Jamais ne pourray-je bannir
Hors de moy l'ingrat souvenir
De ma gloire si tost passÉe?
Toujours pour nourrir mon soucy.
Amour, cet enfant sans mercy,
L'offrira-t-il À ma pensÉe!
Tyran implacable des coeurs,
De combien d'ameres langueurs
As-tu touchÉ ma fantaisie !
De quels maux m'as-tu tourmentÉ!
Et dans mon esprit agitÉ
Que n'a point fait la jalousie !
Mes yeux, aux pleurs accoutumez,
Du sommeil n'estoient plus fermez;
Mon coeur fremissoit sous la peine:
A veu d'oeil mon teint jaunissoit;
Et ma bouche qui gemissoit,
De soupirs estoit toujours pleine.
Aux caprices abandonnÉ,
J'errois d'un esprit forcenÉ,
La raison cÉdant À la rage:
Mes sens, des desirs emportez,
Flottoient, confus, de tous costez,
Comme un vaisseau parmy l'orage.
Blasphemant la terre et les cieux,
Mesmes je m'estois odieux,
Tant la fureur troubloit mon ame:
Et bien que mon sang amassÉ
Autour de mon coeur fust glacÉ,
Mes propos n'estoient que de flame.
Pensif, frenetique et resvant,
L'esprit troublÉ, la teste au vent,
L'oeil hagard, le visage blesme,
Tu me fis tous maux esprouver;
Et sans jamais me retrouver,
Je m'allois cherchant en moy-mesme.
Cependant lors que je voulois,
Par raison enfraindre tes loix,
Rendant ma flame refroidie,
Pleurant, j'accusay ma raison
Et trouvay que la guerison
Est pire que la maladie.
Un regret pensif et confus
D'avoir estÉ, et n'estre plus,
Rend mon ame aux douleurs ouverte;
A mes despens, las! je vois bien
Qu'un bonheur comme estoit le mien
Ne se cognoist que par la perte.