÉes publiques, quelques lectures que l’indulgence, qui m’Était accordÉe alors, a fait insÉrer dans les MÉmoires de l’Institut. Depuis cette Époque, quarante annÉes se sont ÉcoulÉes, durant lesquelles cette tribune m’a ÉtÉ comme interdite, d’abord par beaucoup d’absences ensuite par des fonctions auxquelles mon devoir Était d’appartenir tout entier: je dois dire aussi, par la discrÉtion que les temps difficiles exigent d’un homme livrÉ aux affaires; et enfin, plus tard, par les infirmitÉs que la vieillesse amÈne d’ordinaire avec elle, ou du moins qu’elle aggrave toujours. “Mais aujourd’hui j’Éprouve le besoin, et je regarde comme un devoir de m’y prÉsenter une derniÈre fois, pour que la mÉmoire d’un homme connu dans toute l’Europe, d’un homme que j’aimais, et qui, depuis la formation de l’Institut, Était notre collÈgue, reÇoive ici un tÉmoignage public de notre estime et de nos regrets. Sa position et la mienne me mettent dans le cas de rÉvÉler plusieurs de ses mÉrites. Son principal, je ne dis pas son unique titre de gloire, consiste dans une correspondance de quarante annÉes nÉcessairement ignorÉe du public, qui, trÈs-probablement, n’en aura jamais connaissance. Je me suis dit: ‘Qui en parlera dans cette enceinte? Qui sera surtout dans l’obligation d’en parler, si ce n’est moi, qui en ait reÇu la plus grande part, À qui elle fut toujours si agrÉable, et souvent si utile dans les fonctions ministÉrielles que j’ai eues À remplir sous trois rÈgnes … trÈs-diffÉrents?’ “Le comte Reinhard avait trente ans, et j’en avais trente-sept, quand je le vis pour le premiÈre fois. Il entrait aux affaires avec un grand fonds de connaissances acquises. Il savait bien cinq ou six langues dont les littÉratures lui Étaient familiÈres. Il eÛt pu se rendre cÉlÈbre comme poËte, comme historien, comme gÉographe; et c’est en cette qualitÉ qu’il fut membre de l’Institut, des que l’Institut fut crÉÉ. “Il Était dÉjÀ À cette Époque, membre de l’AcadÉmie des Sciences de GÖttingen. NÉ et ÉlevÉ en Allemagne, il avait publiÉ dans sa jeunesse quelques piÈces de vers qui l’avaient fait remarquer par Gesner, par Wieland, par Schiller. Plus tard, obligÉ pour sa santÉ, de prendre les eaux de Carlsbad, il eut de bonheur d’y trouver et d’y voir souvent le cÉlÈbre GÖthe, qui apprÉcia assez son goÛt et ses connaissances pour dÉsirer d’Être averti par lui de tout ce qui faisait quelque sensation dans la littÉrature franÇaise. M. Reinhard le lui promit: les engagements de ce genre, entre les hommes d’un ordre supÉrieur, sont toujours rÉciproques et deviennent bientÔt des liens d’amitiÉ: ceux qui se formÈrent entre M. Reinhard et GÖthe donnÈrent lieu À une correspondance que l’on imprime aujourd’hui en Allemagne. “On y verra, qu’arrivÉ À cette Époque de la vie oÙ il faut dÉfinitivement choisir un État M. Reinhard fit sur lui-mÊme, sur les goÛts, sur sa position et sur celle de sa famille un retour sÉrieux qui prÉcÉda sa dÉtermination; et alors, chose remarquable pour le temps, À des carriÈres oÙ il eÛt pu Être indÉpendant, il en prÉfÉra une oÙ il ne pouvait l’Être. C’est À la carriÈre diplomatique qu’il donna la prÉfÉrence, et il fit bien: propre À tous les emplois de cette carriÈre, il les a successivement tous remplis, et tous avec distinction. “Je hasarderai de dire ici que ses Études premiÈres l’y avait heureusement prÉparÉ. Celle de la thÉologie surtout, oÙ il se fit remarquer dans le SÉminaire de Denkendorf et dans celui de la facultÉ protestante de TÜbingen, lui avait donnÉ une force et en mÊme temps une souplesse de raisonnement que l’on retrouve dans toutes les piÈces qui sont sorties de sa plume. Et pour m’Ôter À moi-mÊme la crainte de me laisser aller À une idÉe qui pourrait paraÎtre paradoxale, je me sens obligÉ de rappeler ici les noms de plusieurs de nos grands nÉgociateurs, tous thÉologiens, et tous remarquÉs par l’histoire comme ayant conduit les affaires politiques les plus importantes de leurs temps: le cardinal chancelier Duprat aussi versÉ dans le droit canon que dans le droit civil, et qui fixa avec LÉon X. les bases du concordat dont plusieurs dispositions subsistent encore aujourd’hui. Le cardinal d’Ossat, qui, malgrÉ les efforts de plusieurs grandes puissances, parvint À rÉconcilier Henry IV. avec le cour de Rome. Le recueil de lettres qu’il a laissÉ est encore prescrit aujourd’hui aux jeunes gens qui se destinent À la carriÈre politique. Le cardinal de Polignac, thÉologien, poËte et nÉgociateur, qui, aprÈs tant de guerres malheureuses sut conserver À la France, par le traitÉ d’Utrecht, les conquÊtes de Louis XIV. “Les noms que je viens de citer me paraissent suffire pour justifier l’influence qu’eurent, dans mon opinion, sur les habitudes d’esprit de M. Reinhard, les premiÈres Études vers lesquelles l’avait dirigÉ l’Éducation paternelle. “Les connaissances À la fois solides et variÉes qu’il y avait acquises l’avaient fait appeler À Bordeaux pour remplir les honorables et modestes fonctions de prÉcepteur dans une famille protestante de cette ville. LÀ, il se trouvÀ naturellement en relation des hommes dont le talent, les erreurs et la mort jetÈrent tant d’Éclat sur notre premiÈre assemblÉe legislative. M. Reinhard se laissa facilement entraÎner par eux À s’attacher au service de la France. “Je ne m’astreindrai point À le suivre pas À pas À travers les vicissitudes dont fut remplie la longue carriÈre qu’il a parcourue. Dans les nombreux emplois que lui furent confiÉs, tantÔt d’un ordre ÉlevÉ, tantÔt d’un ordre infÉrieur, il semblerait y avoir une sorte d’incohÉrence, et comme une absence de hiÉrarchie que nous aurions aujourd’hui de la peine À comprendre. Mais À cette Époque il n’y avait pas plus de prÉjugÉs pour les places qu’il n’y en avait pour les personnes. Dans d’autres temps, la faveur, quelquefois le discernement, appelaient À toutes les situations Éminentes. Dans le temps dont je parle, bien ou mal, toutes les situations Étaient conquises. Un pareil État de choses mÈne bien vite À la confusion. “Aussi, nous voyons M. Reinhard, premier secrÉtaire de la lÉgation À Londres; occupant le mÊme emploi À Naples; ministre plÉnipotentiaire auprÈs des villes ansÉatiques, Hambourg, BrÊme et Lubeck; chef de la troisiÈme division au dÉpartement des affaires ÉtrangÈres; ministre plÉnipotentiaire À Florence; ministre des relations extÉrieures; ministre plÉnipotentiaire en HelvÉtie; consul-gÉnÉral À Milan; ministre plÉnipotentiaire prÈs le cercle de Basse-Saxe; prÉsident dans les provinces turques au delÀ du Danube, et commissaire-gÉnÉral des relations commerciales en Moldavie; ministre plÉnipotentiaire auprÈs du roi de Westphalie; directeur de la chancellerie du dÉpartement des affaires ÉtrangÈres; ministre plÉnipotentiaire auprÈs de la diÈte germanique, et de la ville libre de Frankfort, et, enfin, ministre plÉnipotentiaire À Dresde. “Que de places, que d’emplois, que d’intÉrÊts confiÉs À un seul homme, et cela, À une Époque oÙ les talents paraissaient devoir Être d’autant moins apprÉciÉs que la guerre semblait, À elle seule, se charger de toutes les affaires! “Vous n’attendez donc pas de moi, Messieurs, qu’ici je vous rende compte en dÉtail, et date par date, de tous les travaux de M. Reinhard dans les diffÉrents emplois dont vous venez d’entendre l’ÉnumÉration. Il faudrait faire un livre. “Je ne dois parler devant vous que de la maniÈre dont il comprenait les fonctions qu’il avait À remplir, qu’il fÛt chef de division, ministre, ou consul. “Quoique M. Reinhard n’eÛt point alors l’avantage qu’il aurait eu quelques annÉes plus tard, de trouver sous ses yeux d’excellents modÈles, il savait dÉjÀ combien de qualitÉs, et de qualitÉs diverses, devaient distinguer un chef de division des affaires ÉtrangÈres. Un tact dÉlicat lui avait fait sentir que les moeurs d’un chef de division devaient Être simples, rÉguliÈres, retirÉes; qu’Étranger au tumulte du monde, il devait vivre uniquement pour les affaires et leur vouer un secret impÉnÉtrable; que, toujours prÊt À rÉpondre sur les faits et sur les hommes, il devait avoir sans cesse prÉsents À la mÉmoire tous les traitÉs, connaÎtre historiquement leurs dates, apprÉcier avec justesse leurs cÔtÉs forts et leurs cÔtÉs faibles, leurs antÉcÉdents et leurs consÉquences; savoir, enfin, les noms des principaux nÉgociateurs, et mÊme leurs relations de famille; que, tout en faisant usage de ces connaissances, il devait prendre garde À inquiÉter l’amour-propre toujours si clairvoyant du ministre, et qu’alors mÊme qu’il l’entraÎnait À son opinion, son succÈs devait rester dans l’ombre; car il savait qu’il ne devait briller que d’un Éclat rÉflÉchi; mais il savait aussi que beaucoup de considÉration s’attachait naturellement À une vie aussi pure et aussi modeste. “L’esprit d’observation de M. Reinhard ne s’arrÊtait point lÀ; il l’avait conduit À comprendre combien la rÉunion des qualitÉs nÉcessaires À un ministre des affaires ÉtrangÈres est rare. Il faut, en effet, qu’un ministre des affaires ÉtrangÈres soit douÉ d’une sorte d’instinct qui, l’avertissant promptement, l’empÊche, avant toute discussion, de jamais se compromettre. Il lui faut la facultÉ de se montrer ouvert en restant impÉnÉtrable; d’Être rÉservÉ avec les formes de l’abandon, d’Être habile jusque dans le choix de ses distractions; il faut que sa conversation soit simple, variÉe, inattendue, toujours naturelle et parfois naÏve; en un mot, il ne doit pas cesser un moment, dans les vingt-quatre heures, d’Être ministre des affaires ÉtrangÈres. “Cependant, tout ces qualitÉs, quelque rares qu’elles soient, pourraient n’Être pas suffisantes, si la bonne foi ne leur donnait une garantie dont elles ont presque toujours besoin. Je dois le rappeler ici, pour dÉtruire un prÉjugÉ assez gÉnÉralement rÉpandu: non, la diplomatie n’est point une science de ruse et de duplicitÉ. Si la bonne foi est nÉcessaire quelque part, c’est surtout dans les transactions politiques, car c’est elle qui les rend solides et durables. On a voulu confondre la rÉserve avec la ruse. La bonne foi n’autorise jamais la ruse, mais elle admet la rÉserve; et la rÉserve a cela de particulier, c’est qu’elle ajoute À la confiance. “DominÉ par l’honneur et l’intÉrÊt du prince, par l’amour de la libertÉ, fondÉ sur l’ordre et sur les droits de tous, un ministre des affaires ÉtrangÈres, quand il sait l’Être, se trouve ainsi placÉ dans la plus belle situation À laquelle un esprit ÉlevÉ puisse prÉtendre. “AprÈs avoir ÉtÉ un ministre habile, que de choses il faut encore savoir pour un bon consul! Car les attributions d’un consul sont variÉes À l’infini; elles sont d’un genre tout diffÉrent de celles des autres employÉs des affaires ÉtrangÈres. Elles exigent une foule de connaissances pratiques pour lesquelles une Éducation particuliÈre est nÉcessaire. Les consuls sont dans le cas d’exercer, dans l’Étendue de leur arrondissement, vis-À-vis de leurs compatriotes, les fonctions de juges, d’arbitres, de conciliateurs; souvent ils sont officiers de l’État civil; ils remplissent l’emploi de notaires, quelquefois celui d’administrateur de la marine; ils surveillent et constatent l’État sanitaire; ce sont eux qui, par leurs relations habituelles, peuvent donner une idÉe juste et complÈte de la situation du commerce, de la navigation et de l’industrie particuliÈre au pays de leur rÉsidence. Aussi M. Reinhard, qui ne nÉgligeait rien pour s’assurer de la justesse des informations qu’il Était dans la cas de donner À son gouvernement, et des dÉcisions qu’il devait prendre comme agent politique, comme agent consulaire, comme administrateur de la marine, avait-il fait une Étude approfondie du droit des gens et du droit maritime. Cette Étude l’avait conduit À croire qu’il arriverait un temps oÙ, par des combinaisons habilement prÉparÉes, il s’Établirait un systÈme gÉnÉral de commerce et de navigation, dans lequel les intÉrÊts de toutes les nations seraient respectÉs, et dont les bases fussent telles que la guerre elle-mÊme n’en pÛt altÉrer le principe, dÛt-elle suspendre quelques-unes de ses consÉquences. Il Était aussi parvenu À rÉsoudre avec sÛretÉ et promptitude toutes les questions de change, d’arbitrage, de conversion de monnaies, de poids et mesures, et tout cela sans que jamais aucune rÉclamation se soit ÉlevÉe contre les informations qu’il avait donnÉes et contre les jugements qu’il avait rendus. Il est vrai aussi que la considÉration personnelle qu’il l’a suivi dans toute sa carriÈre donnait du poids À son intervention dans toutes les affaires dont il se mÊlait et À tous les arbitrages sur lesquels il avait À prononcer. “Mais, quelque Étendues que soient les connaissances d’un homme, quelque vaste que soit sa capacitÉ, Être un diplomate complet est bien rare; et cependant M. Reinhard l’aurait peut-Être ÉtÉ, s’il eut en une qualitÉ de plus; il voyait bien, il entendait bien; la plume À la main, il rendait admirablement compte de le qu’il avait vu, de ce qui lui avait ÉtÉ dit. Sa parole Écrite Était abondante, facile spirituelle, piquante; aussi, de toutes les correspondances diplomatiques de mon temps, il n’y en avait aucune À laquelle l’empereur NapolÉon, qui avait le droit et le besoin d’Être difficile, ne prÉfÉrÂt celle du comte Reinhard. Mais ce mÊme homme qui Écrivait À merveille s’exprimait avec difficultÉ. Pour accomplir ses actes, son intelligence demandait plus de temps qu’elle n’en pouvait obtenir dans le conversation. Pour que sa parole interne pÛt se reproduire facilement, il fallait qu’il fÛt seul et sans intermÉdiaire. “MalgrÉ cet inconvÉnient rÉel, M. Reinhard rÉussit toujours À faire, et bien faire, tout ce dont il Était chargÉ. OÙ donc trouvait-il ses moyens de rÉussir, oÙ prenait-il ses inspirations? “Il les prenait, Messieurs, dans un sentiment vrai et profond qui gouvernait toutes ses actions, dans le sentiment du devoir. On ne sait pas assez tout ce qu’il y a de puissance dans ce sentiment. Une vie tout critÈre au devoir est bien aisÉment dÉgagÉe d’ambition. La vie de M. Reinhard Était uniquement employÉe aux fonctions qu’il avait À remplir, sans que jamais chez lui il y eÛt trace de calcul personnel ni de prÉtention À quelque avancement prÉcipitÉ. “Cette religion du devoir, À laquelle M. Reinhard fut fidÈle tout sa vie, consistait en une soumission exacte aux instructions et aux ordres de ses chefs; dans une vigilance de tous les moments, qui, jointe a beaucoup de perspicacitÉ, ne les laissait jamais dans l’ignorance de ce qu’il leur importait de savoir; en une rigoureuse vÉracitÉ dans tous ses rapports, qu’ils dussent Être agrÉables ou dÉplaisants; dans une discrÉtion impÉnÉtrable, dans une rÉgularitÉ de vie qui appelait la confiance et l’estime; dans une reprÉsentation dÉcente, enfin dans un soin constant À donner aux actes de son gouvernement la couleur et les explications que rÉclamait l’intÉrÊt des affaires qu’il avait a traiter. “Quoique l’Âge eÛt marquÉ pour M. Reinhard le temps du repos, il n’aurait jamais demandÉ sa retraite, tant il aurait crainte de montrer de la tiÉdeur a servir dans une carriÈre qui avait ÉtÉ celle de toute sa vie. “Il a fallu que la bienveillance royale, toujours si attentive, fut prÉvoyante pour lui, et donnÂt À ce grand serviteur de la France la situation la plus honorable en l’appelant À la chambre des pairs. “M. le comte Reinhard n’a pas joui assez longtemps de cet honneur, et il est mort presque subitement le 25 dÉcembre, 1837. “M. Reinhard s’Était mariÉ deux fois. Il a laissÉ du premier lit un fils qui est aujourd’hui dans la carriÈre politique. Au fils d’un tel pÈre, tout ce qu’on peut souhaiter de mieux, c’est de lui ressembler.” “Voici, d’aprÈs les renseignements que nous avons recueillis, ce que contient en substance cette dÉclaration, qui porte la date de 1836, et qui, conformÉment au voeu du testateur, a ÉtÉ lui À la famille et À ses amis assemblÉs. “Le prince dÉclare qu’avant tout et À tout, il a prÉfÉrÉ les vrais intÉrÊts de la France. “S’expliquant sur la part qu’il a prise À la rentrÉe des Bourbons en 1814, il dit que, dans son opinion, les Bourbons ne remontaient pas sur le trÔne en vertu d’un droit hÉrÉditaire, et prÉ-existant, et il donne mÊme À entendre que ses conseils et ses avis ne leur manquÈrent pas pour les Éclairer sur leur vraie position, et sur la conduite qu’ils devaient tenir en consÉquence. “Il repousse le reproche d’avoir trahi NapolÉon: s’il l’a abandonnÉ, c’est lorsqu’il reconnut qu’il ne pouvait plus confondre, comme il l’avait fait jusqu’alors, la France et l’Empereur dans une mÊme affection; ce ne fut pas sans un vif sentiment de douleur, car il lui devait À peu prÈs toute sa fortune; il engage ses hÉritiers À ne jamais l’oublier, À le rÉpÉter À leurs enfants, et ceux-ci À ceux qui naÎtront d’eux, afin, dit-il, que si quelque jour un homme du nom de Bonaparte se trouvait dans le besoin, ils s’empressassent de lui donner aide, secours et assistance. “RÉpondant À ceux qui lui reprochent d’avoir servi successivement tous les gouvernements, il dÉclare qu’il ne s’en est fait aucun scrupule, et qu’il a agi ainsi, guidÉ par cette pensÉe que, dans quelque situation que fÛt un pays, il y avait toujours moyen de lui faire du bien, et que c’Était a opÉrer ce bien que devait s’appliquer un homme d’État.”
The following articles were also published by Sir James in the “Monthly Review”:
“Here am I amongst the thick of the Quakers, whose houses and families pleased me so much formerly, and which pleasure is now revived. Here all is ease, plenty, and cheerfulness. These people are never giggling, and never in low spirits. Their minds, like their dress, are simple and strong. Their kindness is shown more in acts than in words. Let others say what they will, I have uniformly found those whom I have intimately known of this sect sincere and upright men; and I verily believe that all those charges of hypocrisy and craft that we hear against Quakers, arise from a feeling of envy; envy inspired by seeing them possessed of such abundance of all those things which are the fair fruits of care, industry, economy, sobriety, and order; and which are justly forbidden to the drunkard, the prodigal, and the lazy.” The main fact, however, remains untouched, and is indeed proved by the Wellington correspondence, viz., that Lord Liverpool applied to the Duke of Wellington to obtain the King’s consent to Mr. Canning’s appointment, and that the Duke succeeded, though not without difficulty. THE END. LONDON: PRINTED BY WILLIAM CLOWES AND SONS, STAMFORD STREET AND CHARING CROSS. |